-
- 3.INTERFÉRENCES
PHONOLOGIQUES
-
- (Les notes
sont en fin d'article)
-
- Une fois définis les matériaux phoniques dont
dispose chaque langue, ainsi que les différences et
convergences articulatoires qui les caractérisent, une
étude comparée des codes oraux portugais et
français doit aborder aussi les phénomènes
fonctionnels de chaque langue, leurs interactions, ainsi que
les rapports entre le matériau phonique disponible et et
la façon dont la grammaire du code oral en tire parti
(33)
- Ainsi, nous nous proposons, dans ce dernier chapitre,
d'étudier, d'une façon contrastive, certaines
caractéristiques de la phonologie de ces deux langues et
la façon dont elles peuvent interagir: les
fréquences d'emploi des phonèmes, les positions
et la syllabation.
-
-
- 3.1.Les phonèmes dans la chaîne
parlée
-
- Le classement comparé des phonèmes du
français et du portugais nous a montré que, pour
une bonne part, le matériau phonique est commun ou
proche. Les deux langues, cependant, diffèrent
profondément en surface.
- On peut en conclure que deux langues peuvent
posséder des phonèmes ou des articulations
à peu près identiques mais être trés
éloignées l'une de l'autre sur le plan de
l'expression et de la perception. Quelles raisons formelles
peuvent expliquer ce décalage?
- D'abord, nous l'avons vu, ce sont des raisons
extérieures à la langue elle-même, et
relatives à la réalisation phonétique du
locuteur: les habitudes articulatoires étant
différentes au départ, et la prononciation ayant
besoin d'être adaptée aux exigences de la
communication dans la langue étrangère, les
fautes d'expression s'expliquent par l'existence
d'interférences des habitudes articulatoires propres au
phonétisme portugais.
- On ne peut cependant réduire l'ensemble des erreurs
constatées à l'existence de certaines divergences
articulatoires: des facteurs intérieurs au
système linguistique même des langues en
présence justifient aussi la production orale de
surface, en particulier:
-
- -la distribution des phonèmes, spécifique
à chaque langue, qui risque de compromettre
l'identification des unités distinctives, et
confondre des réalisation pourtant identiques;
-
- -la fréquence d'emploi des phonèmes,
différente d'une langue à l'autre, et donnant
à chacune un contour articulatoire global
caractéristique, auquel une oreille
étrangère n'est pas forcément
préparée;
-
- -certaines habitudes prosodiques: répartition des
accents, intonation, structures syllabiques, composante
accentuelle, qui conditionnent le débit et le rythme
généraux de la production orale.
-
- L'analyse de la fréquence d'emploi et du rendement
des phonèmes est un premier moyen de mesurer et
d'expliquer certaines des fautes constatées.
-
-
- 3.2.Classement des phonèmes par
fréquence d'emploi
-
- L'analyse comparée des deux systèmes
démontre que, parmi toutes les combinaisons possibles
d'une langue, certaines sont privilégiées par
leur haute fréquence d'emploi, et, pour cela,
contribuent à définir le contour
phonétique de la langue
-
- L'ensemble des articulations dont dispose la langue subit
donc un autre type de classement que le classement
articulatoire, celui fondé sur la fréquence
d'emploi d'un phonème. Certains phonèmes sont en
effet beaucoup plus fréquents (probables) que d'autres,
et cette fréquence peut aboutir à la
nécessité de travailler en FLE sur les
articulations à la fois les plus fréquentes et
les plus éloignées des possibilités
articulatoires de l'élève.
-
- Les voyelles sont en français, des phonèmes
très fréquents, ce qui est conforme aux attentes.
Cependant trois consonnes se détachent en
français par leur haute fréquence: /l/, /R/ et
/s/.
-
- 3.2.1.Tableau des fréquences d'emploi en
français [34]
-
-
-
- Notons les proportions suivantes:
-
- Voyelles (% du total) 47,8 %
- Consonnes (% ") 52,2 %
-
- Voyelles orales (% des voyelles) 84,8 %
- Voyelles nasales (% ".) 15,2 %
-
- Semi-voyelles (% des consonnes) 5 %
-
- Les quatre voyelles les plus fréquentes sont
donc:
-
- /a/ (17% des voyelles)
- /e/ (13,6%)
- /i/ (11,6%)
- //
(11%)
-
- Ces voyelles représentent à elles seules la
moitié (53,2%) de toutes les voyelles
réalisées.
