- LE
SERMON DES CINQUANTE
- (1762)
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- NOTICE:
Il est question du Sermon des cinquante dans une lettre
de Voltaire à Mme de Fontaine, du 11 juin 1764; mais
j'ai déjà dit que plusieurs lettres de Voltaire
avaient été refondues en une seule; ce qui ne
permet pas de les admettre toujours comme autorité. On
ne peut savoir rien de positif d'aprés les
éditions du Sermon des cinquante, qu'on trouve
dans les diverses éditions de l'Évangile de la
raison et du Recueil nécessaire.
L'édition du Sermon que je regarde comme la
première est un in-8° de vingt-sept pages, portant
le millésime 1749, et au-dessous cette note: On
l'attribue à M. du Martaine ou du Marsay, d'autres
à La Métrie; mais il est d'un grand prince
très instruit. C'est un prince respectable
que Voltaire en dit l'auteur dans ses Instructions à
Antoine-Jacques Roustan. Les mots grand prince
très instruit, et prince respectable,
désignent le roi de Prusse Frédéric II.
L'édition du Sermon des cinquante, en vingt-sept
pages in-8°, me paraît être sortie des
mêmes presses que les premières éditions de
l'Extrait des sentiments de Jean Meslier, et peut être du
même temps. J'ai donc cru pouvoir placer le Sermon en
1762. C'est à cette date que les éditeurs de Kehl
l'ont mis dans leur table chronologique; et une lettre de
Voltaire à Damilaville, du 10 octobre 1762, doit avoir
été écrite vers le temps où parut
l'édition en vingt-sept pages.
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- AVERTISSEMENT
DE L'ÉDITION DE KEHL.
Le premier alinéa de cet Avertissement est de
Decroix; le second, de Condorcet
- Nous donnons
ici le Sermon des cinquante tel qu'il a paru
séparément, et ensuite dans plusieurs recueils.
M. de Voltaire ne l'a point inscrit dans les éditions de
ses oeuvres faites sous ses yeux. On en retrouve le fond dans
les Homélies qui sont imprimées à la
suite.
- Cet ouvrage
est précieux: c'est le premier où M. de Voltaire,
qui n'avait jusqu'alors porté à la religion
chétienne que des attaques indirectes, osa l'attaquer de
front. Il parut peu de temps après la Profession de foi
du vicaire savoyard. M. de Voltaire fut un peu jaloux du
courage de Rousseau, et c'est peut-être le seul sentiment
de jalousie qu'il ait jamais eu; mais il surpassa bientôt
Rousseau en hardiesse, comme il le surpassait en
génie.
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- SERMON
DES CINQUANTE
- Cinquante
personnes instruites, pieuses, et raisonnables, s'as-semblent
depuis un an tous les dimanches dans une ville peuplée
et commerçante: elles font des prières,
après lesquelles un membre de la société
prononce un discours; ensuite on dîne, et après le
repas on fait une collecte pour les pauvres. Chacun
préside à son tour; c'est au président
à faire la prière et à prononcer le
sermon. Voici une de ces prières et un de ces
sermons.
- Si les
semences de ces paroles tombent dans une bonne terre, on ne
doute pas qu'elles ne fructifient.
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- PRIÈRE.
- Dieu de tous
les globes et de tous les êtres, la seule prière
qui puisse vous convenir est la soumission: car que demander
à celui qui a tout ordonné, tout prévu,
tout enchaîné, depuis l'origine des choses? Si
pourtant il est permis de représenter ses besoins
à un père, conservez dans nos coeurs cette
soumission même, conservez-y votre religion pure;
écartez de nous toute superstition: si l'on peut vous
insulter par des sacrifices indignes, abolissez ces
infâmes mystères; si l'on peut déshonorer
la Divinité par des fables absurdes, périssent
ces fables à jamais; si les jours du prince et du
magistrat ne sont point comptés de toute
éternité, prolongez la durée de leurs
jours; conservez la pureté de nos moeurs,
l'amitié que nos frères se portent, la
bienveillance qu'ils ont pour tous les hommes, leur
obéissance pour les lois, et leur sagesse dans la
conduite privée; qu'ils vivent et qu'ils meurent en
n'adorant qu'un seul Dieu, rémunérateur du bien,
vengeur du mal, un Dieu qui n'a pu naître ni mourir, ni
avoir des associés, mais qui a dans ce monde trop
d'enfants rebelles.
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- SERMON.
- Mes
frères, la religion est la voix secrète de Dieu,
qui parle à tous les hommes; elle doit tous les
réunir, et non les diviser: donc toute religion qui
n'appartient qu'à un peuple est fausse. La nôtre
est dans son principe celle de l'univers entier, car nous
adorons un Être suprême comme toutes les nations
l'adorent, nous pratiquons la justice que toutes les nations
enseignent, et nous rejetons tous ces mensonges que les peuples
se reprochent les uns aux autres. Ainsi, d'accord avec eux dans
le principe qui les concilie, nous différons d'eux dans
les choses où ils se combattent.
- Il est
impossible que le point dans lequel tous les hommes de tous les
temps se réunissent ne soit l'unique centre de la
vérité, et que les points dans lesquels ils
diffèrent tous ne soient les étendards du
mensonge. La religion doit être conforme à la
morale, et universelle comme elle: ainsi toute religion dont
les dogmes offensent la morale est certainement fausse. C'est
sous ce double aspect de perversité et de
fausseté que nous examinerons dans ce discours les
livres des Hébreux et de ceux qui leur ont
succédé. Voyons d'abord si ces livres sont
conformes à la morale, ensuite nous verrons s'ils
peuvent avoir quelque ombre de vraisemblance. Les deux premiers
points seront pour l'Ancien Testament, et le troisième
pour le Nouveau.
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- PREMIER
POINT.
