Sur
LEFRANC DE POMPIGNAN
 
 

 
 
NOTICE DE : Jean-Jacques Lefranc, marquis de Pompignan (né en 1709, mort en 1784), ayant été élu membre de l'Académie française à la place de Maupertuis, prit séance le 10 mars 1760, et, dans son discours de réception, dit que l'abus des talents, le mépris de la religion, la haine de l'autorité, font le caractére dominant des productions de ses confrères; que tout porte l'empreinte d'une littérature dépravée, d'une morale corrompue, et d'une philosophie altière qui sape également le trône et l'autel; que les gens de lettres déclament tout haut contre les richesses, et qu'ils portent envie secrétement aux riches, etc.
Ce fut l'origine des Quand, qui parurent en avril.La sixième édition, imprimée en rouge, est augmentée des Si et des Pourquoi, pièces dirigées aussi contre Lefranc, mais qui, étant de Morellet,ne doivent pas être admises dans les OEuvres de Voltaire.
Lefranc de Pompignan, blessé surtout d'un passage des Quand, publia un mémoire, dont je parlerai plus loin. De peur de faire une note plus ample que le texte, je ne donnerai pas la nomenclature de toutes les imitations ou parodies qu'ils firent naître; mais je ne puis me dispenser d'indiquer: Les VII Quand, en manière des VIII de M. de V***, ou Lettre d'un apprenti bel esprit, qui ne manque pas de sens commun, à M. son père, en province, pour lui donner bonne opinion de lui, in-12 de onze pages; Les Pourquoi, réponse aux ridicules Quand de M. le comte de Tornet, in-8° de quatre pages; - Réponse aux Quand, aux Si, et aux Pourquoi, 1760, in-12 de vingt pages.
 

LES QUAND,
NOTES UTILES SUR UN DISCOURS PRONONCE DEVANT L'ACADEMIE FRANCAISE LE 10 MARS 1760.
 
Quand on a l'honneur d'être reçu dans une compagnie respectable d'hommes de lettres, il ne faut pas que la harangue de réception soit une satire contre les gens de lettres: c'est insulter la compagnie et le public.
Quand par hasard on est riche, il ne faut pas avoir la basse cruauté de reprocher aux gens de lettres leur pauvreté dans un discours académique, et dire avec orgueil qu'ils déclament contre les richesses, et qu'ils portent envie en secret aux riches: 1° parce que le récipiendaire ne peut savoir ce que ses confrères moins opulents que lui pensent en secret; 2° parce que aucun d'eux ne porte envie au récipiendaire.
Quand on ne fait pas honneur à son siècle par ses ouvrages, c'est une étrange témérité de décrier son siècle.
Quand on est à peine homme de lettres, et nullement philosophe, il ne sied pas de dire que notre nation n'a qu'une fausse littérature et une vaine philosophie.
Quand on a traduit et outré même la Prière du déiste , composée par Pope (*); quand on a été privé six mois entiers de sa charge en province (**) pour avoir traduit et envenimé cette formule du déisme; quand enfin on a été redevable à des philosophes de la jouissance de cette charge, c'est manquer à la fois à la reconnaissance, à la vérité, à la justice, que d'accuser les philosophes d'impiété; et c'est insulter à toutes les bienséances de se donner les airs de parler de religion dans un discours public, devant une académie qui a pour maxime et pour loi de n'en jamais parler dans ses assemblées.
Quand on prononce devant une académie un de ces discours dont on parle un jour ou deux, et que même quelquefois on porte au pied du trône, c'est être coupable envers ses concitoyens d'oser dire, dans ce discours, que la philosophie de nos jours sape les fondements du trône et de l'autel. C'est jouer le rôle d'un délateur d'oser avancer que la haine de l'autorité est le caractère dominant de nos productions; et c'est être délateur avec une imposture bien odieuse, puisque non seulement les gens de lettres sont les sujets les plus soumis, mais qu'ils n'ont même aucun privilége, aucune prérogative qui puisse jamais leur donner le moindre prétexte de n'être pas soumis. Rien n'est plus criminel que de vouloir donner aux princes et aux ministres des idées si injustes sur des sujets fidèles, dont les études font honneur à la nation. Mais heureusement les princes et les ministres ne lisent point ces discours, et ceux qui les ont lus une fois ne les lisent plus.
Quand on succède à un homme bizarre , qui a eu le malheur de nier dans un mauvais livre les preuves évidentes de l'existence d'un Dieu, tirées des desseins, des rapports et des fins de tous les ouvrages de la création, seules preuves admises par les philosophes, et seules preuves consacrées par les Pères de l'Église; quand cet homme bizarre a fait tout ce qu'il a pu pour infirmer ces témoignages éclatants de la nature entière; quand à ces preuves frappantes, qui éclairent tous les yeux, il a substitué ridiculement une équation d'algèbre , il ne faut pas dire, à la vérité, que ce raisonneur était un athée, parce qu'il ne faut accuser personne d'athéisme, et encore moins l'homme à qui l'on succède; mais aussi ne faut-il pas le proposer comme le modèle des écrivains religieux: il faut se taire, ou du moins parler avec plus d'art et de retenue.
Quand on harangue en France une académie, il ne faut pas s'emporter contre les philosophes qu'a produits l'Angleterre; il faudrait plutôt les étudier.
Quand on est admis dans un corps respectable, il faut dans sa harangue cacher sous le voile de la modestie l'insolent orgueil qui est le partage des têtes chaudes et des talents médiocres.
* Lefranc de Pompignan avait, en 1740, traduit en vers français la Prière universelle de Pope. Des Anglais firent, en 1741, imprimer cette traduction, que Morellet reproduisit en 1760, avec des notes, et qui faisait aussi partie du Recueil des facéties parisiennes.
** Dans un Mémoire présenté au roi, le 11 mai 1760 (et dont il est question plus loin), Pompignan dit n'avoir jamais été suspendu de sa charge.
 
