3.INTERFÉRENCES PHONOLOGIQUES
 
  (Les notes sont en fin d'article)
 
Une fois définis les matériaux phoniques dont dispose chaque langue, ainsi que les différences et convergences articulatoires qui les caractérisent, une étude comparée des codes oraux portugais et français doit aborder aussi les phénomènes fonctionnels de chaque langue, leurs interactions, ainsi que les rapports entre le matériau phonique disponible et et la façon dont la grammaire du code oral en tire parti (33)
Ainsi, nous nous proposons, dans ce dernier chapitre, d'étudier, d'une façon contrastive, certaines caractéristiques de la phonologie de ces deux langues et la façon dont elles peuvent interagir: les fréquences d'emploi des phonèmes, les positions et la syllabation.
 
 
3.1.Les phonèmes dans la chaîne parlée
 
Le classement comparé des phonèmes du français et du portugais nous a montré que, pour une bonne part, le matériau phonique est commun ou proche. Les deux langues, cependant, diffèrent profondément en surface.
On peut en conclure que deux langues peuvent posséder des phonèmes ou des articulations à peu près identiques mais être trés éloignées l'une de l'autre sur le plan de l'expression et de la perception. Quelles raisons formelles peuvent expliquer ce décalage?
D'abord, nous l'avons vu, ce sont des raisons extérieures à la langue elle-même, et relatives à la réalisation phonétique du locuteur: les habitudes articulatoires étant différentes au départ, et la prononciation ayant besoin d'être adaptée aux exigences de la communication dans la langue étrangère, les fautes d'expression s'expliquent par l'existence d'interférences des habitudes articulatoires propres au phonétisme portugais.
On ne peut cependant réduire l'ensemble des erreurs constatées à l'existence de certaines divergences articulatoires: des facteurs intérieurs au système linguistique même des langues en présence justifient aussi la production orale de surface, en particulier:
 
-la distribution des phonèmes, spécifique à chaque langue, qui risque de compromettre l'identification des unités distinctives, et confondre des réalisation pourtant identiques;
  
-la fréquence d'emploi des phonèmes, différente d'une langue à l'autre, et donnant à chacune un contour articulatoire global caractéristique, auquel une oreille étrangère n'est pas forcément préparée;
 
-certaines habitudes prosodiques: répartition des accents, intonation, structures syllabiques, composante accentuelle, qui conditionnent le débit et le rythme généraux de la production orale.
  
L'analyse de la fréquence d'emploi et du rendement des phonèmes est un premier moyen de mesurer et d'expliquer certaines des fautes constatées.
 
 
3.2.Classement des phonèmes par fréquence d'emploi
 
L'analyse comparée des deux systèmes démontre que, parmi toutes les combinaisons possibles d'une langue, certaines sont privilégiées par leur haute fréquence d'emploi, et, pour cela, contribuent à définir le contour phonétique de la langue
 
L'ensemble des articulations dont dispose la langue subit donc un autre type de classement que le classement articulatoire, celui fondé sur la fréquence d'emploi d'un phonème. Certains phonèmes sont en effet beaucoup plus fréquents (probables) que d'autres, et cette fréquence peut aboutir à la nécessité de travailler en FLE sur les articulations à la fois les plus fréquentes et les plus éloignées des possibilités articulatoires de l'élève.
 
Les voyelles sont en français, des phonèmes très fréquents, ce qui est conforme aux attentes. Cependant trois consonnes se détachent en français par leur haute fréquence: /l/, /R/ et /s/.
 
3.2.1.Tableau des fréquences d'emploi en français [34]
 
 
 
Notons les proportions suivantes:
 
Voyelles (% du total) 47,8 %
Consonnes (% ") 52,2 %
 
Voyelles orales (% des voyelles) 84,8 %
Voyelles nasales (% ".) 15,2 %
 
Semi-voyelles (% des consonnes) 5 %
 
Les quatre voyelles les plus fréquentes sont donc:
 
/a/ (17% des voyelles)
/e/ (13,6%)
/i/ (11,6%)
// (11%)
 
Ces voyelles représentent à elles seules la moitié (53,2%) de toutes les voyelles réalisées.
Notons aussi la fréquence élevée de la voyelle à double timbre /E/ (24,5 % des voyelles), alors que les autres voyelles à double timbre sont rares (/O/, 7,7 %) ou très rares)
Une étude attentive de ce tableau permet, comme le note P. Léon, d'insister sur "l'aspect linguistique" du problème des fréquences, et, par ailleurs, des rapports entre fréquences orales et graphiques.
 