- Vous savez,
mes frères, quelle horreur nous a saisis lorsque nous
avons lu ensemble les écrits des Hébreux, en
portant seulement notre attention sur tous les traits contre la
pureté, la charité, la bonne foi, la justice, et
la raison universelle, que non seulement on trouve dans chaque
chapitre, mais que, pour comble de malheur, on y trouve
consacrés.
- Premièrement,
sans parler de l'injustice extravagante dont on ose charger
l'Être suprême, d'avoir donné la parole
à un serpent pour séduire une femme, et perdre
l'innocente postérité de cette femme, suivons
pied à pied toutes les horreurs historiques qui
révoltent la nature et le bon sens. Un des premiers
patriarches, Loth, neveu d'Abraham, reçoit chez lui deux
anges déguisés en pèlerins; les habitants
de Sodome conçoivent des désirs impudiques pour
les deux anges; Loth, qui avait deux jeunes filles promises en
mariage, offre de les prostituer au peuple à la place de
ces deux étrangers. Il fallait que ces filles fussent
étrangement accoutumées à être
prostituées, puisque la première chose qu'elles
font après que leur ville a été
consumée par une pluie de feu, et que leur mère a
été changée en une statue de sel, c'est
d'enivrer leur père deux nuits de suite pour coucher
avec lui l'une après l'autre: cela est imité de
l'ancienne fable arabique de Cyniras et de Myrrha; mais, dans
cette fable bien plus honnête, Myrrha est punie de son
crime, au lieu que les filles de Loth sont
récompensées par la plus grande et la plus
chère des bénédictions selon l'esprit
juif, elles sont mères d'une nombreuse
postérité.
- Nous
n'insisterons point sur le mensonge d'Isaac, père des
justes, qui dit que sa femme est sa soeur, soit qu'il ait
renouvelé ce mensonge d'Abraham, soit qu'Abraham
fût coupable en effet d'avoir fait de sa soeur sa propre
femme; mais arrêtons-nous un moment au patriarche Jacob,
qu'on nous donne comme le modèle des hommes. Il force
son frère, qui meurt de faim, de lui céder son
droit d'aînesse pour une assiette de lentilles; ensuite
il trompe son vieux père au lit de la mort; après
avoir trompé son père, il trompe et vole son
beau-père Laban: c'est peu d'épouser deux soeurs,
il couche avec toutes ses servantes; et Dieu bénit cette
incontinence et ces fourberies. Quelles sont les actions des
enfants d'un tel père? Dina sa fille plaît
à un prince de Sichem, et il est vraisemblable qu'elle
aime ce prince, puisqu'elle couche avec lui; le prince la
demande en mariage, on la lui accorde à condition qu'il
se fera circoncire, lui et son peuple. Ce prince accepte la
proposition; mais, sitôt que lui et les siens se sont
fait cette opéra-tion douloureuse, qui pourtant leur
devait laisser assez de forces pour se défendre, la
famille de Jacob égorge tous les hommes de Sichem, et
fait esclaves les femmes et les enfants.
- Nous avons,
dans notre enfance, entendu l'histoire de Thyeste et de
Pélopée ; cette incestueuse abomination est
renouvelée dans Juda, le patriarche et le père de
la première tribu: il couche avec sa belle-fille,
ensuite il veut la faire mourir. Ce livre, après cela,
suppose que Joseph, un enfant de cette famille errante, est
vendu en Egypte, et que cet étranger y est établi
premier ministre pour avoir expliqué un songe. Mais quel
premier ministre qu'un homme qui, dans un temps de famine,
oblige toute une nation de se faire esclave pour avoir du pain!
Quel magistrat parmi nous, dans un temps de famine, oserait
proposer un marché si abomi-nable? et quelle nation
accepterait cet infâme marché? N'examinons point
ici comment soixante et dix personnes de la famille de Joseph,
qui s'établirent en Egypte, purent, en deux cent quinze
ans, se multiplier jusqu'à six cent mille combattants,
sans compter les femmes, les vieillards et les enfants: ce qui
devait composer une multitude de près de deux millions
d'âmes. Ne discutons point comment le texte porte quatre
cent trente ans, lorsque le même texte en a porté
deux cent quinze. Le nombre infini de contradictions, qui sont
le sceau de l'imposture, n'est pas ici l'objet qui doit nous
arrêter. Écartons pareillement les prodiges
ridicules de Moïse, et des enchanteurs de Pharaon, et tous
ces miracles faits pour donner au peuple juif un malheureux
coin de mauvaise terre, qu'ils achètent ensuite par le
sang et par le crime, au lieu de leur donner la fertile terre
d'Egypte où ils étaient. Tenons-nous-en à
cette voie affreuse d'iniquité par laquelle on le fait
marcher. Leur Dieu avait fait de Jacob un voleur, et il fait
des voleurs de tout un peuple; il ordonne à son peuple
de dérober et d'emporter tous les vases d'or et
d'argent, et tous les ustensiles des Égyptiens.
Voilà donc ces misérables, au nombre de six cent
mille combattants, qui, au lieu de prendre les armes en gens de
coeur, s'enfuient en brigands conduits par leur Dieu. Si ce
Dieu leur avait voulu donner une bonne terre, il pouvait leur
donner l'Égypte; mais non: il les conduit dans un
désert. Ils pouvaient se sauver par le chemin le plus
court, et ils se détournent de plus de trente milles
pour passer la mer Rouge à pied sec. Après ce
beau miracle, le propre frère de Moïse leur fait un
autre dieu, et ce dieu est un veau. Pour punir son
frère, le même Moïse ordonne à des
prêtres de tuer leurs fils, leurs frères, leurs
pères; et ces prêtres tuent vingt-trois mille
Juifs, qui se laissent égorger comme des
bêtes.
