- SUR QUELQUES
      ASPECTS
- DES RELATIONS
      RÉCENTES
- ENTRE GRAMMAIRE
      ET DIDACTIQUE
- DU
      FRANÇAIS LANGUE
      ÉTRANGERE
-  
- D. Coste,
      
-  
- Langue française,
      décembre 1985, nº68, p.5
-  
-  
- Grammaire et enseignement des langues
      ont des histoires étroitement mêlées. De
      l'Antiquité jusqu'à nos jours, une bonne partie
      du travail des grammairiens a eu à voir avec une
      visée didactique. Et chaque fois que I' enseignement des
      langues est sorti de la simple pratique des guides de
      conversation, il a eu à se situer par rapport à
      la grammaire. Si la période récente en gros ces
      trente dernières années présente une
      relative spécificité, c'est qu'elle est
      marquée par l'essai de mise en place de domaines de
      réflexion et d'action particuliers qui ne se confondent
      ni avec la théorie de la langue ni avec son enseignement
      ni avec l'union ou l'intersection de ces deux lieux. Selon les
      dynamiques différentes en effet, la linguistique
      appliquée et la didactique des langues
      étrangères (ou de telle ou telle langue
      étrangère particulière) se sont
      successivement posées comme lieux tiers,
      articulés bien sûr aux autres mais dotés
      des attributs d'une certaines souveraineté: revues et
      collections spécialisées, titres ou
      filières universitaires plus ou moins distincts et
      reconnus, organismes et institutions assez solidement
      établis, associations nationales ou internationales
      organisant congrès et rencontres.
- Toute tentative pour affirmer et
      délimiter un territoire « nouveau passe par des
      conflits, des alliances et des interrogations sur les
      frontières. Afin d'examiner aujourd'hui les relations
      que la didactique du français langue
      étrangère entretient avec la grammaire, il est
      utile, entre autres points de vue, de considérer aussi
      ce qui tient à cette constitution d'un espace en voie de
      légitimation. Les brefs commentaires qui suivent
      s'organisent autour de trois propositions majeures: . Dans la
      phase d'expansion de la linguistique (soit environ de 1955 a
      1970), la linguistique appliquée peut se constituer un
      sous-domaine en rompant des lances avec la grammaire
      traditionnelle. A coût d'autant moindre que la
      linguistique dominante retravaille les mêmes secteurs que
      ladite grammaire. . Quand la linguistique ne se trouve plus en
      période faste (soit depuis une quinzaine
      d'années), la didactique des langues
      étrangères tend a se substituer à une
      linguistique appliquée ébranlée et
      compromise et à prendre ses distances par rapport au
      noyau dur (le toujours grammatical) de la linguistique,
      flirtant ainsi plutôt, d'un côté ou de
      l'autre de frontières mouvantes, avec les marges des
      sciences du langage. 
- Mais, si nécessaires que
      soient de tels déplacements pour mieux cerner tout ce
      qui devrait trouver place dans le champ d'une didactique des
      langues étrangères, le relâchement relatif
      des liens avec la grammaire n'est évidemment pas une
      stratégie tenable, à terme, comme en
      témoignent bien des mouvements en cours. 
-  
- Linguistique et Linguistique
      appliquée: même combat
-  
- A la fin des années 50, en
      Europe comme aux États-Unis, la linguistique
      appliquée fait son apparition en partie contre la
      grammaire dite traditionnelle... au nom de la linguistique. Les
      tenants de méthodes nouvelles vont s'en prendre à
      tout ce qui, dans l'enseignement classique d'une langue
      étrangère, manifeste l'incohérence d'une
      grammaire scolaire, normative mais manquant de rigueur, plus
      pointilleuse que précise, plus encombrée
      d'archaïsmes et d'exceptions que pertinente sur les
      fonctionnements fondamentaux. Tout ne s'affirmera pas d'un coup
      et par exemple, I'équipe qui, autour de Georges
      Gougenheim, travaille à l'élaboration du
      français fondamental, ne part pas en guerre contre les
      grammaires, s'efforçant plutôt de montrer en quoi
      les emplois conversationnels font apparaître des
      régularités dont les classifications habituelles
      ne rendent pas raison. 
