- SUR QUELQUES
ASPECTS
- DES RELATIONS
RÉCENTES
- ENTRE GRAMMAIRE
ET DIDACTIQUE
- DU
FRANÇAIS LANGUE
ÉTRANGERE
-
- D. Coste,
-
- Langue française,
décembre 1985, nº68, p.5
-
-
- Grammaire et enseignement des langues
ont des histoires étroitement mêlées. De
l'Antiquité jusqu'à nos jours, une bonne partie
du travail des grammairiens a eu à voir avec une
visée didactique. Et chaque fois que I' enseignement des
langues est sorti de la simple pratique des guides de
conversation, il a eu à se situer par rapport à
la grammaire. Si la période récente en gros ces
trente dernières années présente une
relative spécificité, c'est qu'elle est
marquée par l'essai de mise en place de domaines de
réflexion et d'action particuliers qui ne se confondent
ni avec la théorie de la langue ni avec son enseignement
ni avec l'union ou l'intersection de ces deux lieux. Selon les
dynamiques différentes en effet, la linguistique
appliquée et la didactique des langues
étrangères (ou de telle ou telle langue
étrangère particulière) se sont
successivement posées comme lieux tiers,
articulés bien sûr aux autres mais dotés
des attributs d'une certaines souveraineté: revues et
collections spécialisées, titres ou
filières universitaires plus ou moins distincts et
reconnus, organismes et institutions assez solidement
établis, associations nationales ou internationales
organisant congrès et rencontres.
- Toute tentative pour affirmer et
délimiter un territoire « nouveau passe par des
conflits, des alliances et des interrogations sur les
frontières. Afin d'examiner aujourd'hui les relations
que la didactique du français langue
étrangère entretient avec la grammaire, il est
utile, entre autres points de vue, de considérer aussi
ce qui tient à cette constitution d'un espace en voie de
légitimation. Les brefs commentaires qui suivent
s'organisent autour de trois propositions majeures: . Dans la
phase d'expansion de la linguistique (soit environ de 1955 a
1970), la linguistique appliquée peut se constituer un
sous-domaine en rompant des lances avec la grammaire
traditionnelle. A coût d'autant moindre que la
linguistique dominante retravaille les mêmes secteurs que
ladite grammaire. . Quand la linguistique ne se trouve plus en
période faste (soit depuis une quinzaine
d'années), la didactique des langues
étrangères tend a se substituer à une
linguistique appliquée ébranlée et
compromise et à prendre ses distances par rapport au
noyau dur (le toujours grammatical) de la linguistique,
flirtant ainsi plutôt, d'un côté ou de
l'autre de frontières mouvantes, avec les marges des
sciences du langage.
- Mais, si nécessaires que
soient de tels déplacements pour mieux cerner tout ce
qui devrait trouver place dans le champ d'une didactique des
langues étrangères, le relâchement relatif
des liens avec la grammaire n'est évidemment pas une
stratégie tenable, à terme, comme en
témoignent bien des mouvements en cours.
-
- Linguistique et Linguistique
appliquée: même combat
-
- A la fin des années 50, en
Europe comme aux États-Unis, la linguistique
appliquée fait son apparition en partie contre la
grammaire dite traditionnelle... au nom de la linguistique. Les
tenants de méthodes nouvelles vont s'en prendre à
tout ce qui, dans l'enseignement classique d'une langue
étrangère, manifeste l'incohérence d'une
grammaire scolaire, normative mais manquant de rigueur, plus
pointilleuse que précise, plus encombrée
d'archaïsmes et d'exceptions que pertinente sur les
fonctionnements fondamentaux. Tout ne s'affirmera pas d'un coup
et par exemple, I'équipe qui, autour de Georges
Gougenheim, travaille à l'élaboration du
français fondamental, ne part pas en guerre contre les
grammaires, s'efforçant plutôt de montrer en quoi
les emplois conversationnels font apparaître des
régularités dont les classifications habituelles
ne rendent pas raison.
