- Sur
- LEFRANC DE
POMPIGNAN
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- NOTICE DE
: Jean-Jacques Lefranc, marquis de Pompignan
(né en 1709, mort en 1784), ayant été
élu membre de l'Académie française
à la place de Maupertuis, prit séance le 10 mars
1760, et, dans son discours de réception, dit que l'abus
des talents, le mépris de la religion, la haine de
l'autorité, font le caractére dominant des
productions de ses confrères; que tout porte l'empreinte
d'une littérature dépravée, d'une morale
corrompue, et d'une philosophie altière qui sape
également le trône et l'autel; que les gens de
lettres déclament tout haut contre les richesses, et
qu'ils portent envie secrétement aux riches,
etc.
- Ce fut l'origine des
Quand, qui parurent en avril.La sixième
édition, imprimée en rouge, est augmentée
des Si et des Pourquoi, pièces
dirigées aussi contre Lefranc, mais qui, étant de
Morellet,ne doivent pas être admises dans les OEuvres de
Voltaire.
- Lefranc de Pompignan,
blessé surtout d'un passage des Quand, publia un
mémoire, dont je parlerai plus loin. De peur de faire
une note plus ample que le texte, je ne donnerai pas la
nomenclature de toutes les imitations ou parodies qu'ils firent
naître; mais je ne puis me dispenser d'indiquer: Les
VII Quand, en manière des VIII de M. de V***, ou Lettre
d'un apprenti bel esprit, qui ne manque pas de sens commun,
à M. son père, en province, pour lui donner bonne
opinion de lui, in-12 de onze pages; Les Pourquoi,
réponse aux ridicules Quand de M. le comte de Tornet,
in-8° de quatre pages; - Réponse aux Quand,
aux Si, et aux Pourquoi, 1760, in-12 de vingt
pages.
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- LES
QUAND,
- NOTES UTILES SUR UN
DISCOURS PRONONCE DEVANT L'ACADEMIE FRANCAISE LE 10 MARS
1760.
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- Quand on a
l'honneur d'être reçu dans une compagnie
respectable d'hommes de lettres, il ne faut pas que la harangue
de réception soit une satire contre les gens de lettres:
c'est insulter la compagnie et le public.
- Quand par
hasard on est riche, il ne faut pas avoir la basse
cruauté de reprocher aux gens de lettres leur
pauvreté dans un discours académique, et dire
avec orgueil qu'ils déclament contre les richesses, et
qu'ils portent envie en secret aux riches: 1° parce que le
récipiendaire ne peut savoir ce que ses confrères
moins opulents que lui pensent en secret; 2° parce que
aucun d'eux ne porte envie au récipiendaire.
- Quand on ne
fait pas honneur à son siècle par ses ouvrages,
c'est une étrange témérité de
décrier son siècle.
- Quand on est
à peine homme de lettres, et nullement philosophe, il ne
sied pas de dire que notre nation n'a qu'une fausse
littérature et une vaine philosophie.
- Quand on a
traduit et outré même la Prière du
déiste , composée par Pope (*); quand on a
été privé six mois entiers de sa charge en
province (**) pour avoir traduit et envenimé cette
formule du déisme; quand enfin on a
été redevable à des philosophes de la
jouissance de cette charge, c'est manquer à la fois
à la reconnaissance, à la vérité,
à la justice, que d'accuser les philosophes
d'impiété; et c'est insulter à toutes les
bienséances de se donner les airs de parler de religion
dans un discours public, devant une académie qui a pour
maxime et pour loi de n'en jamais parler dans ses
assemblées.
- Quand on
prononce devant une académie un de ces discours dont on
parle un jour ou deux, et que même quelquefois on porte
au pied du trône, c'est être coupable envers ses
concitoyens d'oser dire, dans ce discours, que la philosophie
de nos jours sape les fondements du trône et de l'autel.
