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- MÉMOIRE
SUR LA SATIRE
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- A L'OCCASION
D'UN LIBELLE
DE L'ABBÉ DESFONTAINES CONTRE L'AUTEUR.
(1739.)
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- Il est honteux pour
l'esprit humain que sous un gouvernement de sagesse et de paix,
qui semble faire de la France une seule famille, la discorde
règne dans les belles-lettres, et que la
société ne soit troublée que par ceux qui
devraient en faire la douceur principale.
- Un libelle infâme
ayant revolté le public, il y a quelques mois, j'ai cru
qu'il ne serait pas inutile de proposer ici quelques
idées sur la satire, accompagnées de l'histoire
récente des injustices, des crimes même, et des
malheurs qu'elle a produits de nos jours. Je tâcherai de
parler en philosophe et en historien, et de montrer la
vérité la plus exacte dans les réflexions
comme dans les faits.
- Je commencerai d'abord par
examiner la nature de la critique; ensuite je donnerai une
histoire, peut-être utile, de la satire et de ses effets,
à prendre seulement depuis Boileau jusqu'au dernier
libelle diffamatoire qui a paru depuis peu: ce qui fera un
tableau dont le premier trait sera l'abus que Boileau a fait de
la critique; et le dernier sera l'excès horrible
où la satire s'est portée de nos
jours.
- Peut-être que les
jeunes gens qui liront cet essai apprendront à
détester la satire. Ceux qui ont embrassé ce
genre funeste d'écrire en rougiront, et les magistrats
qui veillent sur les moeurs regarderont peut-être cet
essai comme une requête présentée au nom de
tous les honnêtes gens pour réprimer un abus
intolérable.
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- DE LA CRITIQUE
PERMISE.
- J'espère que ce
siècle si éclairé permettra d'abord que
j'entre un moment dans l'intérieur de l'homme: car c'est
sur cette connaissance que toute la vie civile est
fondée.
- Je crois qu'il y a, dans
tous les hommes, une horreur pour le mépris, aussi
nécessaire pour la conservation de la
société et pour le progrès des arts que la
faim et la soif le sont pour nous conserver la vie. L'amour de
la gloire n'est pas si général, mais
l'impossibilité de supporter le mépris
paraît l'être. Il n'est pas plus dans la nature
qu'un homme puisse vivre avec des hommes qui lui feront sentir
des dédains continuels qu'avec des meurtriers qui lui
feraient tous les jours des blessures.
- Ce que je dis là
n'est point une exagération: et il est très
vraisemblable que Dieu, qui a voulu que nous vécussions
en société, nous a donné ce sentiment
ineffaçable comme il a donné l'instinct aux
fourmis et aux abeilles pour vivre en commun.
- Aussi toute la politesse
des hommes ne consiste qu'à se conformer à cette
horreur invincible que la nature humaine aura toujours pour ce
qui porte le caractère de mépris. La
première règle de l'éducation, dans tous
les pays, est de ne jamais rien dire de choquant à
personne.
- Les Français ont
été plus loin en cela que les autres peuples: ils
ont presque fait une loi de la société, de dire
des choses flatteuses.
- Il serait donc bien
étrange que, dans la nation la plus polie de l'Europe,
il fût permis d'écrire, d'imprimer, de publier
d'un homme, à la face de tout le monde, ce qu'on
n'oserait jamais dire à lui-même, ni en
présence d'un tiers, ni en particulier.
- Il n'est permis de
critiquer par écrit, sans doute; que de la même
façon dont il est permis de contredire dans la
conversation. Il faut prendre le parti de la
vérité; mais faut-il blesser pour cela
l'humanité? faut-il renoncer à savoir vivre parce
qu'on se flatte de savoir écrire?
- Depuis le beau règne
de Louis XIV, où tout s'est perfectionné en
France, les magistrats qui veillent sur la littérature
ont eu soin, autant qu'ils ont pu, que les Français ne
démentissent point, par leurs écrits, ce
caractère de politesse qu'ils ont dans le commerce. Il
n'y a point aujourd'hui de censeur de livres qui pût
donner son approbation à un écrit mordant?
à moins peut-être que cet ouvrage ne fût une
réponse à un agresseur. Il est triste qu'il ait
fallu tant de temps pour établir dans la
littérature ce qui l'a toujours été dans
le commerce des hommes, et qu'on se soit aperçu si tard
que des injures ne sont pas des raisons.
- Il se trouva, dans le
siècle passé, un homme qui donna un bel exemple
de la critique la plus judicieuse et la plus sage: c'est
Vaugelas. On croit qu'il n'a donné que des leçons
de langage: il en a donné de la plus parfaite politesse;
il critique trente auteurs, mais il n'en nomme ni n'en
désigne aucun: il prend souvent même la peine de
changer leurs phrases en y laissant seulement ce qu'il
condamne, de peur qu'on ne reconnaisse ceux qu'il censure. Il
songeait également à instruire et à ne pas
offenser; et certainement il s'est acquis plus de gloire en ne
voulant pas flétrir celle des autres, que s'il
s'était donné le malheureux plaisir de faire
passer des injures à la
postérité.