 

 
EXTRAIT DES NOUVELLES A LA MAIN
DE LA VILLE DE MONTAUBAN EN QUERCY
(1er Juillet 1760).
Le Mémoire de M. Lefranc de Montauban, présenté au roi , étant parvenu à Montauban, et chacun étant stupéfait, les parents du sieur auteur du mémoire s'assemblèrent: et ayant reconnu que ledit sieur instruisait familièrement Sa Majesté de ses gestes, dits et écrits; qu'il parlait au roi des entretiens amiables que lui sieur Lefranc avait eus avec M. d'Aguesseau; qu'il apprenait au roi qu'il avait eu une bibliothèque à Montauban, et, de plus, qu'il faisait des vers; ayant remarqué dans ledit écrit plusieurs autres passages qui dénotaient une tête attaquée; ils députèrent en poste un avocat de ladite ville au sieur auteur, demeurant pour lors à Paris, et lui enjoignirent de s'informer exactement de sa santé et d'en faire un rapport juridique. Ledit avocat, accompagné d'un témoin irrépprochable, alla à Paris, et se transporta chez le malade: il le trouva debout, à la vérité, mais les yeux un peu égarés, et le pouls élevé. Le patient cria d'abord devant les deux députés: Jeovah, Jupiter, Seigneur (*) * Note de Voltaire: Prière du déiste composée par ledit sieur.
« Je ne suis qu'un avocat, répondit le voyageur; je ne m'appelle point Jeovah. - Avez-vous vu le roi? dit le malade. - Non, monsieur, je viens vous voir. - Allez dire au roi de ma part, reprit le sieur malade, qu'il relise mon mémoire, et portez-lui le catalogue de ma bibliothèque. » L'avocat lui conseilla de manger de bons potages, de se baigner, et de se coucher de bonne heure.
A ces mots le patient eut des convulsions, et dans l'accès il s'écria:
« Créateur de tous les êtres,
Dans ton amour paternel,
Pour nous former tu pénètres
L'ombre du sein maternel .(*)
*Note de Voltaire: Poésies sacrées dudit auteur, page 61 (livre Ier, ode X).
- Eh monsieur, dit l'avocat, pourquoi me citez-vous ces détestables vers, quand je vous parle raison? » Le malade écume à ce propos, et, grinçant les dents, il dit:
« Le cruel Amalec tombe
Sous le fer de Josué;
L'orgueilleux Jabin succombe
Sous le fer d'Albinoé.
Issacar a pris les armes:
Zabulon court aux alarmes. »
L'avocat versa des larmes en voyant l'état lamentable du patient; il retourna à Montauban faire son rapport juridique, et la famille, étant certaine que le malade était mentis non compos, fit interdire le sieur Lefranc de Pompignan, jusqu'à ce qu'un bon régime pût rétablir la santé d'icelui.
 