C'est jouer le rôle d'un délateur d'oser avancer
que la haine de l'autorité est le caractère
dominant de nos productions; et c'est être
délateur avec une imposture bien odieuse, puisque non
seulement les gens de lettres sont les sujets les plus soumis,
mais qu'ils n'ont même aucun privilége, aucune
prérogative qui puisse jamais leur donner le moindre
prétexte de n'être pas soumis. Rien n'est plus
criminel que de vouloir donner aux princes et aux ministres des
idées si injustes sur des sujets fidèles, dont
les études font honneur à la nation. Mais
heureusement les princes et les ministres ne lisent point ces
discours, et ceux qui les ont lus une fois ne les lisent
plus.
- Quand on
succède à un homme bizarre , qui a eu le malheur
de nier dans un mauvais livre les preuves évidentes de
l'existence d'un Dieu, tirées des desseins, des rapports
et des fins de tous les ouvrages de la création, seules
preuves admises par les philosophes, et seules preuves
consacrées par les Pères de l'Église;
quand cet homme bizarre a fait tout ce qu'il a pu
pour infirmer ces témoignages éclatants de la
nature entière; quand à ces preuves
frappantes, qui éclairent tous les yeux, il a
substitué ridiculement une équation
d'algèbre , il ne faut pas dire, à la
vérité, que ce raisonneur était un
athée, parce qu'il ne faut accuser personne
d'athéisme, et encore moins l'homme à qui l'on
succède; mais aussi ne faut-il pas le proposer comme le
modèle des écrivains religieux: il faut se taire,
ou du moins parler avec plus d'art et de retenue.
- Quand
on harangue en France une académie, il ne faut pas
s'emporter contre les philosophes qu'a produits l'Angleterre;
il faudrait plutôt les étudier.
- Quand
on est admis dans un corps respectable, il faut dans sa
harangue cacher sous le voile de la modestie l'insolent orgueil
qui est le partage des têtes chaudes et des talents
médiocres.
- * Lefranc de Pompignan
avait, en 1740, traduit en vers français la
Prière universelle de Pope. Des Anglais firent,
en 1741, imprimer cette traduction, que Morellet reproduisit en
1760, avec des notes, et qui faisait aussi partie du
Recueil des facéties parisiennes.
- ** Dans un
Mémoire présenté au roi, le 11 mai
1760 (et dont il est question plus loin), Pompignan dit n'avoir
jamais été suspendu de sa charge.
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- EXTRAIT DES
NOUVELLES A LA MAIN
- DE LA VILLE DE
MONTAUBAN EN QUERCY
- (1er Juillet
1760).
- Le Mémoire de
M. Lefranc de Montauban, présenté au roi ,
étant parvenu à Montauban, et chacun étant
stupéfait, les parents du sieur auteur du mémoire
s'assemblèrent: et ayant reconnu que ledit sieur
instruisait familièrement Sa Majesté de ses
gestes, dits et écrits; qu'il parlait au roi des
entretiens amiables que lui sieur Lefranc avait eus avec M.
d'Aguesseau; qu'il apprenait au roi qu'il avait eu une
bibliothèque à Montauban, et, de plus, qu'il
faisait des vers; ayant remarqué dans ledit écrit
plusieurs autres passages qui dénotaient une tête
attaquée; ils députèrent en poste un
avocat de ladite ville au sieur auteur, demeurant pour lors
à Paris, et lui enjoignirent de s'informer exactement de
sa santé et d'en faire un rapport juridique. Ledit
avocat, accompagné d'un témoin
irrépprochable, alla à Paris, et se transporta
chez le malade: il le trouva debout, à la
vérité, mais les yeux un peu
égarés, et le pouls élevé. Le
patient cria d'abord devant les deux députés:
Jeovah, Jupiter, Seigneur (*) * Note de Voltaire:
Prière du déiste composée par ledit
sieur.