- Il me convient mal de
parler de moi, et je me garderais bien d'en demander la
permission, si je ne me trouvais dans une circonstance qui
autorise cette extrême liberté. L'excès des
horribles calomnies dont on a voulu me noircir dans le libelle
le plus odieux excusera peut-être une hardiesse que je ne
me permets ici qu'avec peine.
- Je me crus obligé,
il y a quelques années, de m'élever contre un
homme d'un mérite très distingué, contre
feu M. de Lamotte, qui se servait de tout son esprit pour
bannir du théâtre les règles et même
les vers. J'allai le trouver avec M. de Crébillon,
intéressé plus que moi à soutenir
l'honneur d'un art dans lequel je ne l'égalais pas. Nous
demandâmes tous deux à M. de Lamotte la permission
d'écrire contre ses sentiments. Il nous la donna: M.de
Crébillon voulut bien que je tinsse la
plume.
- Deux jours après je
portai mon écrit à M. de Lamotte. C'est une
préface qu'on a mise à la nouvelle édition
d'Oedipe. Enfin, on vit ce que je ne pense pas qu'on
eût vu encore dans la république des lettres, un
auteur, censeur royal, devenir l'approbateur un ouvrage
écrit contre lui-même.
- Encore une fois, je suis
bien loin d'oser me citer pour exemple; mais il me senible
qu'on peut tirer de là une règle bien sûre
pour juger si un homme s'est tenu dans les bornes d'une
critique bonnête: «Osez montrer votre ouvrage
à celui même que vous censurez.»
- Il y a encore un meilleur
parti à prendre, surtout dans les ouvrages de goût
et de sentiment: c'est de ne critiquer qu'en essayant de mieux
faire. Je conviens qu'en physique, en histoire, en philosophie,
on est obligé de relever des erreurs. Ce n'est pas assez
à M. l'abbé Dubos d'établir, avec
l'érudition la plus exacte et la plus grande
vraisemblance, l'origine des Français; il faut
absolument qu'il réfute des opinions moins probables. Il
a fallu montrer que Descartes avait donné six
règles fausses du mouvement, lorsqu'on a établi
les véritables règles. Mais en fait d'arts,
c'est, je crois, tout autre chose. Un peintre, un sculpteur, un
musicien, n'auraient pas bonne grâce a écrire
contre leurs confrères. Pourquoi cette
différence? c'est que les hommes ne peuvent savoir si
Descartes et Mézerai ont tort, sans le secours de la
critique; mais il suffit d'avoir des yeux et des oreilles pour
juger d'un beau tableau et d'une bonne musique. Aussi je ne
vois point que les Destouches aient écrit contre les
Campra, ni les Girardon contre les Puget: chacun a
tâché de surpasser son émule. Les
poètes, et ceux qu'on nomme littérateurs, sont
presque les seuls artistes auxquels on puisse reprocher ce
ridicule de se déchirer mutuellement sans
saison.
- Lorsque Scudéri
porta au cardinal de Richelieu sa très mauvaise censure
de la belle mais imparfaite tragédie du Cid,
pourquoi le cardinal ne dit-il pas à Scudéri
et à ses confrères: Messieurs, qui
méprisez tant le Cid, écrivez sur le
même sujet, et traitez-le mieux que Corneille? On sentait
apparemment que cette manière de critiquer
n'était pas a la portée des censeurs.
C'était pourtant la seule dont Corneille s'était
servi contre ses rivaux; et ce fut la seule que Racine employa
contre Corneille même.
- L'auteur de Cinna et
de Polyeucte était homme: il y avait quelques
défauts dans ses meilleures pièces; il
était un peu déclamateur; il ne parlait pas
purement sa langue; il n'allait pas toujours assez au coeur. On
aurait écrit en vain des volumes contre ses
défauts. Il vint un homme qui, sans écrire contre
lui et en le respectant, donna des tragédies plus
intéressantes, plus purement écrites, et moins
pleines de déclamations.
- Avant nos bons avocats, on
citait les Pères de l'Église au barreau quand il
s'agissait du loyer d'une maison; avant nos bons
prédicateurs, on parlait en chaire de Plutarque, de
Cicéron, et d'Ovide. Ceux qui ont banni ce mauvais
goût en ont-ils purgé la France en se moquant des
orateurs leurs contemporains? Non ils ont marché dans la
bonne route, et alors on a quitté la
mauvaise.
- J'aurais bien d'autres
exemples à donner pour faire voir que ce n'est point par
des satires, mais par des ouvrages écrits dans le bon
goût, qu'on réforme le goût des hommes. Mais
cette vérité étant suffisamment
prouvée, je passe à l'histoire de la satire, que
j'ai promise, à ses effets, et à ses
progrès. Je commence par Boileau: car en France, quand
il s'agit des arts, je crois qu'il n'y a guère d'autre
époque à prendre que le règne de Louis
XIV.
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- DE
DESPRÉAUX.