- Mais, peu à peu, surtout sous
      l'influence de la linguistique appliquée
      américaine, l'opposition entre grammaire (non
      scientifique et prescriptive) et linguistique (scientifique et
      descriptive) va devenir un lieu commun de tout discours sur les
      voies et moyens de faire progresser rationnellement
      l'enseignement des langues. Au milieu de cet affrontement un
      peu forcé et déséquilibré entre les
      anciens et les modernes, ceux qui tiennent à une
      entreprise de rénovation ont tôt fait de choisir
      leur camp. C'est sous la bannière de la linguistique que
      la linguistique appliquée à l'enseignement des
      langues et ceux qui s'en recommandent vont d'abord se placer.
      Et ce d'autant plus volontiers que, d'une part, on croit
      à un renouvellement effectif du regard sur des
      phénomènes bien connus et réputés
      fondamentaux et que, d'autre part, les cadres et concepts de la
      linguistique générale vont aider à
      théoriser certaines options d'enseignement. Le
      renouvellement du regard porte sur le noyau dur de la
      grammaire. Le structuralisme distributionnel parle des marques
      du genre et du nombre et de leur distribution à l'oral,
      il propose des reclassements des prédéterminants,
      montre clairement des possibilités de substitution et
      d'expansion pour un groupe nominal à l'intérieur
      d'un patron de phrase. 
- Ce sont bien les données dont
      traitait la grammaire des livres scolaires qui se trouvent
      désormais reprises dans un modèle descriptif aux
      catégories et aux procédures plus
      systématiques et homogénéisées
      qu'auparavant. De même, par une autre voie, les
      décomptes du français fondamental soulignent la
      fréquence des verbes irréguliers dans
      l'échange verbal ou la rareté de certains
      schémas canoniques d'interrogation directe. On se trouve
      en pays de connaissance: la linguistique en donne plus ou
      mieux, mais du même; marques du genre et du nombre,
      morphologie du verbe, fonctionnement des
      prédéterminants sont autant d'incontournables
      pour quiconque organise de façon explicite un
      enseignement du français langue étrangère
      à des débutants. La linguistique et la
      linguistique appliquée se substituent d'autant mieux
      à la grammaire ancien style qu'elles chassent à
      l'évidence sur les mêmes terres et que ce
      territoire a toujours été un passage
      obligé pour l'enseignement d'une langue
      étrangère. Valdman et Belasco avec leur Applied
      Linguistics: French (1960) annoncent Csecsy et les premiers
      volumes de la Grammaire structurale de Jean Dubois. Les
      descriptions de la linguistique appliquée à
      l'enseignement d'une langue étrangère
      précèdent pour le coup l'ouvrage d'un grammairien
      séduit à l'époque, comme beaucoup
      d'autres, par les manipulations réglées du
      distributionnalisme linguistique. 
- L'intérêt majeur de cet
      apport nouveau est qu'il n'impose pas une remise en cause
      totale des pratiques antérieures. On ne « casse pas
      la baraque ». Bien au contraire, les modifications
      introduites dans la représentation de fonctionnements
      explicitement enseignés depuis longtemps par la
      grammaire traditionnelle contribuent à une stabilisation
      et à une réassurance. Certes, la «
      découverte » de l'oral permet de mettre au jour des
      stabilités réglées qu'on négligeait
      auparavant. Certes aussi, le recours au dialogue, aux exercices
      structuraux et aux moyens audiovisuels va faire bouger les
      pratiques pédagogiques. Reste que l'emportent les
      facteurs de continuité tenant au fait que, pour
      l'essentiel, la présentation et la progression des
      éléments enseignés s'appuient sur les
      catégories grammaticales qu'on a toujours
      travaillées. 
- Mais la linguistique est aussi la
      discipline à laquelle, en période de
      structuralisme triomphant, la réflexion sur
      l'enseignement des langues emprunte nombre des notions qui vont
      circuler dans les stages pédagogiques et les discours
      didactiques: structure bien sûr, signe, signifiant,
      signifié, paradigme, syntagme, avant connotation ou
      métalangage mais en même temps que code, message,
      émetteur, récepteur, venus de la théorie
      de l'information. Il serait facile d'allonger cette liste mais,
      pour notre propos, il suffit de marquer comment, à la
      fin des années 60, s'amorce une dérive et se
      manifeste un blocage partiel. La dérive est celle que
      connaît le schéma de l'échange linguistique
      ou de l'interlocution en situation de communication. Il faut
      ici rappeler que, dans la plupart des programmes de formation
      intéressant le français langue
      étrangère (stages du B.E.L.C., du CREDIF, de
      Besançon), la linguistique tient le haut du pavé
      comme science d'appui ou d'inspiration et que le schéma
      élémentaire de la transmission de l'information y
      occupe une place privilégiée dès le
      début des années 60. Dans un premier temps, il se
      réduit à la polarisation
      émetteur-récepteur et au jeu code/message/
      canal/bruit Avec le succès que connaît le
      schéma aux six termes et six fonctions proposé
      par Jakobson, un premier déplacement s'opère,
      renforcé par l'intérêt porté
      à l'énonciation et, bientôt, au discours.