- Mais, peu à peu, surtout sous
l'influence de la linguistique appliquée
américaine, l'opposition entre grammaire (non
scientifique et prescriptive) et linguistique (scientifique et
descriptive) va devenir un lieu commun de tout discours sur les
voies et moyens de faire progresser rationnellement
l'enseignement des langues. Au milieu de cet affrontement un
peu forcé et déséquilibré entre les
anciens et les modernes, ceux qui tiennent à une
entreprise de rénovation ont tôt fait de choisir
leur camp. C'est sous la bannière de la linguistique que
la linguistique appliquée à l'enseignement des
langues et ceux qui s'en recommandent vont d'abord se placer.
Et ce d'autant plus volontiers que, d'une part, on croit
à un renouvellement effectif du regard sur des
phénomènes bien connus et réputés
fondamentaux et que, d'autre part, les cadres et concepts de la
linguistique générale vont aider à
théoriser certaines options d'enseignement. Le
renouvellement du regard porte sur le noyau dur de la
grammaire. Le structuralisme distributionnel parle des marques
du genre et du nombre et de leur distribution à l'oral,
il propose des reclassements des prédéterminants,
montre clairement des possibilités de substitution et
d'expansion pour un groupe nominal à l'intérieur
d'un patron de phrase.
- Ce sont bien les données dont
traitait la grammaire des livres scolaires qui se trouvent
désormais reprises dans un modèle descriptif aux
catégories et aux procédures plus
systématiques et homogénéisées
qu'auparavant. De même, par une autre voie, les
décomptes du français fondamental soulignent la
fréquence des verbes irréguliers dans
l'échange verbal ou la rareté de certains
schémas canoniques d'interrogation directe. On se trouve
en pays de connaissance: la linguistique en donne plus ou
mieux, mais du même; marques du genre et du nombre,
morphologie du verbe, fonctionnement des
prédéterminants sont autant d'incontournables
pour quiconque organise de façon explicite un
enseignement du français langue étrangère
à des débutants. La linguistique et la
linguistique appliquée se substituent d'autant mieux
à la grammaire ancien style qu'elles chassent à
l'évidence sur les mêmes terres et que ce
territoire a toujours été un passage
obligé pour l'enseignement d'une langue
étrangère. Valdman et Belasco avec leur Applied
Linguistics: French (1960) annoncent Csecsy et les premiers
volumes de la Grammaire structurale de Jean Dubois. Les
descriptions de la linguistique appliquée à
l'enseignement d'une langue étrangère
précèdent pour le coup l'ouvrage d'un grammairien
séduit à l'époque, comme beaucoup
d'autres, par les manipulations réglées du
distributionnalisme linguistique.
- L'intérêt majeur de cet
apport nouveau est qu'il n'impose pas une remise en cause
totale des pratiques antérieures. On ne « casse pas
la baraque ». Bien au contraire, les modifications
introduites dans la représentation de fonctionnements
explicitement enseignés depuis longtemps par la
grammaire traditionnelle contribuent à une stabilisation
et à une réassurance. Certes, la «
découverte » de l'oral permet de mettre au jour des
stabilités réglées qu'on négligeait
auparavant. Certes aussi, le recours au dialogue, aux exercices
structuraux et aux moyens audiovisuels va faire bouger les
pratiques pédagogiques. Reste que l'emportent les
facteurs de continuité tenant au fait que, pour
l'essentiel, la présentation et la progression des
éléments enseignés s'appuient sur les
catégories grammaticales qu'on a toujours
travaillées.
- Mais la linguistique est aussi la
discipline à laquelle, en période de
structuralisme triomphant, la réflexion sur
l'enseignement des langues emprunte nombre des notions qui vont
circuler dans les stages pédagogiques et les discours
didactiques: structure bien sûr, signe, signifiant,
signifié, paradigme, syntagme, avant connotation ou
métalangage mais en même temps que code, message,
émetteur, récepteur, venus de la théorie
de l'information. Il serait facile d'allonger cette liste mais,
pour notre propos, il suffit de marquer comment, à la
fin des années 60, s'amorce une dérive et se
manifeste un blocage partiel. La dérive est celle que
connaît le schéma de l'échange linguistique
ou de l'interlocution en situation de communication. Il faut
ici rappeler que, dans la plupart des programmes de formation
intéressant le français langue
étrangère (stages du B.E.L.C., du CREDIF, de
Besançon), la linguistique tient le haut du pavé
comme science d'appui ou d'inspiration et que le schéma
élémentaire de la transmission de l'information y
occupe une place privilégiée dès le
début des années 60. Dans un premier temps, il se
réduit à la polarisation
émetteur-récepteur et au jeu code/message/
canal/bruit Avec le succès que connaît le
schéma aux six termes et six fonctions proposé
par Jakobson, un premier déplacement s'opère,
renforcé par l'intérêt porté
à l'énonciation et, bientôt, au discours.