- L'abbé
Furetière, homme caustique et médiocre
écrivain, faisait des satires dans le goût de
Regnier. Il les montrait à Boileau jeune encore; le
disciple, né avec plus de talent que le maître,
profita trop bien dans cette école dangereuse. Il y
avait alors à Paris un homme d'une érudition
immense, qui écrivait en prose avec assez de grâce
et de justesse, qui passait pour bon juge, qui était
l'ami et même le protecteur de tous les gens de lettres.
S'attendrait-on à voir le nom de Chapelain au bas de ce
portrait? Tout cela est pourtant exactement vrai; et Chapelain
aurait joui d'une grande réputation s'il n'avait pas
voulu en avoir davantage. La Pucelle et Boileau firent
un écrivain très ridicule d'un homme d'ailleurs
très estimable.
- Malgré cette
malheureuse Pucelle, Chapelain était un si galant
homme, et si considéré, que le grand Colbert,
lorsqu'il engagea Louis XIV à donner des pensions aux
gens de lettres, chargea Chapelain de faire la liste de ceux
qui méritaient les bienfaits du roi.
- Cette faveur de Chapelain
irrita le jeune Boileau, qui, dans la première
édition de sa première satire, fit imprimer ces
vers, lesquels ne sont pas ses meilleurs:
- Enfin je ne saurais,
pour faire un juste gain,
- Aller, bas en
rampant, fléchir sous Chapelain.
- Voilà donc l'origine
de la querelle: un peu d'envie et de penchant à
médire. Ce goût pour la médisance
était dans lui, du moins en ce temps-là, si
dominant et si injuste que dans la même satire il traite
de parasite un honnête homme qui souffrait la
pauvreté avec courage; et qui la rendait respectable en
n'allant jamais manger chez personne: il s'appelait
Pelletier.
- Tandis que Pelletier,
crotté jusqu'à l'échine,
- S'en va chercher son
pain de cuisine en cuisine.
- Je demande à tout
esprit raisonnable en quoi ces traits, assez bas et assez
indignes d'un homme de mérite, pouvaient contribuer
à établir en France le bon goût. Quel
service Boileau rendait-il aux lettres en disant dans sa
seconde satire:
- Si je veux d'un
galant dépeindre la figure,
- Ma plume, pour rimer,
trouve l'abbé de Pure;
- Si je pense exprimer
un auteur sans défaut,
- La raison dit
Virgile, et la rime Quinault.
- J'ai déjà
montré quelque part combien ce trait est injuste de
toutes façons. Quinault ne rime point assez bien
avec defaut pour que ce nom soit amené par la
rime; et la raison n'a jamais dit que Virgile soit sans
défaut: la raison dit seulement que Virgile,
malgré tout ce qui lui manque, est le plus grand
poète de Rome.
- Il est bien indubitable que
ce n'est point un zèle trop vif pour le bon goût,
mais un esprit de satire et de cabale qui acharnait ainsi
Boileau contre Quinault, car dans une satire qui parut
bientôt après, il dit:
- Je ne sais pas
pourquoi l'on vante l'Alexandre;
- Ce n'est qu'un
glorieux qui ne dit rien de tendre:
- Les héros chez
Quinault parlent bien autrement.
- L'Alexandre du
célèbre Racine ne valait peut-être
guère mieux que l'Astrate; il était
infiniment moins intéressant. J'ai ouï conter
même à un homme de ce temp-là qu'un vieux
comédien dit à M. Racine: «Vous ne
réussirez jamais si vous ne traitez pas l'amour aussi
tendrement que le jeune Quinault: vous faites des vers mieux
que lui; si vous traitez les passions, vous surpasserez
Corneille.» Ce comédien avait raison, et je suis
persuadé que, sans Quinault, Racine, qui avait
méconnu son talent dans Théagène,
dans les Frères ennemis, et même dans
Alexandre, eût pu continuer à
s'égarer.
- Mais j'insiste encore, et
je demande comment Boileau pouvait insulter si indignement et
si souvent l'auteur de la Mère coquette; comment
il ne demanda pas enfin pardon à l'auteur d'Atys,
de Roland, d'Armide; comment il n'était pas
touché du mérite de Quinault, et de l'indulgence
singulière du plus doux de tous les hommes, qui souffrit
trente ans, sans murmure, les insultes d'un ennemi qui n'avait
d'autre mérite par-dessus lui que de faire des vers plus
corrects et mieux tournés, mais qui certes avaient moins
de grâce, de sentiment, et d'invention.
- Est-ce enfin par l'amour du
bon goût que Despréaux se croyait forcé
à louer Ségrais, que personne ne lit; et à
ne jamais prononcer le nom de La Fontaine, qu'on lira toujours?
Est-ce à ses satires qu'on doit la perfection où
les muses françaises s'élevèrent? Pour
lors Molière et Corneille n'avaient-ils pas
déjà écrit?
- Boileau a-t-i1 appris
à quelqu'un que la Pucelle est un mauvais
ouvrage? Non, sans doute. A quoi donc ont servi ses satires?