 
Les voyelles:
 
-Si le /a/ est bien la voyelle la plus fréquente, sa variante postérieure // est la voyelle la plus rare (cela est dû à ses réalisations orthographiques "â", "az", "as", etc). Ceci confirme la disparition progressive des habitudes articulatoires du français de cette voyelle, et doit suggérer à l'enseignant de FLE de ne pas insister sur elle.
-Intéressant est le cas de la voyelle /e/, dont la fréquence orale est plus élevée que la fréquence écrite, ce qui s'explique par le fait que tous les graphèmes "e" ne se lisent pas /e/.
-La voyelle //, au contraire possède une fréquence écrite supérieure à la fréquence orale: dans ce cas, caractéristique de la graphie française, ce sont des réalisations graphiques diverses ("è", "ai", "et", "ê", "ei", etc), qui toutes correspondent à //.
-La voyelle /o/ est dans une situation identique: elle est beaucoup plus fréquente à l'oral qu'à l'écrit, étant donné la fréquence de la graphie "au" et de ses dérivées. La même remarque peut être faite pour //, pour laquelle la richesse des graphies possibles contribue à dissocier écrit et oral.
-Notons, enfin, le cas de la voyelle //: sa fréquence écrite représente en français plus du double de sa fréquence orale (c'est de loin le graphème le plus fréquent), ce qui signifie qu'à peu près 50% seulement des "e muets" se prononcent en français (35)
 
L'inégalité constatée des fréquences écrites/orales semble être la preuve de l'inadéquation entre orthographe et prononciation, les inégalités les plus fortes correspondant d'ailleurs en FLE aux pièges les plus sournois.
 
 
Les consonnes:
 
-La plus remarquable est la plus fréquente: /R/. La différence de fréquence constatée (en faveur de l'écrit) signifie que cette consonne est souvent écrite mais non prononcée (donc sans valeur phonétique), ce qui arrive, par exemple, avec des graphies comme "er" (infinitif), "rr", etc
-Constatons aussi qu'aucune consonne française (à part /f/, qui semble stable) ne possède une fréquence égale à l'oral et à l'écrit, ce qui n'est pas étonnant étant donné la distance qui sépare les deux codes (36) D'une manière générale, ce tableau nous montre que quelques consonnes sont plus écrites que prononcées (ce sont les principales "consonnes muettes": /R/, /t/, /d/) mais que, surtout, la plupart des consonnes connaissent une fréquence orale supérieure à la fréquence écrite, ce qui confirme la grande instabilité des repères graphiques du français, et, par voie de conséquence, des repères de lecture.
-Quant aux semi-voyelles, la plus remarquable est /j/, dont les réalisations graphiques n'existent pas, ce qui confirme le caractère purement articulatoire de sa fréquence.
 
 
3.2.2.Tableau des fréquences d'emploi en portugais (37)
 
 
 
Notons:
Voyelles (% total) 47,7 %
Consonnes (% total) 52,3 %
 
Voyelles orales (% voyelles) 85 %
Voyelles nasales (% voyelles) 15 %
 
Semi-voyelles (% consonnes) 7 %
 
Observons l'extrême similitude entre ces proportions et celles rencontrées pour le français, ce qui prouve que la répartition globale des articulations est bien d'une origine commune.
Par ailleurs, les quatre voyelles les plus fréquentes en portugais sont, d'aprés ce tableau:
 
 
// (23,5 % des voyelles)
/i/ (12,3)
/u/ (19,5 %) /a/ (11,4)
 
 Ces voyelles représentent à elles seules les deux tiers (66,7%) de toutes les voyelles réalisées. Si l'on rapproche de ce chiffre le pourcentage obtenu par les 4 voyelles françaises les plus fréquentes (53,2%), on remarque cette fois-ci que le système vocalique portugais est plus irrégulier dans son emploi, et que, parallèlement, les voyelles françaises semblent d'un emploi plus régulièrement distribué, c'est-à-dire plus stable.
 