- Notons aussi la fréquence élevée de la
voyelle à double timbre /E/ (24,5 % des voyelles), alors
que les autres voyelles à double timbre sont rares (/O/,
7,7 %) ou très rares)
- Une étude attentive de ce tableau permet, comme le
note P. Léon, d'insister sur "l'aspect linguistique" du
problème des fréquences, et, par ailleurs, des
rapports entre fréquences orales et graphiques.
-
-
- Les voyelles:
-
- -Si le /a/ est bien la voyelle la plus fréquente,
sa variante postérieure //
est la voyelle la plus rare (cela est dû à ses
réalisations orthographiques "â", "az", "as",
etc). Ceci confirme la disparition progressive des habitudes
articulatoires du français de cette voyelle, et doit
suggérer à l'enseignant de FLE de ne pas
insister sur elle.
- -Intéressant est le cas de la voyelle /e/, dont
la fréquence orale est plus élevée que
la fréquence écrite, ce qui s'explique par le
fait que tous les graphèmes "e" ne se lisent pas
/e/.
- -La voyelle //,
au contraire possède une fréquence
écrite supérieure à la fréquence
orale: dans ce cas, caractéristique de la graphie
française, ce sont des réalisations graphiques
diverses ("è", "ai", "et", "ê", "ei", etc), qui
toutes correspondent à //.
- -La voyelle /o/ est dans une situation identique: elle
est beaucoup plus fréquente à l'oral
qu'à l'écrit, étant donné la
fréquence de la graphie "au" et de ses
dérivées. La même remarque peut
être faite pour //,
pour laquelle la richesse des graphies possibles contribue
à dissocier écrit et oral.
- -Notons, enfin, le cas de la voyelle //:
sa fréquence écrite représente en
français plus du double de sa fréquence orale
(c'est de loin le graphème le plus fréquent),
ce qui signifie qu'à peu près 50% seulement
des "e muets" se prononcent en français (35)
-
- L'inégalité constatée des
fréquences écrites/orales semble être la
preuve de l'inadéquation entre orthographe et
prononciation, les inégalités les plus fortes
correspondant d'ailleurs en FLE aux pièges les plus
sournois.
-
-
- Les consonnes:
-
- -La plus remarquable est la plus fréquente: /R/.
La différence de fréquence constatée
(en faveur de l'écrit) signifie que cette consonne
est souvent écrite mais non prononcée (donc
sans valeur phonétique), ce qui arrive, par exemple,
avec des graphies comme "er" (infinitif), "rr", etc
- -Constatons aussi qu'aucune consonne française
(à part /f/, qui semble stable) ne possède une
fréquence égale à l'oral et à
l'écrit, ce qui n'est pas étonnant
étant donné la distance qui sépare les
deux codes (36) D'une manière générale,
ce tableau nous montre que quelques consonnes sont plus
écrites que prononcées (ce sont les
principales "consonnes muettes": /R/, /t/, /d/) mais que,
surtout, la plupart des consonnes connaissent une
fréquence orale supérieure à la
fréquence écrite, ce qui confirme la grande
instabilité des repères graphiques du
français, et, par voie de conséquence, des
repères de lecture.
- -Quant aux semi-voyelles, la plus remarquable est /j/,
dont les réalisations graphiques n'existent pas, ce
qui confirme le caractère purement articulatoire de
sa fréquence.
-
-
- 3.2.2.Tableau des fréquences d'emploi en
portugais (37)
-
-
-
- Notons:
- Voyelles (% total) 47,7 %
- Consonnes (% total) 52,3 %
-
- Voyelles orales (% voyelles) 85 %
- Voyelles nasales (% voyelles) 15 %
-
- Semi-voyelles (% consonnes) 7 %
-
- Observons l'extrême similitude entre ces proportions
et celles rencontrées pour le français, ce qui
prouve que la répartition globale des articulations est
bien d'une origine commune.
- Par ailleurs, les quatre voyelles les plus
fréquentes en portugais sont, d'aprés ce
tableau:
-
-
- //
(23,5 % des voyelles)
- /i/ (12,3)
- /u/ (19,5 %) /a/ (11,4)
-
- Ces voyelles représentent à elles
seules les deux tiers (66,7%) de toutes les voyelles
réalisées. Si l'on rapproche de ce chiffre le
pourcentage obtenu par les 4 voyelles françaises les
plus fréquentes (53,2%), on remarque cette fois-ci que
le système vocalique portugais est plus
irrégulier dans son emploi, et que,
parallèlement, les voyelles françaises semblent
d'un emploi plus régulièrement distribué,
c'est-à-dire plus stable.