- Après
cette boucherie, il n'est pas étonnant que ce peuple
abominable sacrifie des victimes humaines à son dieu,
qu'il appelle Adonaï, du nom d'Adonis, qu'il emprunte des
Phéniciens Le vingt-neuvième verset du chapitre
XXVII du Lévitique défend
expressément de racheter les hommes
dévoués à l'anathème du sacrifice,
et c'est sur cette loi de cannibales que Jephté, quelque
temps après, immole sa propre fille.
- Ce
n'était pas assez de vingt-trois mille hommes
égorgés pour un veau, on nous en compte encore
vingt-quatre mille autres immolés pour avoir eu commerce
avec des filles idolâtres: digne prélude, digne
exemple, mes frères, des persécutions en
matière de religion.
- Ce peuple
avance dans les déserts et dans les rochers de la
Palestine. Voilà votre beau pays, leur dit Dieu ;
égorgez tous les habitants, tuez tous les enfants
mâles, faites mourir les femmes mariées,
réservez pour vous toutes les petites filles. Tout cela
est exécuté à la lettre selon les livres
hébreux; et nous frémirions d'horreur à ce
récit si le texte n'ajoutait pas que les Juifs
trouvèrent dans le camp des Madianites 675,000 brebis,
72,000 boeufs, 61,000 ânes, et 32,000 pucelles.
L'absurdité dément heureusement ici la barbarie;
mais, encore une fois, ce n'est pas ici que j'examine le
ridicule et l'impossible; je m'arrête à ce qui est
exécrable.
- Après
avoir passé le Jourdain à pied sec, comme la mer,
voilà ce peuple dans la terre promise. La
première personne qui introduit par une trahison ce
peuple saint est une prostituée nommée Rahab.
Dieu se joint à cette prostituée; il fait tomber
les murs de Jéricho au bruit de la trompette; le saint
peuple entre dans cette ville, sur laquelle il n'avait, de son
aveu, aucun droit, et il massacre les hommes, les femmes, et
les enfants. Passons sous silence les autres carnages, les rois
crucifiés, les prétendues guerres contre les
géants de Gaza et d'Ascalon, et le meurtre de ceux qui
ne pouvaient prononcer le mot Shiboleth.
- Écoutons
cette belle aventure
- Un
lévite arrive sur son âne, avec sa femme, à
Gabaa dans la tribu de Benjamin; quelques Benjamites voulant
absolument commettre le péché de Sodome avec le
lévite, ils assouvissent leur brutalité sur la
femme, qui meurt de cet excès; il fallait punir les
coupables: point du tout. Les onze tribus massacrent toute la
tribu de Benjamin; il n'en échappe que six cents hommes;
mais les onze tribus sont enfin fâchées de voir
périr une des douze, et, pour y remédier, ils
exterminent les habitants d'une de leurs propres villes pour y
prendre six cents filles qu'ils donnent aux six cents
Benjamites survivants pour perpétuer cette belle
race.
- Que de
crimes commis au nom du Seigneur! ne rapportons que celui de
l'homme de Dieu, Aod. Les Juifs, venus de si loin pour
conquérir, sont soumis aux Philistins; malgré le
Seigneur, ils ont juré obéissance au roi
Églon: un saint juif, c'est Aod, demande à parler
tête à tête avec le roi de la part de Dieu.
Le roi ne manque pas d'accorder l'audience; Aod l'assassine, et
c'est de cet exemple qu'on s'est servi tant de fois chez les
chrétiens pour trahir, pour perdre, pour massacrer tant
de souverains.
- Enfin la
nation chérie, qui avait été ainsi
gouvernée par Dieu même, veut avoir un roi; de
quoi le prêtre Samuel est bien
fâché.
- Le premier
roi juif renouvelle la coutume d'immoler des hommes: Saül
ordonna prudemment que personne ne mangeât de tout le
jour pour mieux combattre les Philistins, et pour que ses
soldats eussent plus de force et de vigueur; il jura au
Seigneur de lui immoler celui qui aurait mangé:
heureusement le peuple fut plus sage que lui; il ne permit pas
que le fils du roi fût sacrifié pour avoir
mangé un peu de miel. Mais voici, mes frères,
l'action la plus détestable et la plus consacrée:
il est dit que Saül prend prisonnier un roi du pays,
nommé Agag; il ne tua point son prisonnier; il en agit
comme chez les nations humaines et polies. Qu'arriva-t-il? le
Seigneur en est irrité, et voici Samuel, prêtre du
Seigneur, qui lui dit: «Vous êtes
réprouvé pour avoir épargné un roi
qui s'est rendu à vous»; et aussitôt ce
prêtre bou-cher coupe Agag par morceaux. Que dirait-on,
mes frères, si, lorsque l'empereur Charles-Quint eut un
roi de France en ses mains, son chapelain fût venu lui
dire: Vous êtes damné pour n'avoir pas tué
François Ier, et que ce chapelain eût
égorgé ce roi de France aux yeux de l'empereur,
et en eût fait un hâchis. Mais que dirons-nous du
saint roi David, de celui qui est agréable devant le
Dieu des Juifs, et qui mérite que le messie vienne de
ses reins? Ce bon roi David fait d'abord le métier de
brigand: il rançonne, il pille tout ce qu'il trouve; il
pille entre autres un homme riche nommé Nabal, et il
épouse sa femme. Il se réfugie chez le roi Achis,
et va, pendant la nuit, mettre à feu et à sang
les villages de ce roi Achis son bienfaiteur: il égorge,
dit le texte sacré, hommes, femmes, enfants, de peur
qu'il ne reste quelqu'un pour en porter la nouvelle. Devenu
roi, il ravit la femme d'Urie, fait tuer le mari; et c'est de
cet adultère homicide que vient le messie, le fils de
Dieu, Dieu lui-même: ô blasphème! Ce David,
devenu ainsi l'aïeul de Dieu pour récompense de son
horrible crime, est puni pour la seule bonne et sage action
qu'il ait faite.
