Les rectifications de l'orthographe
 
[ 6 décembre 1990]
 
 
 
 
 
La langue française est une langue vivante, et comme tout ce qui est vivant, elle évolue continuellement. On ne doit donc pas craindre de procéder à des ajustements de temps à autre, de manière à l'enrichir et à la rendre plus cohérente. Les rectifications qui ont été suggérées en 1990 par le Conseil supérieur de la langue française s'inscrivent dans cette approche. Elles ont été approuvées par l'Académie française, ainsi que par le Conseil de la langue française du Québec et celui de la Communauté française de Belgique. Bien que les anciennes graphies et règles restent tolérées, je vous encourage à adopter les rectifications qui sont énoncées ci-dessous, car elles constituent nettement un pas en avant.
 
Il ne faudrait pas croire que cette mini-réforme est un cas unique; d'autres réformes, plus ou moins importantes, ont modifié le français au cours des quatre derniers siècles: en 1694, 1718, 1740, 1762, 1798, 1835, 1878 et en 1932-1935. En 1975, l'Académie française a proposé une série de rectifications, qui ne sont malheureusement pas passées dans l'usage. Espérons que, cette fois-ci, le bon sens aura raison du conservatisme. Cela dépendra en partie de vous...
 
 
 

ANCIENNE ORTHOGRAPHE

NOUVELLE ORTHOGRAPHE

vingt-trois, cent trois, deux cents

vingt-trois, cent-trois, deux-cents

un cure-dent(s), un cache-flamme(s), des cache-flamme(s)
un cure-dent, des cure-dents, un cache-flamme, des cache-flammes
je céderai, j'allégerais, puissé-je, aimé-je
je cèderai, j'allègerais, puissè-je, aimè-je
il plaît, il se tait, la route, la voûte
il plait, il se tait, la route, la voute

il ruisselle, il amoncèle

il ruissèle, il amoncèle

elle s'est laissée aller, elle s'est laissé appeler
elle s'est laissé aller, elle s'est laissé appeler

des jazzmen, des graffiti

des jazzmans, des graffitis

ambiguïté, exiguë, gageure

ambigüité, exigüe, gageüre

passe-partout, tire-bouchon, va-nu-pieds

passepartout, tirebouchon, vanupied

 
 
 
1. Le trait d'union
 
Les nouvelles règles
 
A) On lie par des traits d'union les numéraux formant un nombre complexe, inférieur ou supérieur à cent.
 
Exemples :
 
elle a vingt-quatre ans
cet ouvrage date de l'année quatre-vingt-neuf
elle a cent-deux ans
cette maison a deux-cents ans
il lit les pages cent-trente-deux et deux-cent-soixante-et-onze
il a dépensé sept-cent-mille-trois-cent-vingt-et-un dollars.
 
 
 
B) Les noms composés d'un verbe et d'un nom suivent la règle des mots simples, et prennent la marque du pluriel seulement quand ils sont au pluriel, cette marque est portée sur le second élément. Il en va de même des noms composés d'une préposition et d'un nom.
 
Exemples :
 
un cure-dent, des cure-dents
un perce-neige, des perce-neiges
un abat-jour, des abat-jours
un après-midi, des après-midis
un sans-abri, des sans-abris
 
 
Cependant, quand l'élément nominal prend une majuscule ou quand il est précédé d'un article singulier, il ne prend pas de marque de pluriel.
 
Exemples :
 
des trompe-l'oeil
des trompe-la-mort
 
2. L'accent grave
 
Les nouvelles règles
 
A) On accentue désormais les futurs et conditionnels des verbes comme céder suivant le modèle du verbe semer: je cèderai, je cèderais, j'allègerai, je considèrerai, etc.
 
B) Dans les inversions interrogatives, la première personne du singulier en «e» suivie du pronom «je» porte à présent un accent grave : aimè-je, puissè-je, etc.
 
