- LA VOIX DU
SAGE
ET DU
PEUPLE
- (1750)
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- NOTICE de :
La Voix du sage et du peuple, imprimée en mai ou
juin 1750, fut supprimée par arrêt du conseil du
21 mai 1751. Le clergé ne voulait pas payer le
vingtième établi par M. de Machault. Ce ministre,
qui était en même temps contrôleur des
finances et garde des sceaux, dont Voltaire approuvait, louait
les opérations de finances, résista sans doute
tant qu'il put avant de laisser prononcer cette condamnation ce
qui en explique le retard. On lit dans la Bigarure, tome
IV, page 128, que la Voix du sage fut composée
par ordre de la cour, et que le voyage de Berlin eut
lieu pour soustraire l'auteur à la colère du
clergé. L'opuscule de Voltaire en fit naitre un grand
nombre:
- I. Réfutation
d'un libelle intitulé: la Voix du sage et du peuple,
1751, in-12 de 2 et 35 pages, que la France
littéraire de 1769 attribue à l'abbé
Gaultier.
- II. Réponse
critique à la Voix du sage, 1751, in-12 de 6 et 88
pages.
- III. La Voix du
chrétien et de l'évêque, 1750, in-12 de
42 pages.
- IV. La Voix des cap....
(capucins), in-8° de 6 pages, réimprimé
dans la Bigarrure, tome VIII et qui est de l'abbé
Hervé, Breton.
- V. La Voix du fou et des
femmes, 1750, in-12 de 12 pages.
- VI. La Voix du
prêtre: très humbles et très
respectueuses remontrances du second ordre du clergé, au
roi, au sujet du vingtième, 1750, in-12. Supprimé
par arrêt du conseil.
- VII. Necesse est ut
veniant scandala. 1750, in-12 de 30 pages; réponse
à la Voix du prêtre, et aussi
supprimée.
- VIII. La Voix du B* aux
auteurs des lettres pour et contre les immunités du
clergé, déjà imprimé à
la suite du n° VI, et réimprimé dans la
Bigarrure, tome V.
- IX. La Voix du
poète et celle du lévite, 1756, in-12 de 22
pages. On y critique et la Voix du sage, et la Voix du
prêtre.
- X. La Voix du pape, ou
Bref de N. S. P. le pape Benoit XIV, portant condamnation
des Lettres Ne repugnate et du libelle
intitulé la Voix du sage, en latin et en
francais, in-12 de 7 pages. Le bref du pape est du 25
janvier 1751. Les Lettres Ne repugnate sont ainsi
nommées des premiers mots de leur épigraphe, et
ont pour auteur Bargeton.
- XI. La Voix du pauvre,
par Joseph Languet de Gergy, archevêque de Sens,
imprimée dans la Bigarrure, tome
VIlI.
- XII. La Voix du riche,
imprimée dans le même tome.
- XIII. Vox clamantis in
deserto, imprimé dans la Bigarrure, tome
IX.
- XIV. Mémoire pour
servir à l'histoire des immunités de
l'Église, ou les Conférences
ecclésiastiques de madame de..., ou, si l'on veut, la
Voix de la femme, in-12 de 23 pages.
- XV. Recueil des Voix
pour et contre les immunités du clergé, 1750,
in-12 de 426 pages, contenant la Voix du sage, et les
nos VI, VIII, IX, V, et en outre une Lettre d'un
Turc sur les difficultés de la langue
française, mais relative au
clergé.
- La Bibliothèque
historique de la France, sous le n° 7414, mentionne
les Voix intervenantes. Je ne sais si c'est le volume
dont je viens de parler, ou un autre. Voltaire, dans une lettre
à Richelieu du mois d'auguste 1750, parle de la Voix
du laïque; c'est peut-être un titre
imaginé.
- Je n'ai pas voulu donner la
liste de tous les écrits qui parurent alors sur les
immunités ecclésiastiques, mais seulement de ceux
qu'a fait naître la Voix du sage et la voix du peuple.