- « Je ne suis qu'un
avocat, répondit le voyageur; je ne m'appelle point
Jeovah. - Avez-vous vu le roi? dit le malade. - Non, monsieur,
je viens vous voir. - Allez dire au roi de ma part, reprit le
sieur malade, qu'il relise mon mémoire, et portez-lui le
catalogue de ma bibliothèque. » L'avocat lui
conseilla de manger de bons potages, de se baigner, et de se
coucher de bonne heure.
- A ces mots le patient eut
des convulsions, et dans l'accès il
s'écria:
- «
Créateur de tous les êtres,
- Dans ton amour
paternel,
- Pour nous former tu
pénètres
- L'ombre du sein
maternel .(*)
- *Note de Voltaire:
Poésies sacrées dudit auteur, page 61 (livre
Ier, ode X).
- - Eh monsieur, dit
l'avocat, pourquoi me citez-vous ces détestables vers,
quand je vous parle raison? » Le malade écume
à ce propos, et, grinçant les dents, il
dit:
- « Le cruel
Amalec tombe
- Sous le fer de
Josué;
- L'orgueilleux Jabin
succombe
- Sous le fer
d'Albinoé.
- Issacar a pris les
armes:
- Zabulon court aux
alarmes. »
- L'avocat versa des larmes
en voyant l'état lamentable du patient; il retourna
à Montauban faire son rapport juridique, et la famille,
étant certaine que le malade était mentis non
compos, fit interdire le sieur Lefranc de Pompignan,
jusqu'à ce qu'un bon régime pût
rétablir la santé d'icelui.
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- LES
CAR
- A M. LEFRANC DE
POMPIGNAN.
- (1761)
- Vous ne cessez point de
calomnier la nation; car jusque dans
l'Éloge de feu monseigneur le duc de Bourgogne ,
lorsqu'il ne s'agit que d'essuyer nos larmes, vous ne parlez
à l'héritier du trône, au père
affligé, au prince sensible et juste, que de la fausse
et aveugle philosophie qui règne en France, de la raison
égarée, des coeurs corrompus, des mains
suspectes, d'esprits gâtés par des opinions
dangereuses; vous dites que dans ce siècle on ne regarde
la mort que comme le retour au néant, etc.
- Vous avez tort:
car il est cruel de dire à la maison
royale que la France est pleine d'esprits qui ont peu de
respect pour la religion catholique, et d'insinuer qu'ils en
auront peu pour le trône; il est barbare de peindre comme
dangereux des gens de lettres qui sont presque tous sans appui;
il est affreux de faire le métier de délateur
quand on s'érige en consolateur, et de vouloir irriter
des coeurs dont vous prétendez adoucir les regrets par
vos phrases.
- On voit assez que vous
cherchez à écarter les gens de lettres de
l'éducation des Enfants de France: car
vous aspirez à en être chargé
vous-même, vous et monsieur votre frère;
car, pour paraître à la cour en
maître, vous priâtes M. Dupré de Saint-Maur
(*), qui vous recevait à l'Académie, de vous
comparer à Moïse, dans son beau discours , et
monsieur votre frère à Aaron: ce qu'il fit, et ce
qu'il ne fera plus.
- * Dupré de
Saint-Maur, directeur de l'Académie française,
répondant, le 10 mars 1760, au récipiendaire
Lefranc de Pompignan, lui disait: « Tout nous retrace en
vous l'image de ces deux frères qui furent
consacrés, l'un comme juge, l'autre comme pontife, pour
opérer des miracles dans Israël.
»
- Ah, Moïse de Montauban
vous n'aviez pas pris dans les Tables de la loi votre
Prière du déiste , car elle n'y est
pas. Cessez donc d'imputer des sentiments
d'impiété à la nation, car
vous avez ouvertement professé
l'impiété.
- Ce n'était pas ce
que professait le professeur en droit votre grand'père,
professant à Cahors: c'était un homme sage que ce
professeur; s'il vivait encore, il vous dirait: Mon fils, soyez
modeste; corrigez les vers de votre Didon, qui sont
lâches, faibles, durs, secs, hérissés de
solécismes.