 
3. L'accent circonflexe
 
La nouvelle règle
 
Si l'accent circonflexe placé sur les lettres a, o et e, peut indiquer utilement des distinctions de timbre (mâtin et matin ; côte et cote ; vôtre et votre ; etc.), placé sur i et u il est d'une utilité nettement plus restreinte (voûte et doute par exemple ne se distinguent dans la prononciation que par la première lettre). Dans quelques terminaisons verbales (passé simple, etc.), il indique des distinctions morphologiques nécessaires. Sur les autres mots, il ne donne généralement aucune indication, excepté pour de rares distinctions de formes homographes. En conséquence, on conserve l'accent circonflexe sur a, o et e, mais sur i et sur u il n'est plus obligatoire, excepté dans les cas suivants:
 
A) L'accent circonflexe demeure obligatoire dans la conjugaison, où il marque une terminaison:
-- Au passé simple, première et deuxième personnes du pluriel : nous aimâmes, nous suivîmes, vous aimâtes, vous suivîtes.
-- À l'imparfait du subjonctif, troisième personne du singulier : qu'il aimât, qu'il suivît, qu'il fût.
-- Au plus-que-parfait du subjonctif (aussi nommé parfois improprement conditionnel passé deuxième forme), troisième personne du singulier : qu'il eût suivi, qu'il eût voulu, qu'il eût aimé.
 
B) L'accent circonflexe demeure obligatoire dans les mots où il apporte une distinction de sens utile: dû, jeûne, les adjectifs mûr et sûr, et le verbe croître (étant donné que sa conjugaison est en partie homographe de celle de croire). L'exception ne concerne pas les dérivés et les composés de ces mots (exemple: sûr mais sureté ; croître mais accroitre).
 
Note: Le Conseil supérieur de la langue française prend soin ici de préciser que «les personnes qui ont déjà la maîtrise de l'orthographe ancienne pourront, naturellement, ne pas suivre cette nouvelle norme.
 
Remarques :
-- Cette mesure entraîne la rectification de certaines anomalies étymologiques, en établissant des régularités. On écrit désormais mu (comme déjà su, tu, vu, lu), plait (comme déjà tait, fait), piqure (comme déjà morsure), traine, traitre, et leurs dérivés (comme déjà gaine, haine), et ambigument, assidument, congrument, continument, crument, dument, goulument, incongrument, indument (comme déjà absolument, éperdument, ingénument, résolument).
 
-- Sur ce point comme sur les autres, aucune modifications n'est apportées aux noms propres. On garde le circonflexe aussi dans les adjectifs issus de ces noms (exemples : Nîmes, nîmois).
 
 
 
4. Les verbes en -eler et -eter
 
La nouvelle règle
 
A) L'emploi du e accent grave pour noter le son «e ouvert» dans les verbes en -eler et en -eter est étendu à tous les verbes de ce type, qui n'ont donc plus à doubler la consonne finale (on suit désormais le modèle de peler et d'acheter). Deux exceptions cependant: appeler et jeter (et les verbes de même famille).
 
Exemples :
 
elle ruissèle, elle ruissèlera
j'époussète, il époussètera
j'étiquète, il étiquètera
j'apelle, il appellera
je jette, il jettera
 
 
B) Les noms en -ement dérivés de ces verbes suivront la même orthographe.
 
Exemples :
 
amoncèlement
chancèlement
craquèlement
dénivèlement
ensorcèlement
étincèlement
ruissèlement
 
5. Le participe passé de laisser
 
Les nouvelles règles
 
A) Le participe passé de laisser suivi d'un infinitif est rendu invariable: il joue en effet devant l'infinitif un rôle d'auxiliaire analogue à celui de faire, qui est toujours invariable dans ce cas. Le participe passé de laisser suivi d'un infinitif est donc invariable dans tous les cas, même quand il est employé avec l'auxiliaire avoir et même quand l'objet est placé avant le verbe.
 