(B.)
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- AVERTISSEMENT DE
L'ÉDITION DE KEHL.
-
Cet ouvrage parut en 1750, dans le temps où les
ridicules querelles pour la bulle menaçaient de
troubler encore l'État, et où le clergé,
propriétaire d'un cinquième des biens du royaume,
refusait de porter une partie du fardeau des taxes sous lequel
le reste de la nation parassait prêt à succomber,
et, protégé par quelques ministres, les aidait
à faire disgracier le contrôleur
général, qui osait rendre ce service à sa
patrie. Or le clergé raisonnait ainsi:
«Notre bien est le bien des
pauvres: donc ce serait un sacrilége si, au lieu
d'enlever aux pauvres leur nécessaire pour subvenir aux
dépenses de l'État, on nous prenait une faible
partie de notre superflu. Nous étions exempts, comme la
noblesse, des anciennes taxes: donc nous ne devons pas payer
les nouvelles taxes que la noblesse paye comme le reste des
citoyens.»
Et la noblesse qui, sous Louis XIV,
s'est assemblée pour un tabouret, et sous Louis XV pour
un menuet, ne s'assembla point pour défendre ses droits
contre les prêtres, et elle continua de payer gaiement
pour le clergé.
Prétendre, comme les Anglais,
qu'on ne peut être taxé légitimement
qu'avec le consentement des représentants du peuple,
c'est soutenir un des droits des hommes. Prétendre,
comme le clergé de France, qu'un corps particulier doit
ne payer que comme il veut, et rejeter à son gré
le fardeau des dépenses publiques sur le reste des
citoyens, c'est insulter au bon sens et à la nation.
Les dîmes levées par le
clergé sont un impôt qui s'oppose, par sa nature,
à tout perfectionnement dans la culture. Les moines
mendiants sont un autre impôt très nuisible au
peuple, auquel ils enlèvent ce qui lui aurait
donné un peu d'aisance ou formé quelques
épargnes.
Ainsi, en France, non seulement le
clergé ne paye point les impôts, mais il en
lève a son profit de très
considérables.
- LA VOIX DU SAGE
ET DU PEUPLE.
- La bonté d'un
gouvernement consiste à protéger et à
contenir également toutes les professions d'un
État.
- Le gouvernement ne peut
être bon s'il n'y a une puissance unique.
- Dans les États les
plus mixtes, la puissance résulte du consentement de
plusieurs ordres, et alors elle acquiert son unité, sans
laquelle tout est confusion.
- Dans un État
quelconque, le plus grand malheur est que l'autorité
législative soit combattue. Les années heureuses
de la monarchie ont été les dernières de
Henri IV, celles de Louis XIV et de Louis XV, quand ces rois
ont gouverné par eux-mêmes.
- Il ne doit pas y avoir deux
puissances dans un État.
- On abuse de la distinction
entre puissance spirituelle et puissance temporelle; dans ma
maison, reconnaît-on deux maîtres: moi, qui suis le
père de famille, et le précepteur de mes enfants,
à qui je donne des gages?
- Je veux qu'on ait de
très grands égards pour le précepteur de
mes enfants, mais je ne veux point du tout qu'il ait la moindre
autorité dans ma maison.
- Il y a en Europe quatre
grands États, Sans compter l'Italie, qui sont de la
communion romaine: la France, les Espagnes, la moitié de
l'Allemagne, la Pologne. Dans les Espagnes, le gouvernement
s'accommode avec le pape pour imposer des taxes sur le
clergé. L'impératrice-reine de Hongrie en use de
même: elle a obtenu, dans la dernière guerre, la
permission de prendre l'argenterie des églises. En
Pologne, l'armée de la couronne vit quelquefois à
discrétion sur les terres du clergé, parce que le
clergé paye trop peu à la
république.
- En France, où la
raison se perfectionne tous les jours, cette raison nous
apprend que l'Église doit contribuer aux charges de
l'État à proportion de ses revenus, et que le
corps destiné particulièrement à enseigner
la justice doit commencer par en donner l'exemple.