Au niveau de ces quatre voyelles les plus fréquentes en portugais, nous noterons en particulier, par rapport au français:
 
-l'absence de deux des voyelles les plus fréquentes du français, /e/ et //: en portugais, ces voyelles ont une fréquence modeste (respectivement 1,6% et 1,1%), alors qu'en français, leur fréquence est élevée (6,5% et 5,3%). La principale conséquence de ce décalage fréquentiel est la difficulté éprouvée par les élèves de FLE à dominer la distribution des timbres [e] et [].
- la fréquence privilégiée (9,3%) d'une voyelle qui est secondaire (2,7%) en français: /u/ . Cette fréquence s'explique en portugais par sa réalisation habituelle en finale atone pour la graphie "o".
- la fréquence maximale (11,2%) attribuée à une voyelle inconnue en français: //. On peut se demander si cette voyelle privilégiée ne contribue pas, par ses modestes caractéristiques articulatoires (c'est une voyelle très relâchée), à augmenter les difficultés face aux exigences articulatoires trés strictes du vocalisme français.
 
 
Quant aux consonnes, notons que:
 
-les plus fréquentes (/t/, /l/, /k/, /s/, etc), sont aussi, en gros, les plus fréquentes en français, même si le pourcentage de chacune varie légèrement d'une langue à l'autre.
-Il faut toutefois noter le cas de la consonne apicale portugaise /r/, la plus fréquente des consonnes (10,3%): ne correspondant à aucune réalisation normative de la consonne vibrante en français, elle constitue l'un des pièges d'interférence les plus sournois en FLE, et représente sans doute la seule véritable articulation incorrecte (du point de vue du français) à résister systématiquement aux exercices de prononciation (38)
 
 
 
3.3.Distribution comparée des voyelles et des consonnes.
 
Chacun des phonèmes décrits se manifeste habituellement associé à d'autres phonèmes. Cette association systématique contribue à modifier chacun des éléments sonores, et tend à créer, indépendamment de sa fréquence, une redondance, c'est-à-dire un type caractéristique d'association.
Ainsi, en FLE, au-delà de la composante articulatoire et fréquentielle, il est important de décrire les structures combinatoires des systèmes vocalique et consonantique.
 
- On constate ainsi que chaque langue utilise des associations de phonèmes, et que chacune offre des possibilités de combinaisons que l'autre ignore ou néglige.
- Cette différence de distribution des sons du français et du portugais peut donc être source de fautes en FLE. Toute correction phonétique se doit d'être précédée d'un inventaire comparé des distributions des phonèmes.
 
 
3.3.1.Distribution comparée des voyelles
 
 
3.3.1.1. Positions des voyelles du portugais
 
  
En portugais, la distribution des voyelles est un domaine très délicat: elle obéit en effet avant tout à la position de l'accent. On distinguera ainsi les voyelles toniques et les voyelles atones (pré-toniques ou post-toniques):
L'analyse de ce tableau permet de faire quelques observations sur la distribution des voyelles, en particulier l'importance du système de réduction vocalique jouant sur les voyelles atones du portugais (39), et dont on ne retrouve pas en français des principes similaires:
 
 
 
 
Notes sur le tableau:
1-la voyelle /e/ n'apparaît pas en position atone, où elle est en distribution complémentaire avec //: ser [ser] - serei [srej]
2-la voyelle /o/ atone devient /u/, sauf en syllabe fermée, où elle est conservée: voltar [voltar] - votar [vutar]
3-la voyelle // n'apparaît pas en position tonique.
4-la voyelle /a/ atone devient // sauf en syllabe fermée par //; atar [tar] - altar [atar], sauf pour quelques cas (40): "actor" [ator]
5-la voyelle // n'est atone qu'en syllabe fermée par // ou /r/ : n'vel [niv] - nivelar [nivlar]
 