Destinateur et destinataire ne sont plus des pôles
symétriques et équivalents, le message se charge
de traces et d'indices renvoyant à autre chose aussi
qu'à l'information référentielle.
Embrayeurs, modalisateurs, marques énonciatives diverses
focalisent l'attention sur des éléments et des
fonctionnements linguistiques ne relevant plus
nécessairement du « noyau dur » grammatical.
Le blocage relatif est celui que connaît la grammaire
générative et transformationnelle dans sa
relation à la didactique du français langue
étrangère. Quand elle commence, bien tardivement,
à pénétrer en France, la vague
générativiste touche sans doute plus la
pédagogie de la langue maternelle qu'elle n'affecte le
français langue étrangère. Du même
coup, ce qui apparaît comme un retour en force d'une
grammaire se nommant comme telle et établissant le lien
entre une certaine tradition redécouverte (celle de
Port-Royal et de la grammaire générale) et
l'exigence de rigueur scientifique et descriptive de la
linguistique n'a pas vraiment prise sur la didactique des
langues étrangères au tournant des années
60 à 70 et n'empêchera donc pas cette
dernière de se tenir de plus en plus à distance
de l'évolution de la théorie syntaxique et
phonétique, la dérive énonciative,
discursive et bientôt pragmatique se
révélant peu à peu plus
déterminante.
-
- Accueil mitigé de la grammaire
générative
-
- Entendons-nous bien: I'impact de la
grammaire générative n'est ni inexistant ni
indifférent mais il paraît limité et
sélectif 2. Plusieurs facteurs jouent sans doute contre
l'extension de cette influence de la G.G.T. et expliqueraient
que seuls certains aspects s'en trouvent au bout du compte
retenus.
- 1. A la fin des années 60, on
enregistre une retombée sensible de l'enthousiasme qui
avait accompagné le lancement des méthodes
nouvelles; en particulier le côté mécaniste
des courants audio-oralistes donne lieu à diverses mises
en cause et, par une sorte de contrecoup, la linguistique
appliquée (plus liée dès l'origine aux
variantes audio-oralisteS d'inspiration nord-américaine
qu'aux tendances audio-visualistes, plutôt
affirmées en Europe et notamment en France -) perd
quelque peu de son prestige (Coste, 1970).
- 2. C'est le moment aussi où,
le gros du travail d'élaboration d'outils
pédagogiques et de formation d'enseignants ayant
porté sur l'enseignement aux débutants (ce qu'on
a appelé le niveau 1), une réflexion nouvelle
s'engage à propos de la suite de l'apprentissage
(baptisé niveau 2); il s'agit désormais d'exposer
l'élève à des textes oraux ou
écrits « authentiques » et de prendre en
compte la diversité des « registres » et
d'autres formes d'échange que la conversation anodine;
parallèlement, pour certains publics
spécialisés apprenant le français à
des fins universitaires ou professionnelles, il y a lieu de
décrire les langues de spécialité, le
français scientifique et technique; pour ces
différentes demandes, I'articulation s'effectue avec
telle ou telle zone de travail de la G.G.T. Qu'il s'agisse de
niveau 2 ou de langues de spécialité, la
nominalisation, I'adjectivation, le travail des transformations
passives, les modes d'enchâssement, les constructions
régies par différentes sous-classes de verbes,
d'adjectifs ou de substantifs, sont autant de
phénomènes grammaticaux dont l'enseignement aux
débutants de niveau 1 n'avait quasiment pas à se
soucier et pour lesquels les apports de la G.G.T. sont souvent
éclairants.