- Ce gouvernement serait
digne des Hottentots, dans lequel il serait permis à un
certain nombre d'hommes de dire: « C'est à ceux qui
travaillent à payer; nous ne devons rien payer, parce
que nous sommes oisifs.»
- Ce gouvernement outragerait
Dieu et les hommes, dans lequel les citoyens pourraient dire:
«L'État nous a tout donné, et nous ne lui
devons que des prières.»
- La raison, en se
perfectionnant, détruit le germe des guerres de
religion. C'est l'esprit philosophique qui a banni cette peste
du monde.
- Si Luther et Calvin
revenaient au monde, ils ne feraient pas plus de bruit que les
scotistes et les thomistes. Pourquoi? Parce qu'ils viendraient
dans un temps où les hommes commencent à
être éclairés.
- Ce n'est que dans des temps
de barbarie qu'on voit des sorciers, des
possédés, des rois excommuniés, des sujets
déliés de leur serment de fidélité
par des docteurs.
- La raison nous apprend que
le prince peut laisser subsister quelques anciens abus, comme
de laisser décider en cour de Rome certaines affaires
qu'on pourrait très bien décider dans son
conseil.
- Elle nous montre que quand
le prince voudra abroger ces coutumes, elles tomberont comme un
bâtiment gothique qu'on détruit pour le
rebâtir à la moderne.
- Elle nous montre que, quand
le prince voudra extirper un abus préjudiciable, les
peuples doivent y concourir et y concourront, l'abus
eût-il quatre mille ans d'ancienneté.
- Cette raison nous enseigne
que le prince doit être maître absolu de toute
police ecclésiastique, sans aucune restriction, puisque
cette police ecclésiastique est une partie du
gouvernement; et, de même que le père de famille
prescrit au précepteur de ses enfants les heures du
travail, le genre des études, etc., de même le
prince peut prescrire à tous ecclésiastiques,
sans exception, tout ce qui a le moindre rapport à
l'ordre public.
- Cette raison nous dit
à tous que, quand le prince voudra donner, à ceux
qui ont versé leur sang pour l'État, des pensions
sur des bénéfices, lesquels
bénéfices sont une partie du patrimoine de
l'État, non seulement tous les officiers de guerre, mais
tous les magistrats, tous les cultivateurs, tous les citoyens,
béniront le prince, et quiconque s'opposerait à
une institution si salutaire serait regardé comme un
ennemi de la patrie.
- De même, quand le
prince, qui est le pasteur de son peuple, voudra augmenter son
troupeau, comme il le doit; quand il voudra rendre aux lois de
la nature les imprudents et les imprudentes qui se sont
voués à l'extinction de l'espèce et qui
ont fait un voeu fatal à la société, dans
un âge où il n'est pas permis de disposer de son
bien, la société bénira ce prince dans la
suite des siècles.
- Il y a tel couvent, inutile
au monde à tous égards, qui jouit de deux cent
mille livres de rente. La raison démontre que si l'on
donnait ces deux cent mille livres à cent officiers
qu'on marierait, il y aurait cent bons citoyens
récompensés, cent filles pourvues, quatre cents
personnes au moins de plus dans l'État, au bout de dix
ans, au lieu de cinquante fainéants; elle
démontre encore que ces cinquante fainéants,
rendus à la patrie, cultiveraient la terre, la
peupleraient, et qu'il y aurait plus de laboureurs et de
soldats. Voilà ce que tout le monde désire,
depuis le prince du sang jusqu'au vigneron. La superstition
seule s'y opposait autrefois; mais la raison soumise à
la foi écrase la superstition.