à faire rire aux dépens de dix ou douze gens de
lettres; à faire mourir de chagrin deux hommes qui ne
l'avaient jamais offensé; à lui susciter enfin
des ennemis qui le poursuivirent presque jusqu'au tombeau, et
qui l'auraient perdu plus d'une fois sans la protection de
Louis XIV.
- Aussi quelle serait sa
réputation s'il n'avait couvert ces fautes de sa
jeunesse par le mérite de ses belles
épîtres et de son admirable Art
poétique? Je ne connais de
véritablement bons ouvrages que ceux dont le
succès n'est point dû à la malignité
humaine.
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- DE LA SATIRE
APRÈS LE TEMPS DE DESPRÉAUX.
- Boileau dans ses satires,
quoique cruelles, avait toujours épargné les
moeurs de ceux qu'il déchirait: quelques personnes qui
se mêlèrent de poésie après lui
poussèrent plus loin la licence. Un style qu'on appelle
marotique fut quelque temps à la mode. Ce style est
]a pierre sur laquelle on aiguise aisément le
poignard de la médisance. Il n'est pas propre aux sujets
sérieux, parce qu'étant privé d'articles,
et étant hérissé de vieux mots, il n'a
aucune dignité; mais, par ces raisons-là
même, il est très propre aux contes cyniques et
à l'épigramme.
- On vit donc paraître
beaucoup d'épigrammes et de satires dans ce style: on y
ajouta des couplets encore plus infâmes. On appelait
couplets certaines chansons parodiées des opéras.
Personne, je crois, ne s'avisera de dire que c'était
l'amour du vrai, le goût de la saine antiquité, le
respect pour les anciens, qui obligeaient les auteurs de ces
infamies à les écrire. C'est pourtant ce que ces
auteurs osaient dire pour leur défense: tant on cherche
à couvrir ses fautes de quelque ombre de raison! Pour
moi qui, quoique très jeune alors, ai vu naître
toutes ces horreurs, je sais très bien que l'envie en
fut la seule cause. Et quelle envie encore! quelle source
ridicule de tant de disgrâces sérieuses! de quoi
s'agissait-il? d'un opéra qui n'avait pas réussi!
Il n'y a point d'autre origine de la haine qui fit faire cette
infâme pièce intitulée la Francinade,
et ces soixante et douze couplets qui
désolèrent longtemps plusieurs gens de lettres et
des familles entières: et ceux que l'auteur avoua
lui-même contre les sieurs Danchet, Bertin, et
Pécourt; enfin ceux qui furent la cause de ce fameux
procès, rapporté très exactement dans le
livre des Causes célèbres.
- MM. de Lamotte, Danchet,
Saurin, et le sieur Rousseau, étaient amis. MM. de
Lamotte et Danchet donnèrent des opéras qui
eurent du succès; ceux de Rousseau n'en auraient point
eu: joignez à cela la chute de la comédie du
Capricieux, et ne cherchez point ailleurs ce qui attira
tant de crimes et une condamnation si publique.
- Mais voici quelque chose
qui doit frapper bien davantage. Il est certain qu'un homme
flétri pour avoir abusé à ce point du
talent de la poésie, pour avoir fait les satires les
plus horribles,et qui cherchait à laver cette tache, ne
devait jamais se permettre la moindre raillerie contre
personne. Et cependant qu'a-t-i1 fait pendant trente
années de bannissement? de nouvelles satires, auxquelles
il ne manque que d'être bien écrites pour
être aussi odieuses que les premières.
- Je ne dissimule point
qu'étant outragé par lui, comme tant d'autres,
j'ai perdu patience; et que surtout, dans une pièce
contre la calomnie, j'ai marqué toute mon indignation
contre le calomniateur. J'ai cru être en droit de venger
et mes injures et celles de tant d'honnêtes gens.
J'aurais mieux fait peut-être d'abandonner au
mépris et à l'horreur du public les crimes que
j'ai attaqués; mais enfin, si c'est une faute
d'écrire contre le perturbateur du repos public, c'est
une faute bien excusable; c'est, j'ose le dire, celle d'un
citoyen.
- Ce fut alors que les
journaux destinés à l'honneur des lettres
devinrent le théâtre de l'infamie. L'homme dont je
parle, et dont je voudrais supprimer ici absolument le nom pour
ne me plaindre que du crime, et non du criminel, osa faire
imprimer dans la Bibliothèque française,
en 1736, un tissu de calomnies. Il osait alléguer,
entre autres raisons de sa conduite envers moi, qu'autrefois,
en passant par Bruxelles, j'avais voulu le perdre dans l'esprit
de M. le duc d'Aremberg, son protecteur. Quel a
été le fruit de cette imposture? M. le duc
d'Aremberg en est instruit: il me fait aussitôt l'honneur
de m'écrire pour désavouer cette calomnie; il
chasse de sa maison celui qui en est l'auteur. On publie la
lettre de ce prince; le calomniateur est confondu, et enfin les
auteurs du journal de la Bibliothèque
française me font des excuses publiques.