      Destinateur et destinataire ne sont plus des pôles
      symétriques et équivalents, le message se charge
      de traces et d'indices renvoyant à autre chose aussi
      qu'à l'information référentielle.
      Embrayeurs, modalisateurs, marques énonciatives diverses
      focalisent l'attention sur des éléments et des
      fonctionnements linguistiques ne relevant plus
      nécessairement du « noyau dur » grammatical.
      Le blocage relatif est celui que connaît la grammaire
      générative et transformationnelle dans sa
      relation à la didactique du français langue
      étrangère. Quand elle commence, bien tardivement,
      à pénétrer en France, la vague
      générativiste touche sans doute plus la
      pédagogie de la langue maternelle qu'elle n'affecte le
      français langue étrangère. Du même
      coup, ce qui apparaît comme un retour en force d'une
      grammaire se nommant comme telle et établissant le lien
      entre une certaine tradition redécouverte (celle de
      Port-Royal et de la grammaire générale) et
      l'exigence de rigueur scientifique et descriptive de la
      linguistique n'a pas vraiment prise sur la didactique des
      langues étrangères au tournant des années
      60 à 70 et n'empêchera donc pas cette
      dernière de se tenir de plus en plus à distance
      de l'évolution de la théorie syntaxique et
      phonétique, la dérive énonciative,
      discursive et bientôt pragmatique se
      révélant peu à peu plus
      déterminante. 
-  
- Accueil mitigé de la grammaire
      générative
-  
- Entendons-nous bien: I'impact de la
      grammaire générative n'est ni inexistant ni
      indifférent mais il paraît limité et
      sélectif 2. Plusieurs facteurs jouent sans doute contre
      l'extension de cette influence de la G.G.T. et expliqueraient
      que seuls certains aspects s'en trouvent au bout du compte
      retenus. 
- 1. A la fin des années 60, on
      enregistre une retombée sensible de l'enthousiasme qui
      avait accompagné le lancement des méthodes
      nouvelles; en particulier le côté mécaniste
      des courants audio-oralistes donne lieu à diverses mises
      en cause et, par une sorte de contrecoup, la linguistique
      appliquée (plus liée dès l'origine aux
      variantes audio-oralisteS d'inspiration nord-américaine
      qu'aux tendances audio-visualistes, plutôt
      affirmées en Europe et notamment en France -) perd
      quelque peu de son prestige (Coste, 1970). 
- 2. C'est le moment aussi où,
      le gros du travail d'élaboration d'outils
      pédagogiques et de formation d'enseignants ayant
      porté sur l'enseignement aux débutants (ce qu'on
      a appelé le niveau 1), une réflexion nouvelle
      s'engage à propos de la suite de l'apprentissage
      (baptisé niveau 2); il s'agit désormais d'exposer
      l'élève à des textes oraux ou
      écrits « authentiques » et de prendre en
      compte la diversité des « registres » et
      d'autres formes d'échange que la conversation anodine;
      parallèlement, pour certains publics
      spécialisés apprenant le français à
      des fins universitaires ou professionnelles, il y a lieu de
      décrire les langues de spécialité, le
      français scientifique et technique; pour ces
      différentes demandes, I'articulation s'effectue avec
      telle ou telle zone de travail de la G.G.T. Qu'il s'agisse de
      niveau 2 ou de langues de spécialité, la
      nominalisation, I'adjectivation, le travail des transformations
      passives, les modes d'enchâssement, les constructions
      régies par différentes sous-classes de verbes,
      d'adjectifs ou de substantifs, sont autant de
      phénomènes grammaticaux dont l'enseignement aux
      débutants de niveau 1 n'avait quasiment pas à se
      soucier et pour lesquels les apports de la G.G.T. sont souvent
      éclairants. 