-
- Au niveau de ces quatre voyelles les plus fréquentes
en portugais, nous noterons en particulier, par rapport au
français:
-
- -l'absence de deux des voyelles les plus
fréquentes du français, /e/ et //:
en portugais, ces voyelles ont une fréquence modeste
(respectivement 1,6% et 1,1%), alors qu'en français,
leur fréquence est élevée (6,5% et
5,3%). La principale conséquence de ce
décalage fréquentiel est la difficulté
éprouvée par les élèves de FLE
à dominer la distribution des timbres [e] et
[].
- - la fréquence privilégiée (9,3%)
d'une voyelle qui est secondaire (2,7%) en français:
/u/ . Cette fréquence s'explique en portugais par sa
réalisation habituelle en finale atone pour la
graphie "o".
- - la fréquence maximale (11,2%) attribuée
à une voyelle inconnue en français:
//.
On peut se demander si cette voyelle
privilégiée ne contribue pas, par ses modestes
caractéristiques articulatoires (c'est une voyelle
très relâchée), à augmenter les
difficultés face aux exigences articulatoires
trés strictes du vocalisme français.
-
-
- Quant aux consonnes, notons que:
-
- -les plus fréquentes (/t/, /l/, /k/, /s/, etc),
sont aussi, en gros, les plus fréquentes en
français, même si le pourcentage de chacune
varie légèrement d'une langue à
l'autre.
- -Il faut toutefois noter le cas de la consonne apicale
portugaise /r/, la plus fréquente des consonnes
(10,3%): ne correspondant à aucune réalisation
normative de la consonne vibrante en français, elle
constitue l'un des pièges d'interférence les
plus sournois en FLE, et représente sans doute la
seule véritable articulation incorrecte (du point de
vue du français) à résister
systématiquement aux exercices de prononciation
(38)
-
-
-
- 3.3.Distribution comparée des voyelles et des
consonnes.
-
- Chacun des phonèmes décrits se manifeste
habituellement associé à d'autres
phonèmes. Cette association systématique
contribue à modifier chacun des éléments
sonores, et tend à créer, indépendamment
de sa fréquence, une redondance, c'est-à-dire un
type caractéristique d'association.
- Ainsi, en FLE, au-delà de la composante
articulatoire et fréquentielle, il est important de
décrire les structures combinatoires des systèmes
vocalique et consonantique.
-
- - On constate ainsi que chaque langue utilise des
associations de phonèmes, et que chacune offre des
possibilités de combinaisons que l'autre ignore ou
néglige.
- - Cette différence de distribution des sons du
français et du portugais peut donc être source
de fautes en FLE. Toute correction phonétique se doit
d'être précédée d'un inventaire
comparé des distributions des phonèmes.
-
-
- 3.3.1.Distribution comparée des
voyelles
-
-
- 3.3.1.1. Positions des voyelles du
portugais
-
-
- En portugais, la distribution des voyelles est un domaine
très délicat: elle obéit en effet avant
tout à la position de l'accent. On distinguera ainsi les
voyelles toniques et les voyelles atones (pré-toniques
ou post-toniques):
- L'analyse de ce tableau permet de faire quelques
observations sur la distribution des voyelles, en particulier
l'importance du système de réduction vocalique
jouant sur les voyelles atones du portugais (39), et dont on ne
retrouve pas en français des principes similaires:
-
-
-
-
- Notes sur le tableau:
- 1-la voyelle /e/ n'apparaît pas en position atone,
où elle est en distribution complémentaire avec
//:
ser [ser] - serei [srej]
- 2-la voyelle /o/ atone devient /u/, sauf en syllabe
fermée, où elle est conservée:
voltar [voltar] - votar
[vutar]
- 3-la voyelle //
n'apparaît pas en position tonique.
- 4-la voyelle /a/ atone devient //
sauf en syllabe fermée par //;
atar [tar]
- altar [atar],
sauf pour quelques cas (40): "actor" [ator]
- 5-la voyelle //
n'est atone qu'en syllabe fermée par //
ou /r/ : n'vel [niv]
- nivelar [nivlar]
-
- Aucune de ces distributions n'est relevante en
français, où l'accent de mot n'existe pas en tant
que facteur de distribution vocalique.