- 3. Mais c'est justement l'ensemble de
ces possibilités de rapprochement qui, contrastivement,
souligne les limites des influences effectives. Il est facile
en effet de remarquer:
- -Que les relations de bon voisinage
ne vont pas jusqu'à une prise en considération
réelle des principes fondamentaux de la G.G.T.;
même la distinction entre structure profonde et structure
de surface n'a sans doute pas eu le succès qu'avaient
connu auparavant dans les mêmes lieux, d autres
duettistes notoires tels que paradigme et syntagme ou
langue/parole.
- -Que la didactique ne retient
quasiment rien des procédures et représentations
formalisées si caractéristiques de la
linguistique chomskyenne.
- -Que, parallèlement ou
incidemment à la grammaire générative,
d'autres influences se font sentir pour la conceptualisation ou
le travail de certaines régularités de la langue.
Si nombre de travaux d'analyse liés a la
réflexion sur le niveau 2 purent rencontrer en chemin
les tables de M. Gross, ces parcours communs ne doivent pas
grand-chose, en dernier ressort, au modèle
génératif. Il s'agit moins alors de travailler
sur des schémas arborescents ou des formules
parenthèsées (dont la spécification
lexicale intervient tard) que de procéder à des
sélections d'entrées lexicales et de
dégager ainsi, en testant les latitudes combinatoires de
chaque terme, des modes de construction.
- 4. Mais si cette place prise par le
lexique dans le travail linguistique directement
articulé à la didactique restreint de fait, dans
les années 70, I'espace où pourrait se
développer l'influence de la grammaire
générative, il reste au moins deux raisons
majeures pour rendre compte de ce que nous avons appelé
plus haut un blocage relatif.
- -La première fera l'objet de
la prochaine section de cet article: c'est le fait que la
didactique des langues étrangères déplace
ailleurs ses intérêts.
- - La seconde, complémentaire,
tient à l'attitude des linguistes du courant
générativiste quant à la relation entre
leur activité scientifique et les problèmes de
l'enseignement des langues. Chomsky, à la
différence sur ce point encore des distributionnalistes,
ne croit guère à des applications de la
linguistique et le fait savoir clairement dès 1966 dans
son adresse à la Northeast Conférence. Pour des
raisons à la fois méthodologiques et
déontologiques, il ne s'estime pas en position de
recommander te le démarche plutôt que telle autre
ni même de dégager des conséquences de ses
conceptions linguistiques quant à la
détermination de contenus d'apprentissage. Mais à
l'évidence, plus fondamentalement, cette réserve
tient aux options mêmes d'un modèle qui postule un
dispositif inné d'acquisition du langage et ne peut
dès lors que relativiser l'entreprise didactique. Le
langage apparaît moins comme un objet extérieur
à décrire adéquatement pour en faciliter
la manipulation puis la maîtrise que comme un attribut et
une capacité du sujet dont il convient tout au plus de
catalyser et de ne pas entraver le développement
naturel.
-
- Une didactique des langues
étrangères à distance du « centre
» de la linguistique?
-
- Que la linguistique d'inspiration
chomskyenne, au tournant des années 60 et 70, tout
à la fois étende son champ
épistémologique et se « rétracte
» par rapport aux applications à l'enseignement
importe moins, pour l'espèce de creusement de
fossé entre grammaire et didactique, que les
déplacements propres de cette dernière. Mai 68
aidant, les « linguistes appliqués » et les
« didacticiens » prennent conscience du
décalage qui existe entre les pratiques
pédagogiques qu'ils encouragent et entretiennent
(fortement centrées sur la matière à
enseigner et sur la méthode ou le manuel, ne laissant
guère d'initiative à ceux qui apprennent... et
tendant à restreindre celle de ceux qui enseignent) et
l'évolution décidément plus libertaire des
courants pédagogiques (et pas seulement
pédagogiques) ambiants. Donner la parole plus tôt
et plus librement aux enseignés (qu'on appellera
bientôt les apprenants) et ne plus seulement les
contraindre par l'imitation de phrases-exemples ou la variation
sur des dialogues-modèles (lourds les uns et les autres
de grammaire « implicitée ») devient un
leitmotiv. Mais, du même mouvement, on en vient à
réhabiliter l'erreur, désormais moins faute
à sanctionner que marque possible d'une structuration
active (et provisoire) de ses connaissances par celui ou celle
qui apprend; on s'interroge aussi sur la validité des
progressions préfabriquées et la grammaire,
formellement enseignée ou travaillée de
façon implicite à partir des programmes
d'enseignement ou des gradations des manuels, commence à
apparaître alors comme déjà difficile
à bien intégrer dans cette nouvelle
dynamique.