- Récitez les psaumes
pénitentiaux, et ne les translatez point en vers plus
durs et plus chargés d'épithètes que votre
Didon. Ne soyez point hypocrite après avoir
été impie, car c'est là le
mal. Demandez pardon à l'Académie de l'avoir
insultée, et surtout ennuyée, la seule fois que
vous avez osé paraître devant elle. Ne donnez
point de Mémoires au roi , car il
ne les lira pas; et n'imaginez point de les faire imprimer par
ordre du roi, car le roi n'en donnera pas
l'ordre; ne soyez point délateur, car
c'est un vilain métier; ne faites point le grand
seigneur, car vous êtes d'une bonne
bourgeoisie; ne cabalez plus pour être intrus dans
l'éducation de nos princes, car, comme
vous dites dans votre Épître à monseigneur
le dauphin, elle ne sera pas confiée aux esprits
gâtés, aux auteurs de la Prière du
déiste, ni aux têtes chaudes qui ont l'esprit
froid; n'insultez point les gens de lettres, car
ils vous diront des vérités.
- Si vous présidez
à la cour des aides de Cahors, ou à
l'élection, ou au grenier à sel, n'imitez point
ce juge de village dont parle Horace, qui portait le laticlave,
et faisait parade de sa chaise curule: car on en
rit.
- Ne dites plus au roi, dans
un libelle de supplique, qu'il traite ses sujets comme des
esclaves, car alors ce n'est plus une
supplique, et il ne reste que le libelle; et lorsqu'on est
coupable d'un libelle si insensé, on a beau faire sa
cour au P. Desmarets, jésuite , le P. Desmarets
jésuite ne vous fera jamais entrer dans le conseil:
car il n'y entrera pas
lui-même.
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- LES AH!
AH!
- A MOÏSE
LEFRANC DE POMPIGNAN.
- (1761)
- Ah! ah!
Moïse Lefranc de Pompignan, vous êtes donc un
plagiaire, et vous nous faisiez accroire que vous étiez
un génie!
- Ah! ah! vous
avez donc pillé le P. Villermet dans votre Histoire
de monseigneur le duc de Bourgogne, et vous vous portiez
pour historiographe des Enfants de France, écrivant de
votre chef. Vous avez cru que les biens des jésuites
étaient déjà confisqués, vous vous
êtes pressé de vous emparer de leur style. Vous
êtes traducteur de Villermet après avoir
été traducteur de Métastase, et vous n'en
disiez mot!
- Ah! ah! vous
vous donniez pour un favori que la famille royale a
prié de vouloir bien écrire l'histoire des
Enfants de France. Vous nous induisiez en erreur, en disant
dans votre Épître dédicatoire à
monseigneur le dauphin et à madame la dauphine: «
J'obéis à vos ordres »; et il se trouve que
vous avez seulement usé de la permission qu'ils ont
daigné vous donner de leur dédier votre petite
translation, permission qu'on accorde à qui la
demande.
- Il semble, par votre
Épître dédicatoire, que le roi et
mon-seigneur le dauphin vous aient dit: « Monsieur Lefranc
de Pompignan, ayez la bonté d'apprendre à
l'univers que nous ne confierons jamais nos enfants à
des mains suspectes, à des coeurs corrompus, à
des esprits gâtés. »
- Mais, Moïse Lefranc,
qui jamais a voulu faire élever ses enfants par des
esprits gâtés, et des coeurs corrompus, qui ont
des mains suspectes? Vos mains ont sans doute un bon coeur;
mais ce n'est pas assez pour élever nos
princes.
- Ah! ah!
