- REMERCIEMENT
- SINCÈRE
A UN HOMME
CHARITABLE
- (1750)
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- AVERTISSEMENT: Cet
ouvrage est une défense de Montesquieu contre l'auteur
des Nouvelles ecclésiastiques. M. de Voltaire a
eu constamment la générosité et le courage
de défendre contre les fanatiques ceux même des
philosophes ou des hommes de lettres qui s'étaient
déclarés ses ennemis. (K.) - Le Remerciement
sincère, qui fut imprimé par les soins de
Dumolard, est une réponse à l'article des
Nouvelles ecclésiastiques, du 24 avril 1750, sur
la Défense de l'Esprit des lois (par Montesquieu
lui-même).
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- A Marseille, le 10 mai
1750.
- Vous avez rendu service au
genre humain en vous déchaînant sagement contre
les ouvrages faits pour le pervertir. Vous ne cessez
d'écrire contre l'Esprit des lois, et même
il paraît à votre style que vous êtes
l'ennemi de toute sorte d'esprit. Vous avertissez que vous avez
préservé le monde du venin répandu dans
l'Essai sur l'Homme de Pope, livre que je ne cesse de
relire pour me convaincre de plus en plus de la force de vos
raisons et de l'importance de vos services. Vous ne vous amusez
pas, monsieur, à examiner le fond de l'ouvrage sur les
lois, à vérifier les citations, à discuter
S'il y a de la justesse, de la profondeur, de la clarté,
de la sagesse; si les chapitres naissent les uns des autres,
s'ils forment un tout ensemble; si enfin ce livre, qui devrait
être utile, ne serait pas par malheur un livre
agréable.
- Vous allez d'abord au fait;
et, regardant M. de Montesquieu comme le disciple de Pope, vous
les regardez tous deux comme les disciples de Spinosa. Vous
leur reprochez, avec un zèle merveilleux, d'être
athées, parce que vous découvrez, dites-vous,
dans toute leur philosophie les principes de la religion
naturelle. Rien n'est assurément, monsieur, ni plus
charitable, ni plus judicieux, que de conclure qu'un philosophe
ne connaît point de Dieu, de cela même qu'il pose
pour principe que Dieu parle au coeur de tous les
hommes.
- «Un honnête
homme est le plus noble ouvrage de Dieu», dit le
célèbre poète philosophe; vous vous
élevez au-dessus de l'honnête homme. Vous
confondez ces maximes funestes que la Divinité est
l'auteur et le lien de tous les êtres, que tous les
hommes sont frères, que Dieu est leur père
commun, qu'il faut ne rien innover dans la religion, ne point
troubler la paix établie par un monarque sage; qu'on
doit tolérer les sentiments des hommes, ainsi que leurs
défauts. Continuez, monsieur, écrasez cet affreux
libertinage, qui est au fond la ruine de la
société. C'est beaucoup que par vos gazettes
ecclésiastiques vous ayez saintement essayé de
tourner en ridicule toutes les puissances; et quoique la
grâce d'être plaisant vous ait manqué,
volenti et conanti, cependant vous avez le mérite
d'avoir fait tous vos efforts pour écrire
agréablement des invectives. Vous avez voulu quelquefois
réjouir les saints; mais vous avez souvent essayé
d'armer chrétiennement les fidèles les uns contre
les autres. Vous prêchez le schisme pour la plus grande
gloire de Dieu. Tout cela est très édifiant; mais
ce n'est point encore assez.
- Votre zèle n'a rien
fait qu'à demi si vous ne parvenez pas à faire
brûler les livres de Pope, de Locke et de Bayle,
l'Esprit des lois, etc., dans un bûcher auquel on
mettra le feu avec un paquet de Nouvelles
ecclésiastiques.
- En effet, monsieur, quels
maux épouvantables n'ont pas faits dans le monde une
douzaine de vers répandus dans l'Essai sur l'Homme
de ce scélérat de Pope, cinq ou six articles
du Dictionnaire de cet abominable Bayle, une ou deux
pages de ce coquin de Locke, et d'autres incendiaires de cette
espèce? Il est vrai que ces hommes ont mené une
vie pure et innocente, que tous les honnêtes gens les
chérissaient et les consultaient; mais c'est par
là qu'ils sont dangereux. Vous voyez leurs sectateurs,
les armes à la main, troubler les royaumes, porter
partout le flambeau des guerres civiles. Montaigne, Charron, le
président de Thou, Descartes, Gassendi, Rohault, Le
Vayer, ces hommes affreux qui étaient dans les
mêmes principes, bouleversèrent tout en France.
C'est leur philosophie qui fit donner tant de batailles, et qui
causa la Saint-Barthélemy.. C'est leur esprit de
tolérantisme qui est la ruine du monde; et c'est votre
saint zèle qui répand partout la douceur de la
concorde.
- Vous nous apprenez que tous
les partisans de la religion naturelle sont les ennemis de la
religion chrétienne. Vraiment, monsieur, vous avez fait
là une belle découverte! Ainsi, dès que je
verrai un homme sage qui dans sa philosophie reconnaîtra
partout l'Être suprême, qui admirera la Providence
dans l'infiniment grand et dans l'infiniment petit, dans la
production des mondes, et dans celle des insectes, je conclurai
de là qu'il est impossible que cet homme soit
chrétien. Vous nous avertissez qu'il faut penser ainsi
aujourd'hui de tous les philosophes. On ne pouvait certainement
rien dire de plus sensé et de plus utile au
christianisme, que d'assurer que notre religion est
bafouée dans toute l'Europe par tous ceux dont la
profession est de chercher la vérité. Vous pouvez
vous vanter d'avoir fait là une réflexion dont
les conséquences seront bien avantageuses au
public.