- Ainsi, la distribution des voyelles du portugais doit-elle
se faire en tenant compte de la position relative à
l'accent, et non, comme en français, par rapport au type
de syllabe (41)
- - peuvent être toniques (initiales,
médiales, finales) toutes les voyelles, sauf
//;
- - peuvent être pré-toniques (initiales,
médiales): toutes les voyelles toniques et la voyelle
//
- -voyelles post-toniques (finales): //,
//,
/u/
-
- 3.3.1.2. Positions des voyelles du
français
-
- En français, les voyelles peuvent se trouver
dans pratiquement toutes les positions: initiales,
médiales (entre consonnes) et finales. Toutes les
voyelles n'ont pas cependant la même probabilité
d'apparition selon la distribution
considérée:
-
-
-
-
- Notes sur le tableau:
- - le //,
possède une distribution plus réduite que les
autres voyelles: on ne trouve jamais //
en initiale, généralement en médiale,
et rarement en finale prononcée (c'est le cas dans
quelque formes toniques à valeur grammaticale, comme
le pronom le: "dis-le" [dil],
ou "que", "ce", etc; la position tonique du
//
est tout à fait exclue en portugais, ce qui est
à l'origine d'interférences
fréquentes.
- -la voyelle /O/ et la voyelle /OE/ possèdent une
distribution restreinte au niveau de leurs timbres, puisque
les timbres ouverts ne se trouvent pas en position finale
absolue (c'est-à-dire en syllabe ouverte). Elles sont
donc en français en distribution
complémentaire.
- Toutes les autres distributions sont possibles, mais non
équiprobables (42)
-
-
- 3.3.1.3.Interférences
distributionnelles
-
- Les différences apparentées par ces deux
tableaux témoignent du décalage
considérable qui sépare la distribution des
voyelles dans les deux langues. Le français ignore ce
qui fait la spéficité même du vocalisme
portugais: l'opposition entre un système de voyelles
toniques et un système de voyelles atones. Quelles
interférences ces deux systèmes vocaliques
concurrents peuvent-ils induire en FLE? Il s'agit là de
l'une des questions les plus délicates, étant
donné qu'entrent en jeu plusieurs facteurs
simultanés: articulations, distribution, accent et
rythme.
- Les prolongements grammaticaux de ces réalisations
impliquent des cas où des interférences peuvent
compliquer l'accès aux formes grammaticales du
français. L'exemple le plus expressif est celui de la
morphologie verbale: en portugais, il existe un modèle
de conjugaison orale fondée sur un système de
réduction de la voyelle du radical qui perd son accent
(43), du type "ato" [atu] - "atamos" [tmu],
caractérisée par l'opposition /a/ tonique -
//
atone. Dans certains types de conjugaisons de verbes
français, un phénomène assez semblable
peut se produire (je) "cède" [sd]
- (nous) "cédons" [sed]
(ici les deux timbres [e] et []
se neutralisent mutuellement). Etant donné, d'une part,
l'analogie du système de réduction vocalique de
certains verbes portugais, et, d'autre part, les habitudes
accentuelles du portugais qui réduit toute voyelle
atone, des formes françaises du type "cédons"
seront parfois en FLE réalisées *
[sd]
ou même * [sd].
-
-
- 3.3.2.Distribution comparée des
consonnes
-
- Contrairement aux voyelles, le système des consonnes
du portugais est relativement proche, par les habitudes qu'il
implique, de celui du français. La distribution des
consonnes portugaises est cependant suffisamment
différente pour créer de nombreuses
interférences en français.
-
-
- 3.3.2.1.Positions des consonnes du portugais:
-
-
-
- Notes sur le tableau:
- -Les consonnes //
et //
ont une distribution très restreinte, n'existant
couramment qu'en médiale (elles ne peuvent fermer une
syllabe).
- -Les consonnes /l/ et //
sont en distribution complémentaire: elle
apparaissent dans des contextes mutuellement exclusifs:
//
n'apparaît qu'en fin de syllabe ou de mot, /l/ en
début de syllabe: ainsi, dans "lato" [latu] -
"alto" [atu];
dans ce deuxième cas, la voyelle /a/ est
vélarisée1 par //
et n'apparaît donc qu'en syllabe fermée par
//.