- Je ne me résous
à rapporter ce qui va suivre que comme un exemple fatal
de cette opiniâtreté malheureuse qui porte
l'iniquité jusqu'au tombeau. Ce même homme prend
enfin le parti de vouloir couvrir tant de fautes et de
disgrâces du voile de la religion; il écrit des
Épîtres morales et chrétiennes (ce
n'est pas ici le lieu d'examiner si c'est avec succès);
il sollicite enfin son retour à Paris et sa grâce;
il veut apaiser le public et la justice; on le voit
prosterné au pied des autels, et dans le même
temps il trempe dans le fiel sa main moribonde. A l'âge
de soixante et douze ans il fait de nouveaux vers satiriques;
il les envoie à un homme qui tient un bureau public de
ces horreurs; on les imprime. Les voici. La meilleure censure
qu'on en puisse faire, c'est de les rapporter.
- Petit rimeur
anti-chrétien
- On reconnaît
dans tes ouvrages
- Ton caractère
et non le mien.
- Ma principale faute,
hélas! je m'en souvien,
- Vint d'un coeur qui,
séduit par tes patelinages,
- Crut trouver un ami
dans un parfait vaurien.
- Charme des fous,
horreur des sages,
- Quand par lui mon
esprit aveuglé, j'en convien,
- Hasardait pour toi
ses suffrages;
- Mais je ne me
reproche rien
- Que d'avoir sali
quelques pages
- D'un nom aussi vil
que le tien.
- Un pareil exemple prouve
bien que quand on n'a pas travaillé de bonne heure
à dompter la perversité de ses penchants, on ne
se corrige jamais; et que les inclinations vicieuses augmentent
encore à mesure que la force d'esprit
diminue.
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- DES SATIRES
NOMMÉES CALOTTES.
- Au milieu des
délices pour lesquelles seules on semble respirer
à Paris, la médisance et la satire en ont
corrompu souvent la douceur. L'on y change de mode dans l'art
de médire et de nuire comme dans les ajustements. Aux
satires en vers alexandrins succédèrent les
couplets; après les couplets vinrent ce qu'on appelle
les
calottes. Si quelque
chose marque sensiblement la décadence du goût en
France, c'est cet empressement qu'on a eu pour ces
misérables ouvrages. Une plaisanterie ignoble, toujours
répétée, toujours retombant dans les
mêmes tours, sans esprit, sans imagination, sans
grâce, voilà ce qui a occupé Paris pendant
quelques années; et pour éterniser notre honte,
on en a imprimé deux recueils, l'un en quatre, et
l'autre en cinq volumes: monuments infâmes de
méchanceté et de mauvais goût, dans
lesquels, depuis les princes jusqu'aux artisans, tout est
immolé à la médisance la plus atroce et la
plus basse, et à la plus plate plaisanterie. Il est
triste pour la France, si féconde en écrivains
excellents, qu'elle soit le seul pays qui produise de pareils
recueils d'ordures et de bagatelles infâmes.
- Les pays qui ont
porté les Copernic, les Tycho-Brahé, les
Otto-Guericke, les Leibnitz, les Bernouilli, les Wolf, les
Huygens; ces pays où la poudre, les télescopes,
l'imprimerie, les machines pneumatiques, les pendules, etc.,
ont été inventés; ces pays que
quelques-uns de nos petits-maîtres ont osé
mépriser, parce qu'on n'y faisait pas la
révérence si bien que chez nous; ces pays,
dis-je, n'ont rien qui ressemble à ces recueils, soit de
chansons infâmes, soit de calottes, etc. Vous n'en
trouvez pas un seul en Angleterre, malgré la
liberté et la licence qui y règnent. Vous n'en
trouverez pas même en Italie, malgré le goût
des Italiens pour les pasquinades.
- Je fais exprès cette
remarque, afin de faire rougir ceux de nos compatriotes qui,
pouvant faire mieux, déshonorent notre nation par des
ouvrages si malheureusement faciles à faire, auxquels la
malignité humaine assure toujours un prompt
débit, mais qu'enfin la raison, qui prend toujours le
dessus, et qui domine dans la saine partie des Français,
condamne ensuite à un mépris
éternel.
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- DES CALOMNIES
CONTRE LES ÉCRIVAINS DE
RÉPUTATION.
- Il s'est glissé dans
la république des lettres une peste cent fois plus
dangereuse: c'est la calomnie, qui va effrontément, sous
le nom de justice et de religion, soulever les puissances et le
public contre des philosophes, contre les plus paisibles des
hommes, incapables de ne jamais nuire, par cela même
qu'ils sont philosophes.
- J'ai entendu demander
souvent: Pourquoi Charron a-t-i1 été
calomnié et persécuté, et que Montaigne,
le libre, le pyrrhonien, le hardi Montaigne, et Rabelais
même, ne l'ont jamais été? Pourquoi Socrate
a-t-il été condamné à mort, et
Spinosa a-t-il vécu tranquille? Pourquoi La Mothe Le
Vayer, cent fois plus hardi, plus cynique que Bayle, a-t-i1
été précepteur de deux enfants de Louis
XIII, et que Bayle a été accablé? Pourquoi
Descartes et Wolf, les deux lumières de leur
siècle, ont-ils été chassés l'un
d'Utrecht, et l'autre de l'université de Hall, et que
tant d'autres qui ne les valaient pas ont été
comblés d'honneurs? On rapportait tous ces
événements à la fortune, etc.