- Que j'aime encore votre
colère contre l'auteur de l'Esprit des lois,
quand vous lui reprochez d'avoir loué les Solon, les
Platon, les Socrate, les Aristide, les Cicéron, les
Caton, les Épictète, les Antonins et les Trajan!
On croirait, à votre dévote fureur contre ces
gens-là, qu'ils ont tous signé le Formulaire.
Quels monstres, monsieur, que tous ces grands hommes de
l'antiquité! Brûlons tout ce qui nous reste de
leurs écrits, avec ceux de Pope et de Locke et de M. de
Montesquieu. En effet, tous ces anciens sages sont vos ennemis:
ils ont tous été éclairés par la
religion naturelle. Et la vôtre, monsieur, je dis la
vôtre en particulier, paraît si fort contre la
nature que je ne m'étonne pas que vous détestiez
sincèrement tous ces illustres réprouvés
qui ont fait, je ne sais comment, tant de bien à la
terre. Remerciez bien Dieu de n'avoir rien de commun, ni avec
leur conduite, ni avec leurs écrits.
- Vos saintes idées
sur le gouvernement politique sont une suite de votre sagesse.
On voit que vous connaissez les royaumes de la terre tout comme
le royaume des cieux. Vous condamnez, de votre autorité
privée, les gains que l'on fait dans les risques
maritimes. Vous ne savez pas probablement ce que c'est que
l'argent à la grosse; mais vous appelez ce commerce
usure. C'est une nouvelle obligation que le roi vous
aura d'empêcher ses sujets de commercer à Cadix.
Il faut laisser cette oeuvre de Satan aux Anglais et aux
Hollandais, qui sont déjà damnés sans
ressource. Je voudrais, monsieur, que vous nous dissiez combien
vous rapporte le commerce sacré de vos Nouvelles
ecclésiastiques. Je crois que la
bénédiction répandue sur ce chef-d'oeuvre
peut bien faire monter le profit à trois cents pour
cent. Il n'y a point de commerce profane qui ait jamais si bien
rendu.
- Le commerce maritime que
vous condamnez pourrait être excusé,
peut-être, en faveur de l'utilité publique, de la
hardiesse d'envoyer son bien dans un autre
hémisphère, et du risque des naufrages Votre
petit négoce a une utilité plus sensible il
demande plus de courage et expose à de plus grands
risques.
- Quoi de plus utile en effet
que d'instruire l'univers, quatre fois par mois, des aventures
de quelques clercs tonsurés? quoi de plus courageux que
d'outrager votre roi et votre archevêque? et quel risque,
monsieur, que ces petites humiliations que vous pourriez
essuyer en place publique? Mais, je me trompe; il y a des
charmes à souffrir pour la bonne cause. Il vaut mieux
obéir à Dieu qu'aux hommes, et vous me paraissez
tout fait pour le martyre, que je vous souhaite cordialement,
étant votre très humble et très
obéissant serviteur.
- A propos, monsieur, mes
compliments à M. Pluche, qui continue si
intrépidement à copier des livres pour
étaler le Spectacle de la Nature, et qui
s'est fait le charlatan des ignorants.
- On ne peut être plus
content que je le suis de voir une préparation et
même une démonstration
évangélique à côté de la
manière d'élever des vers à
soie.
- Il est toujours fort beau
à lui de faire de Moïse un excellent physicien, de
soutenir hardiment, malgré toutes les académies,
que la lumière ne vient point du soleil et des autres
corps lumineux, et d'avancer que les Nègres sont devenus
noirs petit à petit, en qualité de descendants de
Chus. Ce Pluche n'a jamais vu apparemment de Nègre
disséqué. J'apprends aussi qu'il a trouvé
la place du paradis terrestre où l'on conserve la
côte d'Adam et la peau du serpent qui parla à sa
femme. J'ai ouï dire que l'âne de Balaam est encore
vivant, et qu'il broute dans ces quartiers-là. Je ne
doute pas que Pluche n'ail bientôt quelque conversation
avec lui, et qu'il n'en rende compte à monsieur le
prieur et à monsieur le chevalier.
- J'ai encore un petit mot
à vous dire. J'ai lu, dans le huitième tome de ce
Pluche, que Mahomet avait voyagé dans les sept
planèles en une nuit. Il cite ce voyage comme s'il
était dans l'Alcoran, et que ce fût un
point de foi chez les Turcs. Il prend de là occasion
d'appeler Mahomet fat.
- Si jamais Pluche va
à Constantinople, je lui conseille d'être plus
poli. Je rencontrai hier un Turc sur le port de Marseille,
à qui je demandai si le voyage prétendu des sept
planètes est en effet dans l'Alcoran; il me
répondit que non. Je lui appris que le sieur Pluche
traitait son prophète de fat, avec assez de
légèreté. Mon Turc, qui est un homme
très sage, me dit que quand on a une maison de verre il
ne faut pas jeter des pierres dans celle de son
voisin.
Last modified: 21-Mar-00