 Aucune de ces distributions n'est relevante en français, où l'accent de mot n'existe pas en tant que facteur de distribution vocalique.
Ainsi, la distribution des voyelles du portugais doit-elle se faire en tenant compte de la position relative à l'accent, et non, comme en français, par rapport au type de syllabe (41)
- peuvent être toniques (initiales, médiales, finales) toutes les voyelles, sauf //;
- peuvent être pré-toniques (initiales, médiales): toutes les voyelles toniques et la voyelle //
-voyelles post-toniques (finales): //, //, /u/
 
3.3.1.2. Positions des voyelles du français
 
 En français, les voyelles peuvent se trouver dans pratiquement toutes les positions: initiales, médiales (entre consonnes) et finales. Toutes les voyelles n'ont pas cependant la même probabilité d'apparition selon la distribution considérée:
 
 
 
 
Notes sur le tableau:
- le //, possède une distribution plus réduite que les autres voyelles: on ne trouve jamais // en initiale, généralement en médiale, et rarement en finale prononcée (c'est le cas dans quelque formes toniques à valeur grammaticale, comme le pronom le: "dis-le" [dil], ou "que", "ce", etc; la position tonique du // est tout à fait exclue en portugais, ce qui est à l'origine d'interférences fréquentes.
-la voyelle /O/ et la voyelle /OE/ possèdent une distribution restreinte au niveau de leurs timbres, puisque les timbres ouverts ne se trouvent pas en position finale absolue (c'est-à-dire en syllabe ouverte). Elles sont donc en français en distribution complémentaire.
Toutes les autres distributions sont possibles, mais non équiprobables (42)
 
 
3.3.1.3.Interférences distributionnelles
 
Les différences apparentées par ces deux tableaux témoignent du décalage considérable qui sépare la distribution des voyelles dans les deux langues. Le français ignore ce qui fait la spéficité même du vocalisme portugais: l'opposition entre un système de voyelles toniques et un système de voyelles atones. Quelles interférences ces deux systèmes vocaliques concurrents peuvent-ils induire en FLE? Il s'agit là de l'une des questions les plus délicates, étant donné qu'entrent en jeu plusieurs facteurs simultanés: articulations, distribution, accent et rythme.
Les prolongements grammaticaux de ces réalisations impliquent des cas où des interférences peuvent compliquer l'accès aux formes grammaticales du français. L'exemple le plus expressif est celui de la morphologie verbale: en portugais, il existe un modèle de conjugaison orale fondée sur un système de réduction de la voyelle du radical qui perd son accent (43), du type "ato" [atu] - "atamos" [tmu], caractérisée par l'opposition /a/ tonique - // atone. Dans certains types de conjugaisons de verbes français, un phénomène assez semblable peut se produire (je) "cède" [sd] - (nous) "cédons" [sed] (ici les deux timbres [e] et [] se neutralisent mutuellement). Etant donné, d'une part, l'analogie du système de réduction vocalique de certains verbes portugais, et, d'autre part, les habitudes accentuelles du portugais qui réduit toute voyelle atone, des formes françaises du type "cédons" seront parfois en FLE réalisées * [sd] ou même * [sd].
 
 
3.3.2.Distribution comparée des consonnes
 
Contrairement aux voyelles, le système des consonnes du portugais est relativement proche, par les habitudes qu'il implique, de celui du français. La distribution des consonnes portugaises est cependant suffisamment différente pour créer de nombreuses interférences en français.
 
 
3.3.2.1.Positions des consonnes du portugais:
 
 
 
