Notes sur

Voltaire contre Leibniz

 

A la fin de Candide, chaque lecteur est édifié: le système de l'optimisme philosophique n'est qu'une vue de l'esprit; il n'est pas seulement ridicule et odieux, il est absurde. Or Leibniz n'est pas un imbécile.

Théodicée, parue en 1710.

«Raison suffisante»: principe selon lequel rien n'arrive sans une raison déterminante. Voltaire laisse dans l'ombre dans Candide cette "raison suffisante" pour ne retenir que le "tout est pour le mieux..."

Thèse de Leibniz:

-Si Dieu existe, il est parfait, et il est seul parfait.

-S'il est parfait, il est:

-tout-puissant(il peut tout ce qu'il veut)

-toute bonté et toute justice(il ne veut que le bien)

-toute sagesse(il sait exactement adapter les moyens aux fins)

-Donc, si Dieu existe, il a nécessairement pu. voulu, et su créer le moins imparfait des mondes théoriquement concevables: le meilleur des mondes possibles.

Conséquences:

-Le mal existe, Leibniz ne le nie pas. Mais tous les maux des créatures ne pouvaient être moindres, et en fait ils ne sont maux que pour ceux qui les souffrent, car ils touveraient leur justification si nous pouvions, comme Dieu, voir l'ensemble.

«Les ombres réhaussent les couleurs»

-"Tout est bien" est effectivement une sottise (puisque le mal existe).

On peut donc accepter la proposition de Rousseau:

«Le tout est bien» (Lettre sur la Providence, 18/8/1756)

Voltaire ignorait-il tout ceci en pensant à Candide? N'a-t-il rien compris de Leibniz? Dans Candide, Voltaire ne reprend pas tout le raisonnement de Leibniz, mais seulement sa conclusion, non accompagnée de son contexte:

-pense-t-il que ses lecteurs du XVIII° connaissent suffisamment Leibniz?

-A-t-il peur que l'on conclue trop vite à l'athéisme? : puisque tout n'est pas au mieux, le premier point du raisonnement est à reprendre, c'est à dire le problème de l'existence de Dieu... la divinité bonne n'existe pas?

-veut-il faire trouver à ses lecteurs tous seuls, pour que cette "découverte" soit plus efficace?

Il semble demeurer discret plutôt par prudence ou par rouerie. Il fait conclure à l'athéisme, mais sans le dire (ni au pouvoir, dont il craint la prison, ni au peuple, dont il craint le réveil anti- bourgeois)

 

 
Dieu est la première raison de toutes choses [...] Or cette suprême sagesse,
jointe à une bonté qui n'est pas moins infinie qu'elle, n'a pu manqué de
choisir le meilleur. Car comme un moindre mal est une espèce de bien, de même
un moindre bien est une espèce de mal s'il fait obstacle à un bien plus grand:
et il y aurait quelque chose à corriger dans les actions de Dieu s'il y avait
moyen de mieux faire.[...] On peut dire en matière de parfaire sagesse que
s'il n'y avait pas le meilleur (optimum) parmi tous les mondes possibles, Dieu
n'en aurait produit aucun. Il y a une infinité de monde possibles, dont il
faut que Dieu ait choisi le meilleur, puisqu'il ne fait rien sans agir suivant
la suprême raison.
Quelque adversaire ne pouvant répondre à cet argument, répondra en disant
que le monde aurait pu être sans le péché et sans les souffrances: mais je nie
qu'alors il aurait été meilleur. Car il faut savoir que tout est lié dans
chacun des mondes possibles: l'univers, quel qu'il puisse être, est tout d'une
pièce.[...] De sorte que Dieu y a tout réglé par avance une fois pour toutes,
ayant prévu les prières, les bonnes et les mauvaises actions, et tout le
reste; et chaque chose a contribué idéalement avant son existence à la
résolution qui a été prise sur l'existence de toutes les choses. De sorte que
rien ne peut être changé dans l'univers sauf son essence. Ainsi, si le moindre
mal qui arrive dans le Monde y manquait, ce ne serait plus ce Monde; qui tout
compté, tout rebattu, a été trouvé le meilleur par le créateur qui l'a choisi.
Leibnitz, Essais de Théodicée sur la bonté de Dieu, la liberté de l'homme et
l'origine du mal, 1710
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Last modified: 21-Mar-00