- 3. Mais c'est justement l'ensemble de
      ces possibilités de rapprochement qui, contrastivement,
      souligne les limites des influences effectives. Il est facile
      en effet de remarquer: 
- -Que les relations de bon voisinage
      ne vont pas jusqu'à une prise en considération
      réelle des principes fondamentaux de la G.G.T.;
      même la distinction entre structure profonde et structure
      de surface n'a sans doute pas eu le succès qu'avaient
      connu auparavant dans les mêmes lieux, d autres
      duettistes notoires tels que paradigme et syntagme ou
      langue/parole. 
- -Que la didactique ne retient
      quasiment rien des procédures et représentations
      formalisées si caractéristiques de la
      linguistique chomskyenne. 
- -Que, parallèlement ou
      incidemment à la grammaire générative,
      d'autres influences se font sentir pour la conceptualisation ou
      le travail de certaines régularités de la langue.
      Si nombre de travaux d'analyse liés a la
      réflexion sur le niveau 2 purent rencontrer en chemin
      les tables de M. Gross, ces parcours communs ne doivent pas
      grand-chose, en dernier ressort, au modèle
      génératif. Il s'agit moins alors de travailler
      sur des schémas arborescents ou des formules
      parenthèsées (dont la spécification
      lexicale intervient tard) que de procéder à des
      sélections d'entrées lexicales et de
      dégager ainsi, en testant les latitudes combinatoires de
      chaque terme, des modes de construction. 
- 4. Mais si cette place prise par le
      lexique dans le travail linguistique directement
      articulé à la didactique restreint de fait, dans
      les années 70, I'espace où pourrait se
      développer l'influence de la grammaire
      générative, il reste au moins deux raisons
      majeures pour rendre compte de ce que nous avons appelé
      plus haut un blocage relatif. 
- -La première fera l'objet de
      la prochaine section de cet article: c'est le fait que la
      didactique des langues étrangères déplace
      ailleurs ses intérêts.
- - La seconde, complémentaire,
      tient à l'attitude des linguistes du courant
      générativiste quant à la relation entre
      leur activité scientifique et les problèmes de
      l'enseignement des langues. Chomsky, à la
      différence sur ce point encore des distributionnalistes,
      ne croit guère à des applications de la
      linguistique et le fait savoir clairement dès 1966 dans
      son adresse à la Northeast Conférence. Pour des
      raisons à la fois méthodologiques et
      déontologiques, il ne s'estime pas en position de
      recommander te le démarche plutôt que telle autre
      ni même de dégager des conséquences de ses
      conceptions linguistiques quant à la
      détermination de contenus d'apprentissage. Mais à
      l'évidence, plus fondamentalement, cette réserve
      tient aux options mêmes d'un modèle qui postule un
      dispositif inné d'acquisition du langage et ne peut
      dès lors que relativiser l'entreprise didactique. Le
      langage apparaît moins comme un objet extérieur
      à décrire adéquatement pour en faciliter
      la manipulation puis la maîtrise que comme un attribut et
      une capacité du sujet dont il convient tout au plus de
      catalyser et de ne pas entraver le développement
      naturel. 
-  
- Une didactique des langues
      étrangères à distance du « centre
      » de la linguistique? 
-  
- Que la linguistique d'inspiration
      chomskyenne, au tournant des années 60 et 70, tout
      à la fois étende son champ
      épistémologique et se « rétracte
      » par rapport aux applications à l'enseignement
      importe moins, pour l'espèce de creusement de
      fossé entre grammaire et didactique, que les
      déplacements propres de cette dernière. Mai 68
      aidant, les « linguistes appliqués » et les
      « didacticiens » prennent conscience du
      décalage qui existe entre les pratiques
      pédagogiques qu'ils encouragent et entretiennent
      (fortement centrées sur la matière à
      enseigner et sur la méthode ou le manuel, ne laissant
      guère d'initiative à ceux qui apprennent... et
      tendant à restreindre celle de ceux qui enseignent) et
      l'évolution décidément plus libertaire des
      courants pédagogiques (et pas seulement
      pédagogiques) ambiants. Donner la parole plus tôt
      et plus librement aux enseignés (qu'on appellera
      bientôt les apprenants) et ne plus seulement les
      contraindre par l'imitation de phrases-exemples ou la variation
      sur des dialogues-modèles (lourds les uns et les autres
      de grammaire « implicitée ») devient un
      leitmotiv. Mais, du même mouvement, on en vient à
      réhabiliter l'erreur, désormais moins faute
      à sanctionner que marque possible d'une structuration
      active (et provisoire) de ses connaissances par celui ou celle
      qui apprend; on s'interroge aussi sur la validité des
      progressions préfabriquées et la grammaire,
      formellement enseignée ou travaillée de
      façon implicite à partir des programmes
      d'enseignement ou des gradations des manuels, commence à
      apparaître alors comme déjà difficile
      à bien intégrer dans cette nouvelle
      dynamique.