- -Les consonnes /r/ et /R/ sont aussi en distribution
complémentaire: l'opposition phonologique ne joue pas
en position initiale ou finale. /r/ et /R/ ne s'opposent
donc qu'en position médiale (6): ainsi, "caro"
[karu] - "carro" [kaRu].
- -D'une manière générale, seules
trois consonnes apparaissent en finale absolue (en syllabe
fermée): //,
/r/, //.
- -Notons aussi que peu de consonnes apparaissent en
portugais en fin de syllabe fermée (ce sont
généralement les mêmes qu' en finale
absolue), alors que le taux global de syllabes
fermées par rapport aux syllabes ouvertes est
à peu près le même qu'en français
(20%), langue où, nous allons le voir, toutes les
consonnes peuvent fermer les syllabes.
-
-
- 3.3.2.2.Distribution des consonnes du
français
-
- En français, la distribution des consonnes est plus
régulière qu'en portugais, puisque les consonnes
peuvent occuper toutes les positions possibles:
-
-
-
- 3.3.2.3. Interférences
distributionnelles
-
- Les consonnes finales: la possibilité de
trouver l'ensemble des consonnes en finale absolue s'explique
en français par le fait que le //
final est muet, laissant apparaître une syllabe
fermée.
- Le fait que le "e muet" final ait été
prononcé en français pendant très
longtemps se reconnaît encore aujourd'hui dans la
manière dont ces consonnes finales sont
réalisées, exactement comme si elles
commençaient une nouvelle syllabe (c'était bien
le cas quand le "e muet" était maintenu). Les consonnes
finales absolues constituent toujours, en FLE, un important
obstacle sur le chemin de la correction phonétique, en
particulier par leurs caractéristiques articulatoires:
consonnes fortes (elles sont nettes et tendues comme des
consonnes de début de syllabe), elle produisent une
impression d'affectation articulatoire, impression
renforcée par leur durée.
- C'est dans cette perspective qu'il faut situer
l'explication de certaines interférences
fréquentes sur les consonnes finales absolues, surtout
lorsqu'est en cause l'opposition sourde/sonore: ainsi,
l'opposition des suffixes "euf" [f]
- "euve" [v]
(comme dans "veuf" - "veuve"), est, en FLE,
rarement sentie (et donc respectée), les habitudes de
l'élève le conduisant rarement à
réaliser des consonnes sonores finales absolues (le mot
"veuve" [vv]
aura tendance à être prononcé
*[vf],
c'est-à-dire comme le masculin "veuf"). Un autre
exemple fréquent est celui des suffixes de genre
"if" - "ive" (comme dans "passif" -
"passive", où l'on entend
régulièrement en FLE "active" être
prononcé *[aktif] (44)
-
- Les séquences de consonnes: pour comparer des
séquences de phonèmes (consonnes surtout), le
meilleur moyen semblerait être de faire l'inventaire de
ces séquences en français, puis vérifier
leur existence en portugais. Si elles existent dans les deux
langues, elles ne seront probablement pas à l'origine de
difficultés, mais dans le cas contraire des
interférences pourront se produire: "oin"
[w],
par exemple, est une séquence qui n'existe pas en
portugais, d'où problème de détection en
lecture ou d'articulation en production orale.
-
- La difficulté ne vient pas seulement de la
séquence en soi, mais aussi de l'environnement de cette
séquence. Ainsi, prenant l'exemple des séquences
de certaines doubles consonnes (/st/, /sk/, /sp/, etc), on
vérifie leur existence dans les deux langues, ce qui
semble faciliter leur transfert de prononciation et leur
identification en français. Pourtant, ces
séquences n'apparaissent jamais en portugais avec la
même distribution qu'en français: elles sont
précédées de voyelles en portugais (donc
ne peuvent apparaître en initiale absolue), ce qui n'est
pas le cas en français, comme le montrent les paires
suivantes "espacial" - "spatial",
"escolar" - "scolaire" ou "estádio"
- "stade". L'absence de ces séquences de
consonnes en portugais en position initiale va aboutir, en
français, à des prononciations faussés, du
type *[spasjal]
(45)
-
-
- 3.3.3.Distribution comparée des
semi-voyelles
-
-
- En portugais, les deux semi-voyellespeuvent occuper les
positions suivantes:
-
-
- Notes sur le tableau:
- - La semi-voyelle /j/ ne se combine pas avec /i/ ou
//.