- Et moi je dis: Examinez
bien les sources des persécutions qu'ont essuyées
ces grands hommes, vous trouverez que ce sont des gens de
lettres, des sophistes, des professeurs, des prêtres, qui
les ont excitées; lisez, si vous pouvez, toutes les
injures qu'on a vomies contre les meilleurs écrivains,
vous ne trouverez pas un seul libelle qui n'ait
été écrit par un rival. On appelle les
belles-lettres humaniores litterae, les lettres
humaines; mais, dit un homme d'esprit, en voyant cette fureur
réciproque de ceux qui les cultivent, on les appellera
plutôt les lettres inhumaines. Je ne veux point
m'étendre ici sur les persécutions qui ont
privé de leur liberté, de leur patrie, ou de la
vie même, tant de grands personnages dont les noms sont
consacrés à la postérité: je ne
veux parler ici que de cette persécution sourde que fait
continuellement la calomnie, de cet acharnement à
composer des libelles, à diffamer ceux qu'on voudrait
détruire.
- La jalousie, la
pauvreté, la liberté d'écrire, sont trois
sources intarissables de ce poison. Je conserve
précieusement, parmi plusieurs lettres assez
singulières que j'ai reçues dans ma vie, celle
d'un écrivain qui a fait imprimer plus d'un ouvrage. La
voici:
- «Monsieur,
étant sans ressources, j'ai composé un ouvrage
contre vous; mais si vous voulez m'envoyer deux cents
écus, je vous remettrai fidèlement tous les
exemplaires, etc., etc.»
- Je rappellerai encore ici
la réponse que fit, il y a quelques années, un de
ces malheureux écrivains à un magistrat qui lui
reprochait ses libelles scandaleux: «Monsieur, dit-il, il
faut que je vive.»
- Il s'est trouvé
réellement des hommes assez perdus d'honneur pour faire
un métier public de ces scandales: semblables à
ces assassins à gages, ou à ces monstres du
siècle passé, qui gagnaient leur vie à
vendre des poisons.
- Mais je ne crois pas que
depuis que les hommes sont méchants et calomniateurs on
ait jamais mis au jour un libelle aussi déshonorant pour
l'humanité que celui qui a paru à Paris au mois
de janvier de cette année 1739, sous le titre de
Voltairomanie, ou Mémoire d'un jeune avocat.
(1738, in-12.)
- C'est de quoi je suis
obligé par toutes les lois de l'honneur de dire un mot
ici; et je prie tout lecteur attentif de vouloir bien examiner
une cause qui devient l'affaire de tout honnête homme:
car quel homme de bien n'est pas exposé à la
calomnie plus ou moins publique? Tout lecteur sage est, en de
pareilles circonstances, un juge qui décide de la
vérité et de l'honneur en dernier ressort, et
c'est à son coeur que l'injustice et la calomnie crient
vengeance.
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- EXAMEN D'UN LIBELLE
CALOMNIEUX
- INTITULÉ
LA VOLTAIROMANIE, ou MÉMOIRE D'UN JEUNE
AVOCAT.
- Il est juste en premier
lieu de laver l'opprobre que l'on fait au corps respectable des
avocats, en imputant à l'un de leurs membres un
malheureux libelle, où les injures et les calomnies les
plus atroces tiennent lieu de raisons; un libelle où
l'on traite avec indignité M. Andry, qui travaille avec
applaudissement depuis trente ans au Journal des Savants
sous M. l'abbé Bignon; un libelle où l'on
appelle M. de Fontenelle ridicule; celui-ci, Thersite
de la Faculté; celui-là, cyclope; cet
autre, faquin; un libelle enfin qui, pour me servir des
expressions d'un des plus estimables hommes de Paris, est
l'ouvrage des furies, si les furies n'ont point
d'esprit.
- Quand on s'abaisse à
parler d'un libelle, je crois qu'il n'en faut parler que
papiers justificatifs en main, soit devant les juges, soit
devant le public. Voici donc la lettre d'un des plus anciens et
des meilleurs avocats de Paris, qui prouve qu'il est impossible
qu'un avocat soit l'auteur de ce libelle punissable.
- A Paris, ce 12
février 1739.
- «J'ai vu, monsieur, un
imprimé qui a couru ici, intitulé la
Voltairomanie, ou Lettre d'un jeune avocat, en forme de
mémoire. J'ai vu au palais la plupart de messieurs les
avocats. Après avoir parlé à M. Deniau,
qui est à présent notre bâtonnier, je puis
vous assurer, monsieur, qu'il n'y a qu'un cri de blâme et
d'indignation contre les calomnies atroces répandues
dans ce libelle. Le sentiment commun est qu'il n'est pas
possible qu'un ouvrage si méchant soit imputé
à un avocat, ni même à quelqu'un qui
connaîtrait les lois de cette profession, dont le premier
devoir est la sagesse.