Moïse Lefranc de Pompignan, vous vouliez donc faire
trembler toute la littérature? Il y avait un jour un
fanfaron qui donnait des coups de pied dans le cul à un
pauvre diable, et celui-ci les recevait par respect; vint un
brave qui donna des coups de pied au cul du fanfaron; le pauvre
diable se retourne, et dit à son batteur: « Ah! ah!
monsieur, vous ne m'aviez pas dit que vous étiez un
poltron; et il rossa le fanfaron à son tour, de quoi le
prochain fut merveilleusement content. Ah!
ah!
-
-
-
-
- LETTRE DE PARIS DU
20 FEVRIER 1763.
- Voici ce qui vient
d'arriver au sujet du marquisat de Pompignan. On a porté
à M. le garde des sceaux les lettres patentes à
sceller; il les a lues, et il a trouvé:
- Que le roi désirant
reconnaître les services importants que la maison de
Lefranc avait rendus à l'État, depuis la
fondation de la monarchie, soit dans la robe, soit dans
l'épée; désirant récompenser
personnellement les services que M. Lefranc avait rendus
à sa patrie et à la religion, soit en
qualité de magistrat, et à la tête d'une
cour souveraine, soit en qualité d'homme de lettres, et
nommément le soin qu'il a pris d'immortaliser la
mémoire de M. le duc de Bourgogne par le bel
éloge qu'il en a fait (*); Sa Majesté, en
attendant mieux, avait jugé à propos
d'ériger en marquisat sa terre de Pompignan, n'entendant
néanmoins Sa Majesté que ce fût là
une récompense, mais une faible marque de satisfaction,
etc.
- M. le garde des sceaux (**)
a cru que la tête avait tourné au
secrétaire du roi qui avait rédigé ces
patentes; il l'a envoyé chercher (ce secrétaire
du roi est M. Carpot). M. de Brou lui a demandé s'il
avait perdu l'esprit, disant que quand ce seraient les
Montmorency, les Châtillon, les La Trimouille, il n'en
eût pas mis davantage. "Il est vrai, monseigneur, lui a
dit M. Carpot, que c'est moi qui ai dressé les lettres;
mais la formule m'en a été
envoyée...
- - Et par qui?... - Par M.
Lefranc; il y en avait bien davantage, mais j'en ai
retranché les trois quarts... - Eh bien! lui a dit M. de
Brou, retranchez l'autre quart, et nous verrons"
- Et vive le roi et Simon
Lefranc, Son favori,
- Son favori!
(***)
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* Lefranc de Pompignan est auteur d'un Éloge
historique de Monseigneur le duc de Bourgogne (mort le 22
mars 1761). Paris, Imprimerie royale, 1761,
in-8°.
- ** Paul-Esprit
Feydeau de Brou, nommé garde des sceaux en octobre
1762, se démit en octobre 1763, et mourut en
1767.
- *** Ces derniers mots
sont le refrain de l'Hymne chanté au village de
Pompignan;
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- LETTRE DE M. DE
L'ÉCLUSE, (*)
CHIRURGIEN-DENTISTE
- SEIGNEUR DU TILLOY,
PRÈS MONTARGIS
- A M. SON
CURÉ.
- Vous savez que j'ai
recrépi à mes dépens l'église du
Tilloy, et que j'ai raccommodé les deux tiers de la
tribune, qui était pour-rie: à peine m'en
avez-vous remercié; je ne m'en suis pas seulement
remercié moi-même; cela n'a fait aucun bruit,
tandis que M. Lefranc de Pompignan de Montauban jouit d'une
gloire immortelle.
- Vous me direz que cette
gloire, il se l'est donnée à lui-même;
qu'il a tout arrangé, tout fait, jusqu'au sermon qu'on a
prononcé à son honneur dans l'église de
son village; qu'il a fait imprimer ce sermon et la relation de
cette belle fête, à Paris, chez Barbon, rue
Saint-Jacques, aux Grues (**); que quand on veut passer
à la postérité, il faut se donner beaucoup
de peine, et que je ne m'en suis donné aucune. Vous avez
craint, dites-vous, le sort des prédicateurs modernes
que M. Lefranc de Pompignan traite dans sa Préface
d'écrivains impertinents, comme il a traité les
académiciens de Paris de libertins, dans son Discours
à l'Académie (***).Mais, mon cher pasteur, on
n'exige pas d'un curé de campagne l'éloquence
d'un évêque du Puy.