- S'est amorcé ainsi un
glissement dont nous connaissons aujourd'hui encore les
conséquences et qui peut être sommairement
caractérisé par trois constats:
- (a) la didactique des langues a peu
à peu perdu contact avec les recherches linguistiques
touchant au noyau dur;
- (b) elle a en revanche
accompagné les évolutions se situant plus aux
bords du domaine linguistique (analyse de discours,
pragmatique);
- ( c) mais, pédagogiquement, il
a bien fallu couvrir le terrain et « faire de la grammaire
» avec les moyens divers dont on disposait ou qu' on
établit ad hoc, quoi qu'en disent ou n'en disent pas les
didacticiens autorisés.
- Ces trois affirmations demandent
à être rapidement commentées, les deux
premières se présentant comme les plus patentes,
la troisième justifiant un examen plus attentif
puisqu'elle concerne justement des aspects que la didactique
officielle a quelque peu passés sous silence.
- Que la didactique ait perdu le
contact avec la linguistique du noyau dur paraît clair.
Ainsi, sauf erreur, les développements récents de
la grammaire générative ou d'autres courants
n'ont guère donné lieu à mention
particulière dans la littérature F.L.E.. Il est
question de J.-Cl. Milner et de G. Fauconnier dans l'entretien
que J.-Ci. Chevalier donne au Français dans le monde en
1977 (numéro spécial dirigé par P. Le
Goffic et consacré à la syntaxe), mais il s'agit
de suggestions et mentions fugitives et le moins qu'on puisse
dire est qu'elles ne rencontreront pas d'échos nombreux
ultérieurement, dans d'autres numéros. Et
à considérer ce que N. Ruwet écrit en 1983
de la linguistique et des linguistes d'aujourd'hui et d'avenir
en France, on ne voit guère des noms qui
éveilleraient quelque écho pour les enseignants
de français langue étrangère, même
fréquentant avec assiduité les revues et ouvrages
spécialisés intéressant leur
activité. On est loin, dirait-on, du temps où Le
français dans le monde accueillait, dans ses premiers
numéros des années 60, une bonne part de ceux
qu'on appelait pas les nouveaux linguistes. Il serait facile
d'affirmer que les didacticiens et enseignants de F.L.E. sont
pris à rebrousse-poil par les positions d'un J.-CI.
Milner chassant du temple de la science les marchands de
pédagogie ou par des propos comme ceux justement de N.
Ruwet pour qui les bords marécageux cernent de bien
près le noyau dur et insulaire de ce qui compte en
linguistique. Le moins qu'on puisse dire en effet est que ceux
parmi les linguistes qui n'ont ni fleureté ni
flirté avec le discursif et le communicationnel mais
s'en tiennent résolument à la syntaxe ou à
la phonologie, de préférence formalisables, soit
préfèrent ne rien avoir à faire avec
'enseignement des langues soit se trouvent de facto moins
impliqués u'ils n'ont pu l'être dans ces
questions. L'évolution des activités de
'Association française de Linguistique appliquée
et l'interruption des vastes et fécondes rencontres
qu'elle organisait à la fin des années 60 et u
début des années 70 marquèrent à
cet égard une étape.