Notes sur le tableau:
-Les consonnes // et // ont une distribution très restreinte, n'existant couramment qu'en médiale (elles ne peuvent fermer une syllabe).
-Les consonnes /l/ et // sont en distribution complémentaire: elle apparaissent dans des contextes mutuellement exclusifs: // n'apparaît qu'en fin de syllabe ou de mot, /l/ en début de syllabe: ainsi, dans "lato" [latu] - "alto" [atu]; dans ce deuxième cas, la voyelle /a/ est vélarisée1 par // et n'apparaît donc qu'en syllabe fermée par //.
-Les consonnes /r/ et /R/ sont aussi en distribution complémentaire: l'opposition phonologique ne joue pas en position initiale ou finale. /r/ et /R/ ne s'opposent donc qu'en position médiale (6): ainsi, "caro" [karu] - "carro" [kaRu].
-D'une manière générale, seules trois consonnes apparaissent en finale absolue (en syllabe fermée): //, /r/, //.
-Notons aussi que peu de consonnes apparaissent en portugais en fin de syllabe fermée (ce sont généralement les mêmes qu' en finale absolue), alors que le taux global de syllabes fermées par rapport aux syllabes ouvertes est à peu près le même qu'en français (20%), langue où, nous allons le voir, toutes les consonnes peuvent fermer les syllabes.
 
 
3.3.2.2.Distribution des consonnes du français
 
En français, la distribution des consonnes est plus régulière qu'en portugais, puisque les consonnes peuvent occuper toutes les positions possibles:
 
 
 
3.3.2.3. Interférences distributionnelles
 
Les consonnes finales: la possibilité de trouver l'ensemble des consonnes en finale absolue s'explique en français par le fait que le // final est muet, laissant apparaître une syllabe fermée.
Le fait que le "e muet" final ait été prononcé en français pendant très longtemps se reconnaît encore aujourd'hui dans la manière dont ces consonnes finales sont réalisées, exactement comme si elles commençaient une nouvelle syllabe (c'était bien le cas quand le "e muet" était maintenu). Les consonnes finales absolues constituent toujours, en FLE, un important obstacle sur le chemin de la correction phonétique, en particulier par leurs caractéristiques articulatoires: consonnes fortes (elles sont nettes et tendues comme des consonnes de début de syllabe), elle produisent une impression d'affectation articulatoire, impression renforcée par leur durée.
C'est dans cette perspective qu'il faut situer l'explication de certaines interférences fréquentes sur les consonnes finales absolues, surtout lorsqu'est en cause l'opposition sourde/sonore: ainsi, l'opposition des suffixes "euf" [f] - "euve" [v] (comme dans "veuf" - "veuve"), est, en FLE, rarement sentie (et donc respectée), les habitudes de l'élève le conduisant rarement à réaliser des consonnes sonores finales absolues (le mot "veuve" [vv] aura tendance à être prononcé *[vf], c'est-à-dire comme le masculin "veuf"). Un autre exemple fréquent est celui des suffixes de genre "if" - "ive" (comme dans "passif" - "passive", où l'on entend régulièrement en FLE "active" être prononcé *[aktif] (44)
 
Les séquences de consonnes: pour comparer des séquences de phonèmes (consonnes surtout), le meilleur moyen semblerait être de faire l'inventaire de ces séquences en français, puis vérifier leur existence en portugais. Si elles existent dans les deux langues, elles ne seront probablement pas à l'origine de difficultés, mais dans le cas contraire des interférences pourront se produire: "oin" [w], par exemple, est une séquence qui n'existe pas en portugais, d'où problème de détection en lecture ou d'articulation en production orale.
 
La difficulté ne vient pas seulement de la séquence en soi, mais aussi de l'environnement de cette séquence. Ainsi, prenant l'exemple des séquences de certaines doubles consonnes (/st/, /sk/, /sp/, etc), on vérifie leur existence dans les deux langues, ce qui semble faciliter leur transfert de prononciation et leur identification en français. Pourtant, ces séquences n'apparaissent jamais en portugais avec la même distribution qu'en français: elles sont précédées de voyelles en portugais (donc ne peuvent apparaître en initiale absolue), ce qui n'est pas le cas en français, comme le montrent les paires suivantes "espacial" - "spatial", "escolar" - "scolaire" ou "estádio" - "stade". L'absence de ces séquences de consonnes en portugais en position initiale va aboutir, en français, à des prononciations faussés, du type *[spasjal] (45)
 
 
3.3.3.Distribution comparée des semi-voyelles
 
 
En portugais, les deux semi-voyellespeuvent occuper les positions suivantes:
 