- * Note de :
L'Écluse, d'abord acteur de la Foire, puis
chirurgien-dentiste, était venu exercer, pendant quelque
temps, cette dernière profession à Genève,
en 1760. Il fut mandé à Ferney pour faire des
dents à Mme Denis.
- Fréron
annonça que c'était pour présider à
l'éducation de Mlle Corneille. L'Écluse se mit,
en 1777, entrepreneur de spectacles, et fut bientôt
réduit à être acteur; il mourut fort
âgé, et dans le besoin. La Lettre que
Voltaire publia sous son nom doit être de la fin de
février 1763; c'est probablement cette pièce que
Voltaire désigne sous le titre de la Jolie
Préface imprimée à Genéve
aux dépens des chirurgiens-dentistes, dans sa lettre
à Damilaville, du 15 mars 1763; dans un cahier dn 12
pages in-8° elle précède l'Hymne
chantée au village de Pompignan et la Relation du
voyage qui suit.
- ** Discours
prononcé (le 24 octobre 1762) dans l'église
de Pompignan, le jour de sa bénédiction, par M.
de Bevrac; A Villefranche de Rouergue, chez
Pierre
- *** Celui qui fit naitre
les Quand.
- Ne pouviez-vous pas vaincre
ma modestie, et me forcer dou-cement à recevoir
l'immortalité? Qui vous empêchait de comparer
l'église du Tilloy (page 3) à la sainte
cité de Jérusalem descendant du ciel? Ne vous
était-il pas aisé de me louer, moi
présent? C'est ainsi qu'on en a usé à
Pompignan: on adressa la parole à M. de Pompignan,
immédiatement avant d'implorer les lumières du
Saint-Esprit et de la vierge Marie. On a eu soin de mettre en
marge: "M. le marquis de Pompignan présent."
- Quand je vous ai fait de
doux reproches sur votre négligence dans une affaire si
grave, vous m'avez répondu que c'est ma faute de n'avoir
point pris le titre de marquis; que mon grand-père
n'était que docteur en médecine de la
Faculté de Bourges; que celui de M. de Pompignan
était professeur en droit canon à Cahors. Vous
ajoutez que votre paroisse est trop près de Paris, et
que ce qui est grand et admirable à deux cents lieues de
la capi-tale n'a peut-être pas tant d'éclat dans
son voisinage.
- Cependant, monsieur, il
m'est bien dur de n'avoir travaillé que pour Dieu,
tandis que M. de Pompignan reçoit sa récom-pense
dans ce monde.
- M. le marquis de Pompignan
fait la description de sa proces-sion: il y avait, dit-il,
à la tête un jeune jésuite (page 32),
derrière lequel marchait immédiatement M. de
Pompignan avec son procureur fiscal.
- Mais, monsieur,
n'avons-nous pas eu aussi une procession, un procureur fiscal,
et un greffier? Et s'il m'a manqué le derrière
d'un jeune jésuite, cela ne peut-il pas se
réparer?
- M. Lefranc rapporte que M.
l'abbé Lacoste officia d'une ma-nière imposante:
n'avez-vous pas officié d'une manière
édifiante?
- Nous avons entendu parler
d'un abbé Lacoste qui en imposait en effet:
c'était un associé du sieur Fréron, et on
fit même un passe-droit, ce dernier pour avancer
l'abbé Lacoste dans la marine; je ne crois pas que ce
soit le même dont M. de Pompignan nous parle
- L'abbé Lacoste,
qui bénit l'église de Pompignan, était
grand chantre du chapitre de l'église cathédrale
de Cahors. Voltaire fait semblant de le confondre avec un autre
abbé Lacoste, condamné aux galères en
1760, et mort ayant d'y etre arrivé.