- S'est amorcé ainsi un
      glissement dont nous connaissons aujourd'hui encore les
      conséquences et qui peut être sommairement
      caractérisé par trois constats: 
- (a) la didactique des langues a peu
      à peu perdu contact avec les recherches linguistiques
      touchant au noyau dur;
- (b) elle a en revanche
      accompagné les évolutions se situant plus aux
      bords du domaine linguistique (analyse de discours,
      pragmatique); 
- ( c) mais, pédagogiquement, il
      a bien fallu couvrir le terrain et « faire de la grammaire
      » avec les moyens divers dont on disposait ou qu' on
      établit ad hoc, quoi qu'en disent ou n'en disent pas les
      didacticiens autorisés. 
- Ces trois affirmations demandent
      à être rapidement commentées, les deux
      premières se présentant comme les plus patentes,
      la troisième justifiant un examen plus attentif
      puisqu'elle concerne justement des aspects que la didactique
      officielle a quelque peu passés sous silence.
      
- Que la didactique ait perdu le
      contact avec la linguistique du noyau dur paraît clair.
      Ainsi, sauf erreur, les développements récents de
      la grammaire générative ou d'autres courants
      n'ont guère donné lieu à mention
      particulière dans la littérature F.L.E.. Il est
      question de J.-Cl. Milner et de G. Fauconnier dans l'entretien
      que J.-Ci. Chevalier donne au Français dans le monde en
      1977 (numéro spécial dirigé par P. Le
      Goffic et consacré à la syntaxe), mais il s'agit
      de suggestions et mentions fugitives et le moins qu'on puisse
      dire est qu'elles ne rencontreront pas d'échos nombreux
      ultérieurement, dans d'autres numéros. Et
      à considérer ce que N. Ruwet écrit en 1983
      de la linguistique et des linguistes d'aujourd'hui et d'avenir
      en France, on ne voit guère des noms qui
      éveilleraient quelque écho pour les enseignants
      de français langue étrangère, même
      fréquentant avec assiduité les revues et ouvrages
      spécialisés intéressant leur
      activité. On est loin, dirait-on, du temps où Le
      français dans le monde accueillait, dans ses premiers
      numéros des années 60, une bonne part de ceux
      qu'on appelait pas les nouveaux linguistes. Il serait facile
      d'affirmer que les didacticiens et enseignants de F.L.E. sont
      pris à rebrousse-poil par les positions d'un J.-CI.
      Milner chassant du temple de la science les marchands de
      pédagogie ou par des propos comme ceux justement de N.
      Ruwet pour qui les bords marécageux cernent de bien
      près le noyau dur et insulaire de ce qui compte en
      linguistique. Le moins qu'on puisse dire en effet est que ceux
      parmi les linguistes qui n'ont ni fleureté ni
      flirté avec le discursif et le communicationnel mais
      s'en tiennent résolument à la syntaxe ou à
      la phonologie, de préférence formalisables, soit
      préfèrent ne rien avoir à faire avec
      'enseignement des langues soit se trouvent de facto moins
      impliqués u'ils n'ont pu l'être dans ces
      questions. L'évolution des activités de
      'Association française de Linguistique appliquée
      et l'interruption des vastes et fécondes rencontres
      qu'elle organisait à la fin des années 60 et u
      début des années 70 marquèrent à
      cet égard une étape. 