Exemples :
 
Elle s'est laissé mourir
Elle s'est laissé séduire
Je les ai laissé partir
La maison qu'elle a laissé saccager
 
Comme on avait déjà :
 
Elle s'est fait maigrir
Elle s'est fait féliciter
Je les ai fait partir
La maison qu'elle a fait repeindre
 
6. Le singulier et le pluriel des mots empruntés
 
Les nouvelles règles
 
A) Les noms ou adjectifs d'origine étrangère ont désormais un singulier et un pluriel réguliers. On choisit comme forme du singulier la forme la plus fréquente, même s'il s'agit d'un pluriel dans l'autre langue. Comme c'est habituellement le cas en français, le "s" qui marque le pluriel reste muet, même lorsqu'il est ajouté à un mot d'origine anglaise. Il est aussi entendu que les mots terminés par s, x et z restent invariables.
 
Exemples :
 
un ravioli, des raviolis
un graffiti, des graffitis
un confetti, des confettis
un scénario, des scénarios
un jazzman, des jazzmans
un match, des matchs
un boss, des boss
un box, des box
un kibboutz, des kibboutz
 
Il en va de même des noms d'origine latine : un maximum, des maximums; un média, des médias; sauf si les mots ont conservé une valeur de citation (exemple: des mea culpa).
 
À noter aussi que le pluriel des mots composés étrangers se trouve simplifié par la soudure (exemple: des covergirls, des bluejeans, des weekends, des hotdogs).
 
7. Le tréma
 
Les nouvelles règles
 
A) Dans les mots suivants, on place le tréma sur la voyelle qui doit être prononcée : aigüe (et dérivés, comme suraigüe, etc.), ambigüe, exigüe, contigüe, ambigüité, cigüe. Ces mots appliquent ainsi la règle générale: le tréma indique qu'une lettre (u) doit être prononcée séparément de la lettre précédente (g).
 
B) Le même usage du tréma s'applique aux mots suivants où une suite -gu- ou -geu- conduit à des prononciations défectueuses (ex. il argue prononcé comme il nargue, alors qu'il faut prononcé il [ar-gu]). On écrira donc: il argüe (et toute la conjugaison du verbe argüer); gageüre, mangeüre, rongeüre, vergeüre.
 
 
8. L'orthographe de plusieurs mots
 
En général, les mots suivants ont une graphie irrégulière ou variable; on la rectifie, ou bien l'on retient la variante qui permet de créer les plus larges régularités. Certains de ces mots sont déjà donnés par un ou plusieurs dictionnaires usuels avec la graphie indiquée ici: dans ce cas, c'est une harmonisation des dictionnaires qui est proposée.
 
Les nouvelles règles
 
A) On munit d'un accent les mots de la liste suivante où il avait été omis, ou dont la prononciation a changé.
 
asséner
bélitre
bésicles
démiurge
gélinotte québécois
recéler
recépage
recépée
recéper réclusionnaire
réfréner
sèneçon
sénescence
sénestre
 
B) L'accent est modifié sur les mots de la liste suivante qui avaient échappé à la régularisation entreprise par l'Académie française aux XVIIIe et XIXe siècles, et qui se conforment ainsi à la règle générale d'accentuation.
 
abrègement
affèterie
allègement
allègrement
assèchement
cèleri
complètement (nom)
crèmerie crèteler
crènelage
crèneler
crènelure
empiètement
évènement
fèverole
hébètement règlementaire
règlementairement
règlementation
règlementer
sècheresse
sècherie
sènevé
vènerie
 
C) Les mots composés : on écrit soudés les noms de la liste suivante, composés sur la base d'un élément verbal généralement suivi d'une forme nominale ou de "tout". Il était exclu de modifier d'un coup plusieurs milliers de mots composés, l'usage pourra le faire progressivement.
 
d'arrachepied
boutentrain
brisetout
chaussetrappe
à clochepied
coupecoupe
couvrepied
crochepied
croquemadame
croquemitaine
croquemonsieur croquemort
croquenote
faitout
fourretout
mangetout
mêletout
passepartout
passepasse
piquenique
porteclé
portecrayon portemine
portemonnaie
portevoix
poucepied
poussepousse
risquetout
tapecul
tirebouchon
tirebouchonner
tirefond
tournedos
vanupied
 

URL:
Last modified: 21-Mar-00