- Il n'y a pas
de prince bon et prudent qui ne doive savoir le nombre de son
peuple, comme tout pasteur doit savoir le nombre de son
troupeau. David fait le dénombrement, sans qu'on nous
dise pourtant combien il avait de sujets, et c'est pour avoir
fait ce sage et utile dénombrement qu'un prophète
vient de la part de Dieu lui donner à choisir, de la
guerre, de la peste, ou de la famine.
- Ne nous
appesantissons pas, mes chers frères, sur les barbaries
sans nombre des rois de Juda et d'Israël, sur ces meurtres
et sur ces attentats, toujours mêlés de contes
ridicules; ce ridicule pourtant est toujours sanguinaire, et il
n'y a pas jusqu'au prophète Elisée qui ne soit
barbare. Ce digne dévot fait dévorer quarante
enfants par des ours, parce que ces petits innocents l'avaient
appelé tête chauve. Laissons là cette
nation atroce dans sa captivité de Babylone, et dans son
esclavage sous les Romains, avec toutes les belles promesses de
leur dieu Adonis ou Adonaï, qui avait si souvent
assuré aux Juifs la domination de toute la terre. Enfin,
sous le gouvernement sage des Romains, il naît un roi aux
Hébreux, et ce roi, mes frères, ce Shilo, ce
messie, vous savez qui il est: c'est celui qui, ayant d'abord
été mis dans le grand nombre de ces
prophètes sans mission, qui, n'ayant pas le sacerdoce,
se faisaient un métier d'être inspirés, a
été, au bout de quelques centuries,
regardé comme un Dieu. N'allons pas plus loin; voyons
sur quels prétextes, sur quels faits, sur quels
miracles, sur quelles prédictions, enfin, sur quel
fondement est bâtie cette dégoûtante et
abominable histoire.
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- DEUXIÈME
POINT.
- O mon Dieu!
si tu descendais toi-même sur la terre, si tu me
commandais de croire ce tissu de meurtres, de vols,
d'assassinats, d'incestes, commis par ton ordre et en ton nom,
je te dirais: «Non, ta sainteté ne veut pas que
j'acquiesce à ces choses horribles qui t'outragent; tu
veux m'éprouver sans doute.»
- Comment
donc, vertueux et sages auditeurs, pourrions-nous croire cette
affreuse histoire sur les témoignages misérables
qui nous en restent?
- Parcourons
d'une manière sommaire ces livres si faussement
imputés à Moïse; je dis faussement, car il
n'est pas possible que Moïse ait parlé de choses
arrivées longtemps après lui, et nul de nous ne
croirait que les Mémoires de Guillaume, prince d'Orange,
fussent de sa main, si dans ces Mémoires il était
parlé de faits arrivés après sa mort.
Parcourons, dis-je, ce qu'on nous raconte sous le nom de
Moïse. D'abord Dieu fait la lumière qu'il nomme
jour puis les ténèbres qu'il nomme
nuit, et ce fut le premier jour. Ainsi il y eut des
jours avant que le soleil fût fait.
- Puis le
sixième jour, Dieu fait l'homme et la femme; mais
l'auteur, oubliant que la femme était déjà
faite, la tire ensuite d'une côte d'Adam. Adam et
Ève sont mis dans un jardin d'où il sort quatre
fleuves; et parmi ces quatre fleuves il y en a deux, 1'Euphrate
et le Nil, qui ont leur source à mille lieues l'un de
l'autre. Le serpent parlait alors comme l'homme; il
était le plus fin des animaux des champs; il persuade
à la femme de manger une pomme, et la fait ainsi chasser
du paradis. Le genre humain se multiplie, et les enfants de
Dieu deviennent amoureux des filles des hommes. Il y avait des
géants sur la terre, et Dieu se repentit d'avoir fait
l'homme: il voulut donc l'exterminer par le déluge; mais
il voulut sauver Noé, et lui commanda de faire un
vaisseau de trois cents coudées de bois de peuplier.
Dans ce seul vaisseau doivent entrer sept paires de tous les
animaux mondes, et deux des immondes; il fallait donc les
nourrir pendant dix mois que l'eau fut sur la terre. Or vous
voyez ce qu'il eût fallu pour nourrir quatorze
éléphants, quatorze chameaux, quatorze buffles,
autant de chevaux, d'ânes, d'élans, de cerfs, de
daims, de serpents, d'autruches, enfin plus de deux mille
espèces. Vous me demanderez où l'on avait pris
l'eau pour l'élever sur toute la terre, quinze
coudées au-dessus des plus hautes montagnes? Le texte
répond que cela fut pris dans les cataractes du ciel.
Dieu sait où sont ces cataractes. Dieu fait,
après le déluge, une alliance avec Noé et
avec tous les animaux; et, pour confirmer cette alliance, il
institue l'arc-en-ciel.
- Ceux qui
écrivaient cela n'étaient pas, comme vous voyez,
grands physiciens. Voilà donc Noéqui a une
religion donnée de Dieu, et cette religion n'est ni la
juive ni la chrétienne. La postérité de
Noé veut bâtir une tour qui aille jusqu'au ciel;
belle entreprise! Dieu la craint; il fait parler plusieurs
langues différentes en un moment aux ouvriers, qui se
dispersent. Tout est dans cet ancien goût
oriental.
- C'est une
pluie de feu qui change les villes en lac; c'est la femme de
Loth changée en une statue de sel; c'est Jacob qui se
bat toute une nuit contre un ange, et qui est blessé
à la cuisse; c'est Joseph vendu esclave en Egypte, qui
devient premier ministre pour avoir expliqué un
rêve. Soixante et dix personnes de sa famille
s'établissent en Egypte, et en deux cent quinze ans se
multiplient, comme nous l'avons vu, jusqu'à deux
millions. Ce sont ces deux millions d'Hébreux qui
s'enfuient d'Egypte, et qui prennent le plus long pour avoir le
plaisir de passer la mer à sec.