- Le prince peut, d'un seul
mot, empêcher au moins qu'on ne fasse des voeux avant
l'âge de ving-cinq ans; et si quelqu'un dit au souverain:
« Que deviendront les filles de condition, que nous
sacrifions d'ordinaire aux aînés de nos
familles?» le prince répondra: « Elles
deviendront ce qu'elles deviennent en Suède, en
Danemark, en Prusse, en Angleterre, en Hollande: elles feront
des citoyens; elles sont nées pour la propagation, et
non pour réciter du latin, qu'elles n'entendent
point.» Une femme qui nourrit deux enfants et qui file
rend plus de services à la patrie que tous les couvents
n'en peuvent jamais rendre.
- C'est un très grand
bonheur pour le prince et pour l'État qu'il y ait
beaucoup de philosophes qui impriment ces maximes dans la
tête des hommes.
- Les philosophes, n'ayant
aucun intérêt particulier, ne peuvent parler qu'en
faveur de la raison et de l'intérêt
public.
- Les philosophes rendent
service au prince en détruisant la superstition, qui est
toujours l'ennemie des princes.
- C'est la superstition qui a
fait assassiner Henri III, Henri IV, Guillaume prince d'Orange,
et tant d'autres; c'est elle qui a fait couler des
rivières de sang depuis Constantin.
- La superstition est le plus
horrible ennemi du genre humain; quand elle domine le prince,
elle l'empêche de faire le bien de son peuple; quand elle
domine le peuple, elle le soulève contre son
prince.
- Il n'y a pas sur la terre
un seul exemple de philosophes qui se soient opposés aux
lois du prince: il n'y a pas un seul siècle où la
superstition et l'enthousiasme n'aient causé des
troubles qui font horreur.
- Il n'y a pas un seul
exemple de trouble et de dissension quand le prince a
été le maître absolu de la police
ecclésiastique: il n'y a que des exemples de
désordres et de calamités quand les
ecclésiastiques n'ont pas été
entièrement soumis au prince.
- Ce qui peut arriver de plus
heureux aux hommes, c'est que le prince soit
philosophe.
- Le prince philosophe sait
que plus la raison fera de progrès dans ses
États, moins les disputes, les querelles
théologiques, l'enthousiasme, la superstition, feront de
mal: il encouragera donc les progrès de la
raison.
- Ces progrès seuls
suffiront pour anéantir, par exemple, dans quelques
années, toutes les disputes sur la grâce; parce
que le nombre des hommes raisonnables étant
augmenté, le nombre des esprits de travers, qui se
nourrissent d'opinions absurdes, diminuera.
- Ce qu'on appelle un
janséniste est réellement un fou, un mauvais
citoyen, et un rebelle. Il est fou, parce qu'il prend pour des
vérités démontrées des idées
particulières. S'il se servait de sa raison, il verrait
que les philosophes n'ont jamais disputé ni pu disputer
sur une vérité démontrée; s'il se
servait de sa raison, il verrait qu'une secte qui mène
à des convulsions est une secte de fous. Il est mauvais
citoyen, parce qu'il trouble l'ordre de l'État. Il est
rebelle, parce qu'il désobéit.
- Les molinistes sont des
fous plus doux. Il ne faut être ni à Apollos ni
à Céphas, mais à Dieu et au roi. Il est
certain que plus il y aura de philosophes, plus les fous seront
à portée d'être guéris.
- Le prince philosophe
encouragera la religion, qui enseigne toujours une morale pure
et très utile aux hommes; il empêchera qu'on ne
dispute sur le dogme, parce que ces disputes n'ont jamais
produit que du mal.
- Il rendra, autant qu'il le
pourra, la justice distributive plus uniforme et moins lente,
et rougira pour nos ancêtres que ce qui est vrai à
Dreux soit faux à Pontoise.
- Le prince philosophe sera
convaincu que plus un peuple est laborieux, plus il est riche:
il aura soin que ses villes soient embellies, parce qu'alors il
y aura plus de travaux, et qu'il en résultera l'utile et
l'agréable.
- On composerait un gros
livre de tout le bien qu'on peut faire; mais un prince
philosophe n'a pas besoin d'un gros livre.
Last modified: 21-Mar-00