Elle apparaît généralement après
voyelle, et contribue à la fréquence des
diphtongues du /i/ en portugais
- - /j/est en distribution complémentaire avec la
nasale //:
apparaît /j/ en diphtongue orale et //
en diphtongue nasale: ainsi, "pai" [paj] -
"põe" [p].
- - /w/ apparaît aussi bien avant qu'après
voyelle, mais ne se combine qu'avec une partie d'entre
elles, excluant les nasales (sauf //)
et les orales //,
/o/, //,
//.
- - /w/ est en distribution complémentaire avec
//,
la semi-voyelle orale apparaissant au contact exclusif d'une
voyelle orale: ainsi, "mau" [maw] - "mão"
[m].
-
- En français, les trois semi-voyelles /j/,
//,
/w/ peuvent apparaître dans les positions suivantes:
-
-
-
- Notes sur le tableau:
- - /j/ n'apparaît que très peu à
l'initiale, et rarement en finale, mais se combine avec
n'importe quelle voyelle.
- - /j/ est en distribution complémentaire avec la
voyelle /i/: la semi-voyelle apparaît au contact d'une
autre voyelle (quelle qu'elle soit), mais devant une double
consonne prononcée, /j/ se réalise en /ij/
:ainsi, "bière" [bjR]
- "prière" [pRijR].
- - La réalisation du /j/ français ne
correspond pas à une diphtongue, comme en portugais,
puisque le /j/ y est un véritable phonème
autonome, comme le prouve le test de la commutation
phonologique: fille [fij] - file [fil]
- -//
est en distribution complémentaire avec la voyelle
/y/: la semi-voyelle apparaît au contact d'une autre
voyelle; cependant, devant une double consonne
prononcée, //
se réalise en /y/. Le groupe /i/
se maintient pourtant même devant double consonne (il
n'y a pas diérèse): comparez "ruelle"
[Rl]
- "cruelle" [kRyl]
et "nuit" [ni]
- "bruit" [bRi].
- - /w/ est rare en initiale et interdite en finale: elle
ne peut suivre une voyelle. Elle est neutralisée par
/y/, /o/, /u/.
- - /w/ est en distribution complémentaire avec la
voyelle /u/: la semi-voyelle apparaît au contact d'une
autre voyelle, mais devant une double consonne
prononcée, /w/ se réalise en /u/ . Les groupes
/wa/ et /w/
se maintiennent cependant même devant double consonne
(il n'y a pas diérèse).
- - Il n'y a pas, en français, de semi-voyelles
nasales.
-
-
- 3.4. Habitudes syllabiques en français et en
portugais
-
- L'apprentissage comparé des articulations, de leurs
caractéristiques, de leurs réalisations et de
leurs fréquences constitue une approche
nécessairement partielle des phénomènes
d'interférence en FLE. La compétence orale doit
aussi aborder les problèmes de transition, de jonction
entre syllabes, et, plus généralement, la
question de l'identification des composants essentiels du
message.
- Dans la chaîne orale, cependant, la frontière
entre mots ou unités est mal définie. En
français parlé, la composante prosodique, par le
contour régulier qu'elle impose à la phrase,
contribue à annuler les frontières de mots et
même à modifier les données de la
syllabation, ce qui, en FLE, conduit fréquemment
à l'effacement de repères syntaxiques pour
l'auditeur. Le français parlé est perçu
comme une langue dont les syllabes, les mots et les syntagmes
se noient et se confondent en une suite neutre et
indifférenciée.
- Il est donc nécessaire, pour le perfectionnement de
la compréhension orale et pour développer la
qualité sonore de l'inter-compréhension,
d'apprendre à l'élève à
apréhender la phrase française comme un mouvement
phonatoire d'ensemble, et non comme une suite d'unités
juxtaposées. La maîtrise de cette
linéarité est caratérisée entre
autres par l'apprentissage de l'enchaînement et de la
liaison, qui favoriseront le décodage global du
message.
-
- 3.4.1.Segmentation et syllabation
-
- Du point de vue statistique, la proportion syllabique en
français est de 80% de syllabes ouvertes (46) et de 20%
de syllabes fermées (47). Cette proportion est à
peu près identique en langue portugaise, avec, dans
cette dernière, une nette tendance à la syllabe
ouverte minimale (composée d'une consonne suivie d'une
voyelle), qui représente à elle seule 65% de
toutes les syllabes réalisées (48)
- Ainsi, en français comme en portugais, la syllabe
ouverte acquiert une importance considérable, tant par
sa fréquence élevée que par le rôle
privilégié qu'elle attribue à la
voyelle.