- Mais ce
miracle n'a rien d'étonnant; les magiciens de Pharaon en
faisaient de fort beaux, et ils en savaient presque autant que
Moïse: ils changeaient comme lui une verge en serpent; ce
qui est une chose toute simple.
- Si
Moïse changeait les eaux en sang, ainsi faisaient les
sages de Pharaon. Il faisait naître des grenouilles, et
eux aussi. Mais ils furent vaincus sur l'article des poux; les
Juifs, en cette partie, en savaient plus que les autres
nations.
- Enfin
Adonaï fait mourir chaque premier-né d'Egypte pour
laisser partir son peuple à son aise. La mer se
sépare pour ce peuple, c'était bien le moins
qu'on pût faire en cette occasion; tout le reste est de
la même force. Ces peuples errent dans le désert.
Quelques maris se plaignent de leurs femmes; aussitôt il
se trouve une eau qui fait enfler et crever toute femme qui a
forfait à son honneur. Ils n'ont ni pain ni pâte;
on leur fait pleuvoir des cailles et de la manne. Leurs habits
se conservent quarante ans, et croissent avec les enfants; il
descend apparem-ment des habits du ciel pour les enfants
nouveau-nés.
- Un
prophète du voisinage veut maudire ce peuple, mais son
ânesse s'y oppose avec un ange, et l'ânesse parle
très raisonnablement et assez longtemps au
prophète.
- Ce peuple
attaque-t-il une ville, les murailles tombent au son des
trompettes, comme Amphion en bâtissait au son de sa
flûte. Mais voici le plus beau: cinq rois
amorrhéens, c'est-à-dire cinq chefs de village,
tâchent de s'opposer aux ravages de Josué; ce
n'est pas assez qu'ils soient vaincus et qu'on en fasse un
grand carnage, le seigneur Adonaï fail pleuvoir sur les
fuyards une grosse pluie de pierres. Ce n'est pas encore assez;
il échappe quelques fugitifs, et pour donner à
Israël tout le temps de les poursuivre, la nature suspend
ses lois éternelles: le soleil s'arrête à
Gabaon, et la lune sur Aïalon. Nous ne comprenons pas trop
comment la lune était de la partie, mais enfin le livre
de Josué ne permet pas d'en douter, et il cite, pour son
garant, le livre du Droiturier. Vous remarquerez, en
passant, que ce livre du Droiturier est cité dans
les Paralipomènes; c'est comme si l'on vous
donnait pour authentique un livre du temps de Charles-Quint,
dans lequel on citerait Puffendorf. Mais passons. De miracles
en miracles nous arrivons jusqu'à Samson,
représenté comme un fameux paillard, favori de
Dieu; celui-là, parce qu'il n'était pas
rasé, défait mille Philistins avec une
mâchoire d'âne, et attache par la queue trois cents
renards qu'il trouve à point nommé.
- Il n'y a
presque pas une page qui ne présente de pareils contes:
ici, c'est l'ombre de Samuel qui paraît à la voix
d'une sorcière; là, c'est l'ombre d'un cadran
(supposé que ces misérables eussent des cadrans)
qui recule de dix degrés à la prière
d'Ezéchias, qui demande judicieusement ce signe. Dieu
lui donne le choix de faire avancer ou reculer l'heure, et le
docte Ézéchias trouve qu'il n'est pas difficile
de faire avancer l'ombre, mais bien de la reculer.
- C'est
Élie qui monte au ciel dans un char de feu; ce sont des
enfants qui chantent dans une fournaise ardente. Je n'aurais
jamais fait si je voulais entrer dans le détail de
toutes les extra-vagances inouïes dont ce livre fourmille;
jamais le sens commun ne fut attaqué avec tant
d'indécence et de fureur.
- Tel est,
d'un bout à l'autre, cet Ancien Testament, le
père du Nouveau, père qui désavoue son
fils, et qui le tient pour un enfant bâtard et rebelle:
car les juifs, fidèles à la loi de Moïse,
regardent avec exécration le christianisme,
élevé sur les ruines de cette loi. Mais les
chrétiens, à force de subtilités, ont
voulu justifier le Nouveau Testament par l'Ancien même.
Ainsi, ces deux religions se combattent avec les mêmes
armes; elles appellent en témoignage les mêmes
prophètes; elles attestent les mêmes
prédictions.
- Les
siècles à venir, qui auront vu passer ces cultes
insensés, et qui peut-être, hélas! en
renverront d'autres non moins indi-gnes de Dieu et des hommes,
pourront-ils croire que le judaïsme et le christianisme se
soient appuyés sur de tels fondements, sur ces
prophéties? Et quelles prophéties!
Écoutez: Le prophète Isaïe est appelé
par le roi Achaz, roi de Juda, pour lui faire quelques
prédictions, selon la coutume vaine et superstitieuse de
tout l'Orient, car ces prophètes étaient, comme
vous le savez, des gens qui se mêlaient de deviner pour
gagner quelque chose, ainsi qu'il y en avait encore beaucoup en
Europe dans le siècle passé, et surtout parmi le
petit peuple. Le roi Achaz, assiégé dans
Jérusalem par Salmanazar, qui avait pris Samarie,
demanda donc au devin une prophétie et un signe.
Isaïe lui dit: Voici le signe.
- "Une fille
sera engrossée, elle enfantera un fils qui aura nom
Emmanuel; il mangera du beurre et du miel jusqu'à ce
qu'il sache rejeter le mal et choisir le bien; et avant que cet
enfant soit en cet état, la terre que tu as en
détestation sera abandonnée par ses deux rois; et
l'Éternel sifflera aux mouches qui sont sur les bords
des ruisseaux d'Egypte et d'Assur; et le Seigneur prendra un
rasoir de louage, et fera la barbe au roi d'Assur; il lui
rasera la tête et le poil des pieds".