- Tendance à la
séparation à l'amiable avons-nous
déjà noté, car il est clair que la
didactique des langues, issue de la linguistique
appliquée, e se réduit pas à un changement
d'appellation et tend à s'autonomiser, n se situant par
rapport à plusieurs disciplines constituées et en
minoant du même coup sa relation à la
linguistique. Une didactique, qui près les remises en
cause de 1968, se trouve affectée, en France notamment,
par le développement des actions de formation continue
(avec la oi de 1971) et par la scolarisation et la formation de
migrants, mais ussi par la recherche d'une optimalisation
fonctionnelle d'un apprentissage pensé moins en termes
de contenus et de méthodes qu'en termes le besoins et
d'objectifs d'utilisation. Sans reprendre ici par le menu une
- évolution dont les moments et
les enjeux sont bien connus, il suffit de noter que la
didactique, curieuse, dans ces différentes orientations,
de réflexion institutionnelle, d'analyse
systémique, de sociologie de la formation et de la
communication, d'identification des besoins et de construction
d'objectifs, laisse aller provisoirement la description de la
langue, au moins pour ce qui est des niveaux classiques
d'analyse. Et l'idée qu'une constitution effective de la
didactique des langues étrangères demande,
à bien des égards et au moins provisoirement, une
sorte de demi-rupture avec la linguistique fait peut-être
plus qu'effleurer quelques bons esprits. Si la linguistique
appliquée avait fait mine de se poser contre la
grammaire au nom de la linguistique, la didactique des langues,
elle, prenant le relais d une linguistique appliquée
désormais mal assurée de ses bases et de son
appellation, « décroche » aussitôt et
voit s'élargir le cercle de ses relations non
linguistiques mais se restreindre sa fréquentation des
travaux de linguistes « purs ».
- Le deuxième constat vient
nuancer et compléter le premier. Même si la
linguistique connaît (lorsqu'elle n'est plus en phase
expansionniste) des mouvements de repli sur sa
spécificité centrale et comme une
stratégie de mise à distance des marges, il reste
généralement que relèvent à tout le
moins des sciences du langage des travaux portant sur l'analyse
du discours, I'analyse conversationnelle, I'étude de I
argumentation, la grammaire de texte, les actes de parole, tout
ce qui concerne l'au-delà de la phrase et/ou les valeurs
pragmatiques des énoncés. On se trouve bien dans
des zones bordurières et, méthodologiquement
entre autres, les enjeux sont aussi de frontières, comme
on l'a maintes fois constaté à propos du statut
épistémologique de l'analyse de discours ou de la
socio-inguistique.
- Que la didactique des langues
s'intéresse à ces zones depuis près d'une
quinzaine d'années ne surprendra guère. Non
seulement un tel mouvement s'inscrit dans un courant beaucoup
plus large qui a marqué l'évolution des sciences
du langage en France comme dans d'autres pays (il n'est que de
songer à l'état des lieux dressé en 1982
par B. N. Grunig pour le rapport sur les sciences de l'homme et
la société), mais il prolonge le
déplacement, rappelé plus haut, qui accompagne,
pédagogiquement, le passage au « niveau 2 » et
l'accès souhaité aux textes authentiques :
translation vers les phénomènes
d'énonciation, les marques de cohésion et de
cohérence textuelles, de différenciation des
types de discours, les valeurs communicationnelles des
énoncés. On ne retiendra ici, à titre
d'exemple particulièrement significatif, que le
traitement du discours indirect: d'abord lieu d'exercices de
variation morphologique (pronoms personnels, possessifs, temps
des verbes) et donc de travail sur le noyau grammatical, le
discours indirect devient peu à peu pour la didactique
(Jakobson, Benveniste puis un jour Austin étant
passés par là) un point d'articulation entre
discours et récit, une intégration de la
déixis situationnelle (ici et maintenant) à
l'espace-temps du texte (en un lieu donné, à un
moment donné), un mode de reprise interprétative
du dire et du dit d'un autre (x a affirmé qu'il n'en
était rien), un positionnement du rapporteur à
l'égard du rapporté (y a prétendu qu'il
ignorait tout de l'affaire), une des zones au bout du compte
où le glissement vers une réflexion sur les actes
de parole se fera tout nature lement. L'ensemble de cette
évolution du formellement grammatical au
fonctionnellement pragmatique se cristallise, à
l'occasion, en un ouvrage particulier comme le Qu'en dira-t-on
de H. Gauvenet et al. (1977).