- «Je vous proteste au
nom de tous ceux à qui j'ai parlé (et c'est,
encore une fois, la meilleure partie du Palais) que, bien loin
que quelqu'un s'en avoue l'auteur, tous le condamnent comme
extrêmement scandaleux. Je vous ajouterai même que
c'est avec une vraie peine que la plupart vous ont vu si
injurieusement traité que vous l'êtes dans cet
écrit: car nous faisons gloire, monsieur, d'honorer les
grands génies, et vos ouvrages sont dans nos mains. Tout
cela vous serait attesté par monsieur le bâtonnier
au nom de l'ordre, sans la difficulté de convoquer une
assemblée générale si de pareilles
brochures, distribuées sous le nom vague d'un avocat,
devenaient fréquentes, nous serions exposés sans
cesse à nous mettre en mouvement pour les
désavouer. Mais pour suppléer à une
attestation en forme, je me suis chargé de vous rendre
compte du sentiment général; et je le fais de
l'aveu de tous ceux à qui j'en ai parlé. Je m'en
acquitte avec d'autant plus de satisfaction, que c'est ce que
j'avais pensé à la vue du libelle.
- «Je suis avec toute
l'estime, etc. Signé:
PAGEAU.»
- Il n'y a personne qui,
ayant lu cette lettre, et ayant remarqué que le libelle
est tout entier en faveur du sieur abbé
Guyot-Desfontaines, et plein d'anecdotes qui le regardent,
jusque-là même que sa généalogie y
est rapportée; il n'y a personne, dis-je, qui ne voie
évidemment pour cent autres raisons qu'aucun avocat n'a
composé cet ouvrage. Mais qui donc pourrait en
être l'auteur?
- Quoique l'abbé
Guyot-Desfontaines soit depuis quelque temps mon plus cruel
ennemi, cependant je me garderai bien d'imputer à un
homme de son âge, à un prêtre, une si
infâme pièce: je croirais lui faire une trop
grande injure. Je l'en crois incapable, et en voici les
raisons.
- Il est dit dans ce libelle,
en termes exprès, que je suis un voleur, un brutal, un
enragé, un athée, le petit-fils d'un paysan,
etc.
- Or je soutiens qu'un homme
de lettres, quelque méchant qu'il puisse être, ne
peut vomir de pareilles injures: celles de voleur,
d'enragé, d'athée, de brutal, sont des
termes horribles, mais vagues, qui ne peuvent souiller la plume
d'un homme auquel il resterait la moindre pudeur et la moindre
étincelle d'esprit.
- Il est encore bien peu
probable qu'un écrivain reproche à un autre
écrivain sa naissance. L'auteur de la Henriade
doit peu s'embarrasser quel a été son
grand-père. Uniquement occupé de l'étude,
je ne cherche point la gloire de la naissance. Content, comme
Horace, de mes parents, je n'en ai jamais demandé
d'autres au ciel; et je ne réfuterais point ici ce vain
mensonge, si je n'avais parmi mes proches parents des
magistrats et des officiers généraux qui
s'intéresseront peut-être davantage à
l'honneur d'une famille outragée. Pour moi, je sens
qu'un tel reproche, s'il était vrai, ne pourrait jamais
m'affliger. Je me suis consacré à l'étude
dès ma jeunesse; j'ai refusé la charge d'avocat
du roi à Paris, que ma famille, qui a exercé
longtemps des charges de judicature en province, voulait
m'acheter. En un mot, l'étude fait tous mes titres, tous
mes honneurs, toute mon ambition.
- Voici des preuves encore
plus fortes que cet infâme écrit ne peut
être de l'homme à qui tout Paris
l'impute.
- On ose avancer dans ce
libelle que ce service signalé qu'avait rendu si
publiquement autrefois le sieur de Voltaire au sieur
Desfontaines, il ne l'avait rendu que pour obéir
à M. le président de Bernières, son
patron, qui le nourrissait et le logeait par bonté, et
que par conséquent le sieur Desfontaines n'avait aucune
obligation au sieur de Voltaire.
- Premièrement,
comment se pourrait-il faire qu'un homme de bon sens
raisonnât ainsi? Quoi! il serait permis d'insulter son
bienfaiteur, parce qu'il aurait été logé
et nourri chez un autre? est-ce là la logique de
l'ingratitude? En second lieu, l'abbé Desfontaines ne
savait-il pas que j'ai longtemps loué chez M. de
Bernières un appartement assez connu ? Faut-il lui
apprendre que j'ai en main l'acte fait double, du 4 de mai
1723, par lequel je payais 1,800 livres de pension pour moi et
pour un de mes amis? Faudrait-il enfin dire ici que le chef de
la justice et plusieurs autres magistrats ont vu la lettre de
la veuve du président de Bernières, qui
dément d'une manière si forte toutes les
impostures du libelle? Nous ne la rapportons point ici, parce
que nous n'en avons point demandé la permission, comme
nous avions demandé celle de la faire voir à M.
le chancelier.
- Enfin comment se
pourrait-il faire que l'abbé Desfontaines osât
dire qu'il n'a jamais eu aucune obligation au sieur de
Voltaire?