 
Notes sur le tableau:
- La semi-voyelle /j/ ne se combine pas avec /i/ ou //. Elle apparaît généralement après voyelle, et contribue à la fréquence des diphtongues du /i/ en portugais
- /j/est en distribution complémentaire avec la nasale //: apparaît /j/ en diphtongue orale et // en diphtongue nasale: ainsi, "pai" [paj] - "põe" [p].
- /w/ apparaît aussi bien avant qu'après voyelle, mais ne se combine qu'avec une partie d'entre elles, excluant les nasales (sauf //) et les orales //, /o/, //, //.
- /w/ est en distribution complémentaire avec //, la semi-voyelle orale apparaissant au contact exclusif d'une voyelle orale: ainsi, "mau" [maw] - "mão" [m].
 
En français, les trois semi-voyelles /j/, //, /w/ peuvent apparaître dans les positions suivantes:
 
 
 
Notes sur le tableau:
- /j/ n'apparaît que très peu à l'initiale, et rarement en finale, mais se combine avec n'importe quelle voyelle.
- /j/ est en distribution complémentaire avec la voyelle /i/: la semi-voyelle apparaît au contact d'une autre voyelle (quelle qu'elle soit), mais devant une double consonne prononcée, /j/ se réalise en /ij/ :ainsi, "bière" [bjR] - "prière" [pRijR].
- La réalisation du /j/ français ne correspond pas à une diphtongue, comme en portugais, puisque le /j/ y est un véritable phonème autonome, comme le prouve le test de la commutation phonologique: fille [fij] - file [fil]
 -// est en distribution complémentaire avec la voyelle /y/: la semi-voyelle apparaît au contact d'une autre voyelle; cependant, devant une double consonne prononcée, // se réalise en /y/. Le groupe /i/ se maintient pourtant même devant double consonne (il n'y a pas diérèse): comparez "ruelle" [Rl] - "cruelle" [kRyl] et "nuit" [ni] - "bruit" [bRi].
- /w/ est rare en initiale et interdite en finale: elle ne peut suivre une voyelle. Elle est neutralisée par /y/, /o/, /u/.
- /w/ est en distribution complémentaire avec la voyelle /u/: la semi-voyelle apparaît au contact d'une autre voyelle, mais devant une double consonne prononcée, /w/ se réalise en /u/ . Les groupes /wa/ et /w/ se maintiennent cependant même devant double consonne (il n'y a pas diérèse).
- Il n'y a pas, en français, de semi-voyelles nasales.
 
 
3.4. Habitudes syllabiques en français et en portugais
 
L'apprentissage comparé des articulations, de leurs caractéristiques, de leurs réalisations et de leurs fréquences constitue une approche nécessairement partielle des phénomènes d'interférence en FLE. La compétence orale doit aussi aborder les problèmes de transition, de jonction entre syllabes, et, plus généralement, la question de l'identification des composants essentiels du message.
Dans la chaîne orale, cependant, la frontière entre mots ou unités est mal définie. En français parlé, la composante prosodique, par le contour régulier qu'elle impose à la phrase, contribue à annuler les frontières de mots et même à modifier les données de la syllabation, ce qui, en FLE, conduit fréquemment à l'effacement de repères syntaxiques pour l'auditeur. Le français parlé est perçu comme une langue dont les syllabes, les mots et les syntagmes se noient et se confondent en une suite neutre et indifférenciée.
Il est donc nécessaire, pour le perfectionnement de la compréhension orale et pour développer la qualité sonore de l'inter-compréhension, d'apprendre à l'élève à apréhender la phrase française comme un mouvement phonatoire d'ensemble, et non comme une suite d'unités juxtaposées. La maîtrise de cette linéarité est caratérisée entre autres par l'apprentissage de l'enchaînement et de la liaison, qui favoriseront le décodage global du message.
 
3.4.1.Segmentation et syllabation
 
Du point de vue statistique, la proportion syllabique en français est de 80% de syllabes ouvertes (46) et de 20% de syllabes fermées (47). Cette proportion est à peu près identique en langue portugaise, avec, dans cette dernière, une nette tendance à la syllabe ouverte minimale (composée d'une consonne suivie d'une voyelle), qui représente à elle seule 65% de toutes les syllabes réalisées (48)
Ainsi, en français comme en portugais, la syllabe ouverte acquiert une importance considérable, tant par sa fréquence élevée que par le rôle privilégié qu'elle attribue à la voyelle.
 