- Au reste, monsieur,
l'église du Tilloy avait un très grand avantage
sur celle de Pompignan: vous avez une sacristie, et M.de
Pompignan avoue lui-même qu'il n'en a point, et que le
prêtre, le diacre, et le sous-diacre, furent
obligés de s'habiller dans sa bibliothèque. Cela
est un peu irrégulier; mais aussi il a parlé de
bibliothèque au roi il est dit en marge (page 31) qu'un
ministre d'État a trouvé sa bibliothèque
fort belle; on y trouve une collection immense de tous les
exemplaires qu'on a jamais tirés des cantiques
hébraïques de M. de Pompignan, et de son Discours
à l'Académie française; tandis que les
petits écrits badins où l'on se moque un peu de
M. de Pompignan sont condamnés à être
dispersés en feuilles volantes abandon-nées
à leur mauvais sort sur toutes les cheminées de
Paris, où il peut avoir la satisfaction de les voir pour
les immoler à sa gloire.
- Il est dit même dans
le sermon prononcé à Pompignan que Dieu donne
à ce marquis la jeunesse et les ailes de l'aigle, qu'il
est assis près des astres (page 14), que l'impie rampe
à ses pieds dans la boue, qu'il est admiré de
l'univers, et que son génie brille d'un éclat
immortel
- Voilà, monsieur, la
justice que se rend à lui-même le mar-quis, tandis
que je reste inconnu au Tilloy.
- On ajoute que M. le marquis
eut ce jour-là une table de vingt-six couverts (page
38); je vois que la Renommée est aussi injuste que la
Fortune: nous étions trente-deux le jour de la
dédicace de votre église, et cela n'a pas
seulement eté remarqué dans
Montargis.
- Enfin il est parlé
de Mme la marquise de Pompignan, et on n'a pas dit un mot de
Mme de L'Écluse; on se prévaut même du
jugement du sieur Fréron, qui appelle cette partie du
sermon une
- églogue en prose
(page 36), éloge qu'il donne aussi aux vers de M. de
Pompignan.
- Enfin M. de Pompignan jouit
de tous les honneurs possibles, depuis son beau Discours
à l'Académie française; la France ne parle
que de lui, et je suis oublié je demande à
messieurs de l'Académie si cela est juste.
- J'ai l'honneur
d'être, etc.
-
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-
- RELATION DU
VOYAGE
DE M. LE MARQUIS
LEFRANC DE
POMPIGNAN
DEPUIS POMPIGNAN
JUSQU'A
FONTAINEBLEAU
ADRESSÉE AU
PROCUREUR FISCAL DU VILLAGE DE
POMPIGNAN.
- Note de :
Il est question de cette Relation dans les
Mémoires secrets, à la date du 28
février 1763. il en existe une édition in-16 de
quatre pages. Une réimpression in-8° est
précédée de la Lettre de
L'Écluse, qui lui sert de préface, et d'une
Hymne.
-
- Vous fûtes
témoin de ma gloire, mon cher ami; vous étiez
à côté de moi dans cette superbe
procession, lorsque j'étais derrière un jeune
jésuite. Tous les bourdons du pays se faisaient
entendre, tous les paysans étaient mes gardes. Vous
entendîtes ce sermon, dans lequel il est dit que j'ai
la jeunesse de l'aigle, et que je suis assis près
des astres, tandis que l'envie gémit sous mes pieds.
Vous savez combien ce sermon me coûta de soins; je le
refis jusqu'à trois fois, à l'aide de celui qui
le prononça: car on ne parvient à la
postérité qu'en corrigeant ses ouvrages dans le
temps présent.