- Après
cette belle prédiction, rapportée dans
Isaïe, et dont il n'est pas dit un mot dans le livre des
Rois, le prophète est chargé lui-même de
l'exécution. Le Seigneur lui commande d'abord
d'écrire, dans un grand rouleau, qu'on se hâte de
butiner: il hâte le pillage, puis, en
présence de témoins, il couche avec une fille, et
lui fait un enfant; mais au lieu de l'appeler Emmanuel, il lui
donne le nom de Maher Salal-has-bas. Voilà, mes
frères, ce que les chrétiens ont
détourné en faveur de leur Christ: voilà
la prophétie qui établit le christianisme. La
fille à qui le prophète fait un enfant, c'est
incontestablement la Vierge Marie; Maher Salal-has-bas,
c'est Jésus-Christ; pour le beurre et le
miel, je ne sais pas ce que c'est. Chaque devin prédit
aux Juifs leur délivrance, quand ils sont captifs; et
cette délivrance, c'est, selon les chrétiens, la
Jérusalem céleste, et l'Église de nos
jours. Tout est prédiction chez les Juifs; mais chez les
chrétiens, tout est miracle, et toutes ces
prédictions sont des figures de
Jésus-Christ.
- Voici, mes
frères, une de ces belles et éclatantes
prédictions: le grand prophète Ezéchiel
voit un vent d'aquilon, et quatre animaux, et des roues de
chrysolite toutes pleines d'yeux, et l'Éternel lui dit:
Lève-toi, mange un livre, et puis
va-t'en.
- L'Éternel
lui commande de dormir trois cent quatrevingt-dix jours sur le
côté gauche, et ensuite quarante sur le
côté droit. L'Éternel le lie avec des
cordes; ce prophète était assurément un
homme à lier: nous ne sommes pas au bout. Puis-je
répéter sans vomir ce que Dieu ordonne à
Ézéchiel? Il le faut. Dieu lui ordonne de manger
du pain d'orge cuit avec de la merde. Croirait-on que le plus
sale faquin de nos jours pût imaginer de pareilles
ordures? Oui, mes frères, le prophète mange son
pain d'orge avec ses excréments: il se plaint que ce
déjeuner lui répugne un peu, et Dieu, par
accommodement, lui permet de ne plus mêler à son
pain que de la fiente de vache. C'est donc là un type,
une figure de l'Église de
Jésus-Christ.
- Après
cet exemple, il est inutile d'en rapporter d'autres, de perdre
notre temps à combattre toutes les rêveries
dégoûtantes et abominables qui font le sujet des
disputes entre les juifs et les chrétiens: contentons
nous de déplorer l'aveuglement le plus à plaindre
qui ait jamais offusqué la raison humaine;
espérons que cet aveuglement finira comme tant d'autres;
et venons au Nouveau Testament, digne suite de ce que
nous venons de dire.
-
-
- TROISIEME
POINT. Du Nouveau Testament.
- C'est en
vain que les Juifs furent un peu plus éclairés du
temps d'Auguste que dans les siècles barbares dont nous
venons de parler; c'est en vain que les Juifs
commencèrent à connaître
l'immortalité de l'âme, dogme inconnu à
Moïse, et les récompenses de Dieu après la
mort des justes, comme les punitions (quelles qu'elles soient)
pour les méchants, dogme non moins ignoré de
Moïse. La raison n'en perça pas davantage chez le
misérable peuple dont est sortie cette religion
chrétienne, qui a été la source de tant de
divisions, de guerres civiles et de crimes, qui a fait couler
tant de sang, et qui est partagée en tant de sectes
ennemies dans les coins de la terre où elle
règne.
- Il y eut
toujours chez les Juifs des gens de la lie du peuple qui firent
les prophètes pour se distinguer de la populace: voici
celui qui a fait le plus de bruit, et dont on a fait un dieu;
voici le précis de son histoire en peu de mots, telle
qu'elle est rapportée dans les livres qu'on nomme
Évangiles. Ne cherchons point (*) dans quel temps
ces livres ont été écrits, quoiqu'il soit
évident qu'ils l'ont été après la
ruine de Jérusalem. Vous savez avec quelle
absurdité les quatre auteurs se contredisent; c'est une
preuve démonstrative de mensonge. Hélas! nous
n'avons pas besoin de tant de preuves pour ruiner ce malheureux
édifice; contentons-nous d'un récit court et
fidèle.
- * Voici ce
qu'on lit dans l'édition portant le millésime
1749: "Si on veut savoir en quel temps ces quatre
évangiles ont été écrits, il est
évident qu'ils l'ont été après la
prise de Jérusalem. Car, au chapitre
vingt-troisième du livre attribué à
Matthieu, Jésus dit aux prêtres: Serpents, race de
vipères, etc., tombe sur vous tout le sang innocent
répandu depuis le sang d'Abel le juste, jusqu'au sang de
Zacharie, fils de Baruch, tué entre le temple et
l'autel! il n'est parlé, mes frères, d'un
Zacharie, fils de Baruch, tué entre le temple et
l'autel, que dans l'histoire du siège de
Jérusaletn, par Flavius Joséphe. Donc il est
démontré que cet évangile ne fut
écrit qu'après le livre de Josèphe. Vous
savezÖ.. "
- D'abord on
fait Jésus descendant d'Abraham et de David, et
l'écrivain Matthieu compte quarante-deux
générations en deux mille ans; mais, dans son
compte, il ne s'en trouve que quarante et une, et dans cet
arbre généalogique qu'il tire des livres des
Rois, il se trompe encore lourdement en donnant Josias
pour père à Jéchonias.