- On n'a qu'à lire la
lettre qu'il m'écrivit en sortant de l'endroit
d'où je l'avais tiré elle est écrite et
signée de sa main; le cachet est même presque
entier.
- « De Paris, ce 31
mai.
- «Je n'oublierai jamais
les obligations infinies que je vous ai. Votre bon coeur est
bien au-dessus de votre esprit. Vous êtes l'ami le plus
généreux qui ait jamais été. Que ne
vous dois-je point! etc., etc.
- «L'abbé Nadal,
l'abbé de Pons, Danchet, Fréret, se
réjouissent; ils traitent ma personne comme je traiterai
toujours leurs indignes écrits. Ne pourriez-vous pas
faire en sorte que l'ordre qui m'exile à trente lieues
soit levé? Voilà, mon cher ami, ce que je vous
conjure d'obtenir encore pour moi. Je ne me recommande
qu'à vous seul, qui m'avez servi, etc.,
etc.»
- Après tant de
preuves, je soutiendrai toujours qu'il faudrait que
l'abbé Desfontaines, au moins, eût absolument
perdu la mémoire pour avancer, contre un homme qui lui a
rendu de tels services, des impostures si horribles et si
aisées à confondre.
- Mais, me dira-t-on, si vers
le temps même où il vous avait les plus grandes
obligations qu'un homme puisse avoir à un homme, il fit
un libelle contre vous; si vous avez plusieurs lettres des
personnes auxquelles il montra cet écrit; si l'on sait
qu'il était intitulé Apologie de M. de
Voltaire, et que cette apologie ironique et sanglante
était un libelle diffamatoire contre vous et contre feu
M. de Lamotte; si lui-même, dans un autre libelle
intitulé Pantalo Phebeana, page 73, a eu
l'imprudence de citer cette apologie ironique; enfin, s'il a
été capable d'une telle ingratitude quand le
service êtait récent, que n'a-t-il point pu faire
après plus de treize années? J'avoue que cette
objection est pressante; mais voici ce que j'ai à
répondre.
- Je ne crois pas qu'il soit
permis d'accuser, sans preuves juridiques, un citoyen, de
quelque faute que ce puisse être or j'ai, à la
vérité, des preuves juridiques, des
témoignages subsistants, que la première chose
qu'il fit au sortir de Bicêtre, ce fut un libelle contre
moi (*); mais je n'ai aucune preuve assez forte pour l'accuser
du malheureux libelle qui a paru cette année; je n'ai
que la voix publique. Elle suffit pour devoir attribuer
à un homme une bonne action; mais elle ne suffit pas
pour lui imputer un crime.
- * Note de
Voltaire:Extraits des lettres de M. Thiriot.
- « Du 16 aout
1726.
- « Il a fait, du
temps de Bicêtre, un ouvrage contre vous, intitulé
Apologie de M. de Voltaire, que je l'ai forcé,
avec bien de la peine, à jeter dans le feu. C'est lui
qui a fait, à Évreux, une édition du
poème de la Ligue, dans lequel il a inséré
des vers de sa façon contre M. de Lamotte, etc.
»
- « Du 31
décembre 1738.
- « Je me souviens
trés bien qu'à la Riviére-Bourdet, chez
feu M. le président de Berniéres, il fut question
d'un écrit contre M. de Voltaire, que l'abbé
Desfontaines me fit voir, et que je l'engageai de jeter au feu,
etc. »
- « Du 14 janvier
1739.
- « Je démens
les impostures d'un calomniateur; je méprise les
éloges qu'il me donne; je témoigne ouvertement
mon estime, mon amitié, ma reconnaissance pour vous,
etc.
- Je pourrais poursuivre, et
faire voir jusqu'à quel comble d'horreur la calomnie a
été poussée dans cet écrit; mais
mon dessein n'est pas de répondre en détail
à des discours dignes de la plus vile canaille ce serait
trop mal employer un temps précieux. J'ai voulu
seulement, pour l'honneur des lettres, essayer de faire voir
combien il est difficile de croire qu'un homme de lettres se
soit souillé d'un opprobre si avilissant.
- J'écris ici dans la
vue d'être utile à la littérature encore
plus qu'à moi-même. Plût à Dieu que
toutes ces haines flétrissantes, ces querelles
également affreuses et ridicules, fussent
éteintes parmi des hommes qui font profession, non
seulement de cultiver leur raison, mais de vouloir
éclairer celle des autres! plût à Dieu que
les exemples que j'ai rapportés pussent rendre sages
ceux qui sont tentés de les suivre!
- Faudra-t-il donc que les
lettres, qu'on prétend avoir adouci les moeurs des
hommes, ne servent quelquefois qu'à les rendre malins et
farouches? si je pouvais exciter le repentir dans un coeur
coupable de ces horreurs, je ne croirais pas avoir perdu ma
peine en composant ce petit écrit, que je
présente à tous les gens de lettres comme un gage
de mon amour pour leurs études et pour le bien de la
société.
Last modified: 21-Mar-00