- Vous assistâtes
à ce splendide repas de vingt-six couverts, dont il sera
parlé à jamais. Vous savez que je me
dérobai quelques jours après aux acclamations de
la province; je pris la poste pour la cour; ma
réputation me précédait partout. Je
trouvai à Cahors mon portrait en taille douce dans le
cabaret: il y avait au bas cinq petits vers qui faisaient une
belle allusion aux astres, auprès desquels je suis
assis:
- Lefranc plane sur
l'horizon:
- Le ciel en rit,
l'enfer en pleure.
- L'Empyrée
était le beau nom
- Que lui donna l'ami
Piron;
- Et c'est à
présent sa demeure.
- Dès que j'arrivai
à Limoges, je rencontrai le petit-fils de M. de
Pourceaugnac: il était instruit de ma fête; il me
dit qu'elle ressemblait parfaitement au repas bien
troussé que M. son grand-père avait donné.
Nous nous séparâmes à regret l'un de
l'autre.
- Quand j'arrivai à
Orléans, je trouvai que la plupart des chanoines
savaient déjà par coeur les endroits les plus
remarquables de mon discours. Je me hâtai d'arriver
à Fontainebleau, et j'allai le lendemain au lever du
roi, accompagné de M. Fréron, que j'avais
mandé exprès. Dès que le roi nous vit, il
nous adressa gracieusement la parole à l'un et à
l'autre. "Monsieur le marquis, me dit Sa Majesté, je
sais que vous avez à Pompignan autant de
réputation qu'en avait à Cahors votre
grand-père le professeur. N'auriez-vous point sur vous
ce beau sermon de votre façon qui a fait tant de bruit?"
J'en présentai alors des exemplaires au roi, à la
reine, à M. le dauphin. Le roi se fit lire à
haute voix, par son lecteur ordinaire, les endroits les plus
remarquables. On voyait la joie répandue sur tous les
visages; tout le monde me regardait en
rétrécissant les yeux, en retirant doucement vers
les joues les deux coins de la bouche, et en mettant les mains
sur les côtés, ce qui est le signe pathologique de
la joie. "En vérité, dit M. le dauphin, nous
n'avons en France que M. le marquis de Pompignan qui
écrive de ce style.
- "Allez-vous souvent
à l'Académie? me dit le roi. -- Non, sire, lui
répondis-je. -- L'Académie va donc chez vous?"
reprit le roi (c'était précisément le
même discours que Louis XIV avait tenu à
Despréaux). Je répondis que l'Académie
n'est composée que de libertins et de gens de mauvais
goût, qui rendent rarement justice au mérite. "Et
vous, dit le roi à M. Fréron, n'êtes-vous
pas de l'Académie ? -- Pas encore", répondit M.
Fréron. Il eut alors l'honneur de présenter ses
feuilles à la famille royale, et je restai à
causer avec le roi. "Sire, lui dis-je, vous connaissez ma
bibliothèque? -- Oh tant! dit le roi, vous m'en avez
tant parlé dans un de vos beaux
mémoires...
- Comme nous en étions
là, le roi et moi, la reine s'approcha, et me demanda si
je n'avais pas fait quelque nouveau psaume judaïque. J'eus
l'honneur de lui réciter sur-le-champ le dernier que
j'ai composé, dont voici la plus belle strophe
- Quand les fiers
Israélites,
- Des rochers de
Beth-Phégor,
- Dans les plaines
moabites,
- S'avancèrent
vers Achor;
- Galgals, saisi de
crainte,
- Abandonna son
enceinte,
- Fuyant vers
Samaraïm
- Et dans leurs rocs se
cachèrent
- Les peuples qui
trébuchèrent
- De Béthel
à Sébaïm.
- Ce ne fut qu'un cri autour
de moi, et je fus reconduit avec des acclamations universelles,
qui ressemblaient à celles de Nicole dans le
Bourgeois gentilhomme.
- Le temps et la gloire me
pressent; vous aurez le reste par la première
poste.
-
Last modified: 21-Mar-00