- D'autres articles abordant ici
même des analyses de types discursif et pragmatique,
point n'est besoin de souligner la place des travaux de cet
ordre ces dernières années chez les didacticiens
plutôt tournés vers le linguistique (une des
caractéristiques de la didactique des langues
étrangères aujourd'hui étant que d'autres
didacticiens ont retenu d'autres orientations). On se bornera
à rappeler deux repères. D'abord le texte que E.
Roulet intitule en 1976 «L'apport des sciences du langage
», et qui, sous des formes antérieures avait
déjà abondamment circulé dans des
opérations de formation (stages d'été et
autres), à raison de sa valeur récapitulative et
programmatique; les « apports n y sont clairement
indiqués et on voit bien en quoi l'accent est mis, cette
fois sur une linguistique s'intéressant aux emplois et
aux usages effectifs de ia langue. Ensuite la publication,
toujours en 1976, de Un niveau-seuil qui aura une influence
importante dans la réflexion didactique, aussi bien par
les utilisations qui en seront faites que par les critiques
qu'il suscitera. Cet instrument pour la construction
d'objectifs fonctionnels d'apprentissage du français
langue étrangère s'inscrit dans le cadre
général du Projet «Langues vivantes» du
Conseil de l'Europe (1971-1981).
- A propos de Un niveau-seuil, deux
commentaires rapides:
- -1) à la différence
d'ouvrages parallèles élaborés pour
d'autres langues, Un niveau seuil comporte une section «
grammaire », due à J. Courtillon, où des
fonctionnements « centraux » du système sont
répertoriés sous des entrées
sémantico-notionnelles, non sans quelque rapport avec
des cadres d'analyse inspirés de B. Pottier, voire de la
psychomécanique de G. Guillaume; il y a lieu de
remarquer que, de façon significative pour notre propos,
cette section sera moins souvent
utilisée/mentionnée / critiquée que celle
consacrée aux « Actes de parole » et
préparée par M. Martins-Baltar
- - 2) mais la différence est
aussi marquée entre le contenu programmatique de
l'article de Roulet et des instruments de travail comme Un
niveauseuil: les listes de réalisations phrastiques
proposées comme exemplifications de catégories
notionnelles et fonctionnelles gomment les enchaînementS
syntagmatiques et discursifs et donnent une
représentation plus taxinomique que dynamique des
emplois qu'elles illustrent (Coste, 1976) A terme, il est
probable que, pour la didactique et dans les pratiques
d'enseignement (dans la mesure où elles furent
renouvelées pour l'apprentissage par des
débutants), la paradigmatique des actes de parole a
joué un role plus important que la syntagmatique de
l'analyse de discours (Coste, 1980), ne serait-ce que parce que
la plupart des manuels nouveaux touchent les marchés les
plus importants: ceux de l'enseignement aux débutants.
On verrait une marque complémentaire de cette tendance
dans le fait que, si nombre de didacticiens ont mené
à bien des travaux universitaireS ayant à voir
avec le discours (Beacco, 1982, Lehmann, 1979, Pelfrène,
1980, entre autres), et ont formulé parallèlement
des propositionS pédagogiques, ces dernières ont
parfois eu un impact limité parce que relatives à
des publics et à des discours spécialisés.
-
- Le retour de la vieille
dame
-
- Il est à nos yeux hors de
doute que les déplacements aux marges (et bien
au-delà des marges) de la linguistique de stricte
obédience sont nécessaires à la
constitution progressive d'une didactique des langues
étrangères qui prendrait en compte les
différentes dimensions d'un apprentissage/enseignement
de langue et serait autre chose qu'une juxtaposition de
sciences appliquées.
- Il est tout aussi clair pour nous que
les travaux et réalisations engagés depuis une
dizaine d'années sont de ceux qui, même s'ils
n'ont pas toujours eu la dissémination et l'influence
qu'on pouvait attendre, intéressent directement
l'enseignement par ce qu'ils disent du fonctionnement des
discours, textes, interactions verbales.
- Mais, sur le même mode des
affirmations de principe, il faut aussi poser que le reste ne
« prendra » que si la didactique repense ses
relations au noyau grammatical dur de la linguistique, ce qui
ne signifie aucunement qu'elle doive se recentrer sur ce
pôle particulier mais bien qu'elle a à lui faire
une place dans l'organisation de son propre champ.