- Luc donne
aussi une généalogie; mais il y met cinquante six
générations depuis Abraham, et ce sont des
générations toutes différentes. Enfin,
pour comble, ces généalogies sont celles de
Joseph, et les évangélistes assurent que
Jésus n'est pas fils de Joseph. En vérité,
serait-on reçu dans un chapitre d'Allemagne sur de
telles preuves de noblesse? et c'est du fils de Dieu dont il
s'agit! Et c'est Dieu lui-même qui est l'auteur de ce
livre!
- Matthieu dit
que, quand ce Jésus, roi des Juifs, fut né dans
une étable dans la ville de Bethléem, trois mages
ou trois rois virent son étoile en Orient, qu'ils
suivirent cette étoile, laquelle s'arrêta sur
Bethléem, et que le roi Hérode, ayant entendu ces
choses, fit massacrer tous les petits enfants au-dessous de
deux ans: y a-t-il une horreur plus ridicule? Matthieu ajoute
que le père et la mère emmenèrent le petit
enfant en Égypte, et y restérent jusqu'à
la mort d'Hérode.
- Luc dit
formellement le contraire il marque que Joseph et Marie
restèrent paisiblement durant six semaines à
Bethléem, qu'ils allèrent à
Jérusalem, de là à Nazareth, et que tous
les ans ils allaient à Jérusalem.
- Les
évangélistes se contredisent sur le temps de la
vie de Jésus, sur les miracles, sur le jour de la
cène, sur celui de sa mort, sur les apparitions
après sa mort, en un mot, sur presque tous les faits. Il
y avait quarante-neuf évangiles faits par les
chrétiens des premiers siècles, qui se
contredisaient tous encore davantage: enfin l'on choisit les
quatre qui nous restent; mais quand même ils seraient
tous d'accord, que d'inepties, grand Dieu! que de
misères! que de choses puériles et
odieuses!
- La
première aventure de Jésus, c'est-à-dire
du fils de Dieu, c'est d'être enlevé par le
diable: car le diable, qui n'a point paru dans le livre de
Moïse, joue un grand rôle dans l'Évangile. Le
diable donc emporte Dieu sur une montagne dans le
désert; il lui montre de là tous les royaumes de
la terre. Quelle est cette montagne d'où l'on
découvre tant de pays? Nous n'en savons rien. Le Diable
propose tout uniment à Dieu de l'adorer! Concevez-vous,
mes frères, un blasphème plus
ridicule?
- Jean
rapporte que Jésus va à une noce, et qu'il y
change l'eau en vin; qu'il chasse du parvis du temple ceux qui
vendaient des animaux pour les sacrifices ordonnés par
la loi. Cette superstition misérable était
adopté déjà par un peuple ignorant, qui
n'ayant point de médecins croyait comme les sauvages que
la plupart des maladies étaient causées par des
esprits malins. On les exorcisait avec la racine barath et la
clavicule de Salomon.
- Il
délivre donc en passant un possédé qui
avait une légion de démons, et il fait entrer ces
démons dans un troupeau de cochons, qui se
précipitent dans la mer de Tibériade; on peut
croire que les maîtres de ces cochons, qui apparemment
n'étaient pas Juifs, ne furent pas contents de cette
farce. Il guérit un aveugle, et cet aveugle voit des
hommes comme si c'étaient des arbres.
- Il veut
manger des figues en hiver, il en cherche sur un figuier, et,
n'en trouvant point, il maudit l'arbre et le fait
sécher; et le texte ne manque pas d'ajouter prudemment:
car ce n'était pas le temps des figues.
- Il se
transforme pendant la nuit, et il fait venir Moïse et
Élie...En vérité, les contes des sorciers
approchent-ils de ces imperti-nences? Cet homme, qui disait
continuellement des injures atroces aux pharisiens, qui les
appelait races de vipères, sépulcres blanchis,
est enfin traduit par eux à la justice, et
supplicié avec deux voleurs; et ses historiens ont le
front de nous dire qu'à sa mort la terre a
été couverte d'épaisses
ténèbres en plein midi, et en pleine lune: comme
si tous les écrivains de ce temps-là n'auraient
pas parlé d'un si étrange miracle. Après
cela il ne coûte rien de se dire ressuscité, et de
prédire la fin du monde, qui n'est pourtant pas
arrivée.
- La secte de
ce Jésus subsiste cachée, le fanatisme
l'augmente; on n'ose pas d'abord faire de cet homme un Dieu,
mais bientôt on s'encourage. Je ne sais quelle
métaphysique de Platon s'amalgame avec la secte
nazaréenne: on fait de Jésus le logos, le
Verbe-Dieu, puis consubstantiel à Dieu son père.
On imagine la Trinité, et, pour la faire croire, on
falsifie les premiers évangiles.
- On ajoute un
passage touchant cette Trinité, de même qu'on
falsifie l'historien Josèphe, pour lui faire dire un mot
de Jésus, quoique Josèphe soit un historien trop
grave pour avoir fait mention d'un tel homme. On va
jusqu'à supposer des vers des sibylles; on suppose des
Canons des apôtres, des Constitutions des apôtres,
un Symbole des apôtres, un voyage de Simon Pierre
à Rome, un assaut de miracles entre ce Simon et un autre
Simon prétendu magicien. En un mot, point d'artifices,
de fraudes, d'impostures, que les nazaréens ne mettent
en oeuvre: et après cela on vient nous dire
tranquillement que les apôtres prétendus n'ont pu
être ni trompés ni trompeurs, et qu'il faut croire
à des témoins qui se sont fait égorger
pour soutenir leurs dépositions.
- O malheureux
trompeurs et trompés qui parlez ainsi! quelle preuve
avez-vous que ces apôtres ont écrit ce qu'on met
sous leur nom? si on a pu supposer des canons, n'a-t-on pas pu
supposer des évangiles? N'en reconnaissez-vous pas
vous-mêmes de supposés? Qui vous a dit que les
apôtres sont morts pour soutenir leur témoignage?