- Tendance à la
      séparation à l'amiable avons-nous
      déjà noté, car il est clair que la
      didactique des langues, issue de la linguistique
      appliquée, e se réduit pas à un changement
      d'appellation et tend à s'autonomiser, n se situant par
      rapport à plusieurs disciplines constituées et en
      minoant du même coup sa relation à la
      linguistique. Une didactique, qui près les remises en
      cause de 1968, se trouve affectée, en France notamment,
      par le développement des actions de formation continue
      (avec la oi de 1971) et par la scolarisation et la formation de
      migrants, mais ussi par la recherche d'une optimalisation
      fonctionnelle d'un apprentissage pensé moins en termes
      de contenus et de méthodes qu'en termes le besoins et
      d'objectifs d'utilisation. Sans reprendre ici par le menu une
      
- évolution dont les moments et
      les enjeux sont bien connus, il suffit de noter que la
      didactique, curieuse, dans ces différentes orientations,
      de réflexion institutionnelle, d'analyse
      systémique, de sociologie de la formation et de la
      communication, d'identification des besoins et de construction
      d'objectifs, laisse aller provisoirement la description de la
      langue, au moins pour ce qui est des niveaux classiques
      d'analyse. Et l'idée qu'une constitution effective de la
      didactique des langues étrangères demande,
      à bien des égards et au moins provisoirement, une
      sorte de demi-rupture avec la linguistique fait peut-être
      plus qu'effleurer quelques bons esprits. Si la linguistique
      appliquée avait fait mine de se poser contre la
      grammaire au nom de la linguistique, la didactique des langues,
      elle, prenant le relais d une linguistique appliquée
      désormais mal assurée de ses bases et de son
      appellation, « décroche » aussitôt et
      voit s'élargir le cercle de ses relations non
      linguistiques mais se restreindre sa fréquentation des
      travaux de linguistes « purs ».
- Le deuxième constat vient
      nuancer et compléter le premier. Même si la
      linguistique connaît (lorsqu'elle n'est plus en phase
      expansionniste) des mouvements de repli sur sa
      spécificité centrale et comme une
      stratégie de mise à distance des marges, il reste
      généralement que relèvent à tout le
      moins des sciences du langage des travaux portant sur l'analyse
      du discours, I'analyse conversationnelle, I'étude de I
      argumentation, la grammaire de texte, les actes de parole, tout
      ce qui concerne l'au-delà de la phrase et/ou les valeurs
      pragmatiques des énoncés. On se trouve bien dans
      des zones bordurières et, méthodologiquement
      entre autres, les enjeux sont aussi de frontières, comme
      on l'a maintes fois constaté à propos du statut
      épistémologique de l'analyse de discours ou de la
      socio-inguistique. 
- Que la didactique des langues
      s'intéresse à ces zones depuis près d'une
      quinzaine d'années ne surprendra guère. Non
      seulement un tel mouvement s'inscrit dans un courant beaucoup
      plus large qui a marqué l'évolution des sciences
      du langage en France comme dans d'autres pays (il n'est que de
      songer à l'état des lieux dressé en 1982
      par B. N. Grunig pour le rapport sur les sciences de l'homme et
      la société), mais il prolonge le
      déplacement, rappelé plus haut, qui accompagne,
      pédagogiquement, le passage au « niveau 2 » et
      l'accès souhaité aux textes authentiques :
      translation vers les phénomènes
      d'énonciation, les marques de cohésion et de
      cohérence textuelles, de différenciation des
      types de discours, les valeurs communicationnelles des
      énoncés. On ne retiendra ici, à titre
      d'exemple particulièrement significatif, que le
      traitement du discours indirect: d'abord lieu d'exercices de
      variation morphologique (pronoms personnels, possessifs, temps
      des verbes) et donc de travail sur le noyau grammatical, le
      discours indirect devient peu à peu pour la didactique
      (Jakobson, Benveniste puis un jour Austin étant
      passés par là) un point d'articulation entre
      discours et récit, une intégration de la
      déixis situationnelle (ici et maintenant) à
      l'espace-temps du texte (en un lieu donné, à un
      moment donné), un mode de reprise interprétative
      du dire et du dit d'un autre (x a affirmé qu'il n'en
      était rien), un positionnement du rapporteur à
      l'égard du rapporté (y a prétendu qu'il
      ignorait tout de l'affaire), une des zones au bout du compte
      où le glissement vers une réflexion sur les actes
      de parole se fera tout nature lement. L'ensemble de cette
      évolution du formellement grammatical au
      fonctionnellement pragmatique se cristallise, à
      l'occasion, en un ouvrage particulier comme le Qu'en dira-t-on
      de H. Gauvenet et al. (1977).