3.4.1.1.L'enchaînement
 
Lorsque la segmentation se fait après la voyelle, c'est à dire lorsque se manifeste une tendance à la séquence C V. C V. C V. etc, on parle d'enchaînement (c'est le cas 8 fois sur 10). Il y a donc enchaînement lorsque la consonne finale d'un mot (quand elle est prononcée) se colle à la voyelle du mot suivant, formant une nouvelle syllabe. Ainsi, "il était" , dont la syllabation mot à mot implique [il.e.t] (une syllabe fermée suivie de deux syllabes ouvertes), se réalise en fait [i.le.t] (trois syllabes ouvertes), grâce au déplacement de la consonne /l/ en début de syllabe suivante. Le but de l'enchaînement est de permettre un maximum de syllabes ouvertes, ce qui va dans le sens des tendances syllabiques de la langue française.
En langue portugaise, l'enchaînement obéit aux mêmes règles et remplit les mêmes fonctions, ce qui implique l'absence de toute interférence sur ce plan.
 
3.4.1.2.la liaison
 
On peut parler de liaison lorsque l'enchaînement se double de l'apparition d'une consonne supplémentaire, dite "consonne de soutien", qui s'insère entre deux voyelles afin de rétablir la séquence habituelle C V. C V. Dans l'énoncé "Il était une fois", apparaît la consonne de liaison /t/ entre le verbe et le déterminant indéfini:
Il était une fois [i.le.t.tyn.fwa]
Le /t/, consonne de liaison, s'insère entre les voyelles // et /y/ afin d'éviter leur contact et de restituer à l'énoncé une segmentation conforme aux habitudes.
Signalons que l'emploi de la liaison en langue française obéit à des règles rigoureuses et précises, dans la mesure où son emploi est déterminé par un certain nombre de restrictions (on ne peut pas faire des liaisons n'importe où et n'importe quand: il y a des liaisons facultatives, mais aussi des liaisons obligatoires), et que le phénomène de la liaison peut acquérir une valeur grammaticale pour la langue, puisqu'il peut permettre de distinguer des contextes fonctionnels (49)
Dans certains contextes, par exemple, le caractère appauvri des marques grammaticales orales donne aux éventuelles liaisons une importance distinctive considérable: dans des phrases comme ´Il(s) semblai(en)t fatigué(s), mais continuai(en)t fidèle(s) à l'esprit olympique ª seule la réalisation de la liaison /z/ déterminera celle du pluriel, puisque d'un point de vue oral, cette phrase n'a pas de nombre marqué.
 
 
3.4.1.3. Liaison et interférences
 
Alors qu'en français les phénomènes syllabiques de liaison semblent sur bien des points indispensables au fonctionnement de l'expression orale, ils n'en demeurent pas moins, en FLE, un domaine mal connu, ambigu et complexe à maîtriser. La liaison est en effet en portugais un procédé inconnu.
Même si les enchaînements sont fréquents, ce qui correspond, comme en français, à une stratégie de réalisation systématique de syllabes ouvertes ("temos uma casa" [te.mu.zu.m.ka.z], toutes les syllabes sont ouvertes), les liaisons sont absentes: la raison en est qu'il n'y a pas en portugais de consonnes graphiques muettes en finale absolue, ce qui efface la possibilité de création de consonne de soutien dans la chaîne parlée. Les consonnes finales les plus fréquentes (/r/, //, //) sont en effet systématiquement prononcées, et sont donc simplement déplacées par enchaînement (si la segmentation l'exige) en début de syllabe suivante: "dois anos" correspond aux syllabes enchaînées [doj.z.nu] (50)
La liaison n'a donc en portugais aucune raison d'être, ce qui équivaut, en FLE, à méconnaître son emploi et sous-estimer son utilité.
 
 
3.5.Distribution des voyelles à double timbre
 

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Last modified: 21-Mar-00