Il n'y a pas un seul historien contemporain qui ait seulement
parlé de Jésus et de ses apôtres. Avouez
que vous soutenez des mensonges par des mensonges; avouez que
la fureur de dominer sur les esprits, le fanatisme et le temps
dut élevé cet édifice qui croule
aujourd'hui de tous côtés, masure que la raison
déteste, et que l'erreur veut soutenir.
- Au bout de
trois cents ans, ils viennent à bout de faire
reconnaître ce Jésus pour un dieu; et, non
contents de ce blasphème, ils poussent ensuite
l'extravagance jusqu'à mettre ce dieu dans un morceau de
pâte; et tandis que leur dieu est mangé des
souris, qu'on le digère, qu'on le rend avec les
excréments, ils soutiennent qu'il n'y a pas de pain dans
leur hostie, que c'est Dieu seul qui s'est mis à la
place du pain, à la voix d'un homme. Toutes les
superstitions viennent en foule inonder l'Église; la
rapine y préside; on vend la rémission des
pêchés, on vend les indulgences ainsi que les
bénéfices, et tout est à
l'enchère.
- Cette secte
se partage en une multitude de sectes: dans tous les temps on
se bat, on s'égorge, on s'assassine. A chaque dispute,
les rois, les princes, sont massacrés.
- Tel est le
fruit, mes très chers frères, de l'arbre de la
croix, de la potence qu'on a divinisée.
- Voilà
donc pourquoi on ose faire venir Dieu sur la terre! pour livrer
l'Europe pendant des siècles au meurtre et au
brigandage.
- Il est vrai
que nos pères ont secoué une partie de ce joug
affreux; qu'ils se sont défaits de quelques erreurs, de
quelques superstitions; mais, bon Dieu, qu'ils ont
laissé l'ouvrage imparfait! Tout nous dit qu'il est
temps d'achever et de détruire de fond en comble l'idole
dont nous avons à peine brisé quelques doigts.
Déjà une foule de théologiens embrasse le
socinianisme, qui approche beaucoup de l'adoration d'un seul
Dieu, dégagée de su-perstition. L'Angleterre,
l'Allemagne, nos provinces, sont pleines de docteurs sages qui
ne demandent qu'à éclater; il y en a aussi un
grand nombre dans d'autres pays: pourquoi donc attendre plus
longtemps? pourquoi ne pas adorer Dieu en esprit et en
vérité? pourquoi s'obstiner à enseigner ce
qu'on ne croit pas, et se rendre coupable envers Dieu de ce
péché énorme?
- On nous dit
qu'il faut des mystères au peuple, qu'il faut le
tromper. Eh! mes frères, peut-on faire cet outrage au
genre humain? Nos pères n'ont-ils pas déjà
ôté au peuple la transsubstantiation, l'adoration
des créatures et des os des morts, la confession
auriculaire, les indulgences, les exorcismes, les faux
miracles, et les images ridicules? Le peuple ne s'est-il pas
accoutumé à la privation de ces aliments de la
superstition? Il faut avoir le courage de faire encore quelques
pas: le peuple n'est pas si imbécile qu'on le pense; il
recevra sans peine un culte sage et simple d'un Dieu unique,
tel qu'on nous dit qu'Abraham et Noé le professaient,
tel que tous les sages de l'antiquité l'ont
professé, tel qu'il est reçu à la Chine
par tous les lettrés. Nous ne prétendons pas
dépouiller les prêtres de ce que la
libéralité des peuples leur a donné; mais
nous voudrions que ces prêtres, qui se raillent pres-que
tous secrètement des mensonges qu'ils débitent,
se joignissent à nous pour prêcher la
vérité. Qu'ils y prennent garde, ils offen-sent,
ils déshonorent la Divinité, et alors ils la
glorifieraient. Que de biens inestimables seraient produits par
un si heureux changement! les princes et les magistrats en
seraient mieux obéis; les peuples, plus tranquilles;
l'esprit de division et de haine, dissipé. On offrirait
à Dieu, en paix, les prémices de ses travaux; il
y aurait certainement plus de probité sur la terre, car
un grand nombre d'esprits faibles qui entendent tous les jours
parler avec mépris de cette superstition
chrétienne, qui savent qu'elle est tournée en
ridicule par tant de prêtres même, s'imaginent,
sans réfléchir, qu'il n'y a en effet aucune
religion: et sur ce principe ils s'abandonnent à des
excès. Mais lorsqu'ils connaîtront que la secte
chrétienne n'est en effet que le pervertissement de la
religion naturelle; lorsque la raison, libre de ses fers,
apprendra au peuple qu'il n'y a qu'un Dieu; que ce Dieu est le
père commun de tous les hommes, qui sont frères;
que ces frères doivent être, les uns envers les
autres, bons et justes; qu'ils doivent exercer toutes les
vertus; que Dieu, étant bon et juste, doit
récompenser ces vertus et punir les crimes: certes
alors, mes frères, les hommes seront plus gens de bien,
en étant moins superstitieux.
- Nous
commençons par donner cet exemple en secret, et nous
osons espérer qu'il sera suivi en public. Puisse ce
grand Dieu qui m'écoute, ce Dieu qui assurément
ne peut ni être né d'une fille, ni être mort
à une potence, ni être mangé dans un
morceau de pâte, ni avoir inspiré ces livres
remplis de contradictions, de démence et d'horreur;
puisse ce Dieu,créateur de tous les mondes, avoir
pitié de cette secte de chrétiens qui le
blasphèment! Puisse-t-il les ramener à la
religion sainte et naturelle, et répandre ses
bénédictions sur les efforts que nous faisons
pour le faire adorer! Amen.
Last modified: 21-Mar-00