- D'autres articles abordant ici
      même des analyses de types discursif et pragmatique,
      point n'est besoin de souligner la place des travaux de cet
      ordre ces dernières années chez les didacticiens
      plutôt tournés vers le linguistique (une des
      caractéristiques de la didactique des langues
      étrangères aujourd'hui étant que d'autres
      didacticiens ont retenu d'autres orientations). On se bornera
      à rappeler deux repères. D'abord le texte que E.
      Roulet intitule en 1976 «L'apport des sciences du langage
      », et qui, sous des formes antérieures avait
      déjà abondamment circulé dans des
      opérations de formation (stages d'été et
      autres), à raison de sa valeur récapitulative et
      programmatique; les « apports n y sont clairement
      indiqués et on voit bien en quoi l'accent est mis, cette
      fois sur une linguistique s'intéressant aux emplois et
      aux usages effectifs de ia langue. Ensuite la publication,
      toujours en 1976, de Un niveau-seuil qui aura une influence
      importante dans la réflexion didactique, aussi bien par
      les utilisations qui en seront faites que par les critiques
      qu'il suscitera. Cet instrument pour la construction
      d'objectifs fonctionnels d'apprentissage du français
      langue étrangère s'inscrit dans le cadre
      général du Projet «Langues vivantes» du
      Conseil de l'Europe (1971-1981). 
- A propos de Un niveau-seuil, deux
      commentaires rapides: 
- -1) à la différence
      d'ouvrages parallèles élaborés pour
      d'autres langues, Un niveau seuil comporte une section «
      grammaire », due à J. Courtillon, où des
      fonctionnements « centraux » du système sont
      répertoriés sous des entrées
      sémantico-notionnelles, non sans quelque rapport avec
      des cadres d'analyse inspirés de B. Pottier, voire de la
      psychomécanique de G. Guillaume; il y a lieu de
      remarquer que, de façon significative pour notre propos,
      cette section sera moins souvent
      utilisée/mentionnée / critiquée que celle
      consacrée aux « Actes de parole » et
      préparée par M. Martins-Baltar
- - 2) mais la différence est
      aussi marquée entre le contenu programmatique de
      l'article de Roulet et des instruments de travail comme Un
      niveauseuil: les listes de réalisations phrastiques
      proposées comme exemplifications de catégories
      notionnelles et fonctionnelles gomment les enchaînementS
      syntagmatiques et discursifs et donnent une
      représentation plus taxinomique que dynamique des
      emplois qu'elles illustrent (Coste, 1976) A terme, il est
      probable que, pour la didactique et dans les pratiques
      d'enseignement (dans la mesure où elles furent
      renouvelées pour l'apprentissage par des
      débutants), la paradigmatique des actes de parole a
      joué un role plus important que la syntagmatique de
      l'analyse de discours (Coste, 1980), ne serait-ce que parce que
      la plupart des manuels nouveaux touchent les marchés les
      plus importants: ceux de l'enseignement aux débutants.
      On verrait une marque complémentaire de cette tendance
      dans le fait que, si nombre de didacticiens ont mené
      à bien des travaux universitaireS ayant à voir
      avec le discours (Beacco, 1982, Lehmann, 1979, Pelfrène,
      1980, entre autres), et ont formulé parallèlement
      des propositionS pédagogiques, ces dernières ont
      parfois eu un impact limité parce que relatives à
      des publics et à des discours spécialisés.
      
-  
- Le retour de la vieille
      dame
-  
- Il est à nos yeux hors de
      doute que les déplacements aux marges (et bien
      au-delà des marges) de la linguistique de stricte
      obédience sont nécessaires à la
      constitution progressive d'une didactique des langues
      étrangères qui prendrait en compte les
      différentes dimensions d'un apprentissage/enseignement
      de langue et serait autre chose qu'une juxtaposition de
      sciences appliquées.
- Il est tout aussi clair pour nous que
      les travaux et réalisations engagés depuis une
      dizaine d'années sont de ceux qui, même s'ils
      n'ont pas toujours eu la dissémination et l'influence
      qu'on pouvait attendre, intéressent directement
      l'enseignement par ce qu'ils disent du fonctionnement des
      discours, textes, interactions verbales.
- Mais, sur le même mode des
      affirmations de principe, il faut aussi poser que le reste ne
      « prendra » que si la didactique repense ses
      relations au noyau grammatical dur de la linguistique, ce qui
      ne signifie aucunement qu'elle doive se recentrer sur ce
      pôle particulier mais bien qu'elle a à lui faire
      une place dans l'organisation de son propre champ. 