-
- 3.4.1.1.L'enchaînement
-
- Lorsque la segmentation se fait après la voyelle,
c'est à dire lorsque se manifeste une tendance à
la séquence C V. C V. C V. etc, on parle
d'enchaînement (c'est le cas 8 fois sur 10). Il y a donc
enchaînement lorsque la consonne finale d'un mot (quand
elle est prononcée) se colle à la voyelle du mot
suivant, formant une nouvelle syllabe. Ainsi, "il était"
, dont la syllabation mot à mot implique
[il.e.t]
(une syllabe fermée suivie de deux syllabes ouvertes),
se réalise en fait [i.le.t]
(trois syllabes ouvertes), grâce au déplacement de
la consonne /l/ en début de syllabe suivante. Le but de
l'enchaînement est de permettre un maximum de syllabes
ouvertes, ce qui va dans le sens des tendances syllabiques de
la langue française.
- En langue portugaise, l'enchaînement obéit aux
mêmes règles et remplit les mêmes fonctions,
ce qui implique l'absence de toute interférence sur ce
plan.
-
- 3.4.1.2.la liaison
-
- On peut parler de liaison lorsque l'enchaînement se
double de l'apparition d'une consonne supplémentaire,
dite "consonne de soutien", qui s'insère entre deux
voyelles afin de rétablir la séquence habituelle
C V. C V. Dans l'énoncé "Il était une
fois", apparaît la consonne de liaison /t/ entre le verbe
et le déterminant indéfini:
- Il était une fois [i.le.t.tyn.fwa]
- Le /t/, consonne de liaison, s'insère entre les
voyelles //
et /y/ afin d'éviter leur contact et de restituer
à l'énoncé une segmentation conforme aux
habitudes.
- Signalons que l'emploi de la liaison en langue
française obéit à des règles
rigoureuses et précises, dans la mesure où son
emploi est déterminé par un certain nombre de
restrictions (on ne peut pas faire des liaisons n'importe
où et n'importe quand: il y a des liaisons facultatives,
mais aussi des liaisons obligatoires), et que le
phénomène de la liaison peut acquérir une
valeur grammaticale pour la langue, puisqu'il peut permettre de
distinguer des contextes fonctionnels (49)
- Dans certains contextes, par exemple, le caractère
appauvri des marques grammaticales orales donne aux
éventuelles liaisons une importance distinctive
considérable: dans des phrases comme ´Il(s)
semblai(en)t fatigué(s), mais continuai(en)t
fidèle(s) à l'esprit olympique ª seule la
réalisation de la liaison /z/ déterminera celle
du pluriel, puisque d'un point de vue oral, cette phrase n'a
pas de nombre marqué.
-
-
- 3.4.1.3. Liaison et interférences
-
- Alors qu'en français les phénomènes
syllabiques de liaison semblent sur bien des points
indispensables au fonctionnement de l'expression orale, ils
n'en demeurent pas moins, en FLE, un domaine mal connu, ambigu
et complexe à maîtriser. La liaison est en effet
en portugais un procédé inconnu.
- Même si les enchaînements sont
fréquents, ce qui correspond, comme en français,
à une stratégie de réalisation
systématique de syllabes ouvertes ("temos uma casa"
[te.mu.zu.m.ka.z],
toutes les syllabes sont ouvertes), les liaisons sont absentes:
la raison en est qu'il n'y a pas en portugais de consonnes
graphiques muettes en finale absolue, ce qui efface la
possibilité de création de consonne de soutien
dans la chaîne parlée. Les consonnes finales les
plus fréquentes (/r/, //,
//)
sont en effet systématiquement prononcées, et
sont donc simplement déplacées par
enchaînement (si la segmentation l'exige) en début
de syllabe suivante: "dois anos" correspond aux syllabes
enchaînées [doj.z.nu]
(50)
- La liaison n'a donc en portugais aucune raison
d'être, ce qui équivaut, en FLE, à
méconnaître son emploi et sous-estimer son
utilité.
-
-
- 3.5.Distribution des voyelles
à double timbre
-
URL:
Last modified: 21-Mar-00