- C'est bien ce que, de divers lieux,
manifestent symptomatiquement des phénomènes
récents dont ce numéro n'est qu'un parmi
d'autres.
- On peut ainsi, sans conclure, aligner
quelques autres marques de cette actualité nouvelle de
la grammaire.
- Dans toutes les discussions
suscitées par les approches dites «
fonctionnelles-notionnelles » ou « communicatives
» d'un enseignement/ apprentissage des langues vivantes,
revient avec insistance la question: « Et la grammaire?
»
- Pratiquement tous les cours de langue
récemment publiés dans la mouvance de la vague
communicationnelle ont à définir une option quant
à la place à faire à la grammaire, aux
modèles éventuellement utilisés, aux types
de présentation adoptés; ceci parce que la
didactique ne propose actuellement que des pistes un peu
courtes sur ces questions.
- Dans les options ainsi prises, les
essais d'articulation entre grammaire et pragmatique restent
l'exception, la tendance générale allant
plutôt vers une juxtaposition où les actes de
parole occupent le devant de la scène et où la
grammaire apparaît plus en coulisse et en annexe.
- Avec nombre de ces cours on observe
un retour à des indications grammaticales de type
classique, pour ne pas dire traditionnel. Fleurissent ou
refleurissent par ailleurs des aide-mémoire ou petits
manuels de grammaire, concus comme des outils ou ouvrages de
référence mis à la disposition des
enseignants et, surtout, des apprenants, afin de faciliter un
travail plus autonome. L'accent est souvent mis sur une
taxinomie des formes.
- Voient même le jour des
matériaux pédagogiques dits
complémentaires qui se présentent ouvertement
comme des exercices de grammaire, publications qui auraient pu
passer pour rétrogrades il y a encore quelques
années.
- L'information sur la langue retrouve
droit de cité dans des revues destinées aux
enseignants de francais langue étrangère. Aussi
bien le jeune Reflets que le toujours jeune Françis dans
le monde ont ouvert des rubriques ou chroniques grammaticales
qui ne sont pas des comptes-rendus d'ouvrages de linguistique
mais des descriptions de fonctionneents du francais
contemporain, qu'il s'agisse de marques spécifiques de
oral ou de l'organisation de microsystèmes et il n'est
plus rare que des ;pects habituellement dits centraux de la
grammaire soient ainsi abordés.
- -Alors que les collections
destinées principalement aux enseignants
intéressant la didactique des langues
étrangères avaient surtout publié, depuiS
plus de cinq ans, des titres touchant à la
communication, H. Besse R. Porquier font paraître en 1984
un Grammaires et didactique des langues qui vient bien à
son heure.
- La relance des débats sur le
rôle des activités métalinguistiques dans
l'apprentissage explique en partie que des courants qui ont
longmps Occupé une position relativement marginale,
comme celui qui, olongeant une certaine lecture de la
linguistique appliquée, a surtout availlé
à l'enseignement de l'anglais à partir des
analyses de A. Culioli, ouvent aujourd' hui une audience plus
large et un accès à des publi,tions et à
des mentions plus diversifiées que naguère
(Bailly, 1984 et Luthier, 198 1).
- Les rechercheS relatives à
l'acquisition en milieu naturel ou instutionnel, qu'elles
tournent autour de la notion d'interlangue ou tendent mieux
mettre en relation réflexion sur la langue maternelle et
travail sur la langue étrangère
(Dabène-Bourguignon 1979, Berthoud, 1982 et s
publications des équipes du G.R.A.L.) sont sans doute de
celles qui opèrent au plus près de l'articulation
entre grammaire fondamentale et dimensions interactionnelleS de
l'acquisition. Explicite, implicite ou « implicitée
», intermédiaire ou transitoire. Ia ammaire
(même par morceaux) refait surface un peu partout.
Après avoir été quelque peu mise en
pièces, elle pointe de nouveau en des lieux ultiples,
archipélagique dans le champ de la didactique: on ne se
ssera pas d'elle, même si on ne voit pas clairement si et
comment il conviendrait de procéder à son
remembrement.
-
URL:
Last modified: 21-Mar-00