- C'est bien ce que, de divers lieux,
      manifestent symptomatiquement des phénomènes
      récents dont ce numéro n'est qu'un parmi
      d'autres.
- On peut ainsi, sans conclure, aligner
      quelques autres marques de cette actualité nouvelle de
      la grammaire. 
- Dans toutes les discussions
      suscitées par les approches dites «
      fonctionnelles-notionnelles » ou « communicatives
      » d'un enseignement/ apprentissage des langues vivantes,
      revient avec insistance la question: « Et la grammaire?
      » 
- Pratiquement tous les cours de langue
      récemment publiés dans la mouvance de la vague
      communicationnelle ont à définir une option quant
      à la place à faire à la grammaire, aux
      modèles éventuellement utilisés, aux types
      de présentation adoptés; ceci parce que la
      didactique ne propose actuellement que des pistes un peu
      courtes sur ces questions. 
- Dans les options ainsi prises, les
      essais d'articulation entre grammaire et pragmatique restent
      l'exception, la tendance générale allant
      plutôt vers une juxtaposition où les actes de
      parole occupent le devant de la scène et où la
      grammaire apparaît plus en coulisse et en annexe.
      
- Avec nombre de ces cours on observe
      un retour à des indications grammaticales de type
      classique, pour ne pas dire traditionnel. Fleurissent ou
      refleurissent par ailleurs des aide-mémoire ou petits
      manuels de grammaire, concus comme des outils ou ouvrages de
      référence mis à la disposition des
      enseignants et, surtout, des apprenants, afin de faciliter un
      travail plus autonome. L'accent est souvent mis sur une
      taxinomie des formes.
- Voient même le jour des
      matériaux pédagogiques dits
      complémentaires qui se présentent ouvertement
      comme des exercices de grammaire, publications qui auraient pu
      passer pour rétrogrades il y a encore quelques
      années.
- L'information sur la langue retrouve
      droit de cité dans des revues destinées aux
      enseignants de francais langue étrangère. Aussi
      bien le jeune Reflets que le toujours jeune Françis dans
      le monde ont ouvert des rubriques ou chroniques grammaticales
      qui ne sont pas des comptes-rendus d'ouvrages de linguistique
      mais des descriptions de fonctionneents du francais
      contemporain, qu'il s'agisse de marques spécifiques de
      oral ou de l'organisation de microsystèmes et il n'est
      plus rare que des ;pects habituellement dits centraux de la
      grammaire soient ainsi abordés. 
- -Alors que les collections
      destinées principalement aux enseignants
      intéressant la didactique des langues
      étrangères avaient surtout publié, depuiS
      plus de cinq ans, des titres touchant à la
      communication, H. Besse R. Porquier font paraître en 1984
      un Grammaires et didactique des langues qui vient bien à
      son heure. 
- La relance des débats sur le
      rôle des activités métalinguistiques dans
      l'apprentissage explique en partie que des courants qui ont
      longmps Occupé une position relativement marginale,
      comme celui qui, olongeant une certaine lecture de la
      linguistique appliquée, a surtout availlé
      à l'enseignement de l'anglais à partir des
      analyses de A. Culioli, ouvent aujourd' hui une audience plus
      large et un accès à des publi,tions et à
      des mentions plus diversifiées que naguère
      (Bailly, 1984 et Luthier, 198 1). 
- Les rechercheS relatives à
      l'acquisition en milieu naturel ou instutionnel, qu'elles
      tournent autour de la notion d'interlangue ou tendent mieux
      mettre en relation réflexion sur la langue maternelle et
      travail sur la langue étrangère
      (Dabène-Bourguignon 1979, Berthoud, 1982 et s
      publications des équipes du G.R.A.L.) sont sans doute de
      celles qui opèrent au plus près de l'articulation
      entre grammaire fondamentale et dimensions interactionnelleS de
      l'acquisition. Explicite, implicite ou « implicitée
      », intermédiaire ou transitoire. Ia ammaire
      (même par morceaux) refait surface un peu partout.
      Après avoir été quelque peu mise en
      pièces, elle pointe de nouveau en des lieux ultiples,
      archipélagique dans le champ de la didactique: on ne se
      ssera pas d'elle, même si on ne voit pas clairement si et
      comment il conviendrait de procéder à son
      remembrement. 
-  
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Last modified: 21-Mar-00