 
 
LES CAR
A M. LEFRANC DE POMPIGNAN.
(1761)
Vous ne cessez point de calomnier la nation; car jusque dans l'Éloge de feu monseigneur le duc de Bourgogne , lorsqu'il ne s'agit que d'essuyer nos larmes, vous ne parlez à l'héritier du trône, au père affligé, au prince sensible et juste, que de la fausse et aveugle philosophie qui règne en France, de la raison égarée, des coeurs corrompus, des mains suspectes, d'esprits gâtés par des opinions dangereuses; vous dites que dans ce siècle on ne regarde la mort que comme le retour au néant, etc.
Vous avez tort: car il est cruel de dire à la maison royale que la France est pleine d'esprits qui ont peu de respect pour la religion catholique, et d'insinuer qu'ils en auront peu pour le trône; il est barbare de peindre comme dangereux des gens de lettres qui sont presque tous sans appui; il est affreux de faire le métier de délateur quand on s'érige en consolateur, et de vouloir irriter des coeurs dont vous prétendez adoucir les regrets par vos phrases.
On voit assez que vous cherchez à écarter les gens de lettres de l'éducation des Enfants de France: car vous aspirez à en être chargé vous-même, vous et monsieur votre frère; car, pour paraître à la cour en maître, vous priâtes M. Dupré de Saint-Maur (*), qui vous recevait à l'Académie, de vous comparer à Moïse, dans son beau discours , et monsieur votre frère à Aaron: ce qu'il fit, et ce qu'il ne fera plus.
* Dupré de Saint-Maur, directeur de l'Académie française, répondant, le 10 mars 1760, au récipiendaire Lefranc de Pompignan, lui disait: « Tout nous retrace en vous l'image de ces deux frères qui furent consacrés, l'un comme juge, l'autre comme pontife, pour opérer des miracles dans Israël. »
Ah, Moïse de Montauban vous n'aviez pas pris dans les Tables de la loi votre Prière du déiste , car elle n'y est pas. Cessez donc d'imputer des sentiments d'impiété à la nation, car vous avez ouvertement professé l'impiété.
Ce n'était pas ce que professait le professeur en droit votre grand'père, professant à Cahors: c'était un homme sage que ce professeur; s'il vivait encore, il vous dirait: Mon fils, soyez modeste; corrigez les vers de votre Didon, qui sont lâches, faibles, durs, secs, hérissés de solécismes.
Récitez les psaumes pénitentiaux, et ne les translatez point en vers plus durs et plus chargés d'épithètes que votre Didon. Ne soyez point hypocrite après avoir été impie, car c'est là le mal. Demandez pardon à l'Académie de l'avoir insultée, et surtout ennuyée, la seule fois que vous avez osé paraître devant elle. Ne donnez point de Mémoires au roi , car il ne les lira pas; et n'imaginez point de les faire imprimer par ordre du roi, car le roi n'en donnera pas l'ordre; ne soyez point délateur, car c'est un vilain métier; ne faites point le grand seigneur, car vous êtes d'une bonne bourgeoisie; ne cabalez plus pour être intrus dans l'éducation de nos princes, car, comme vous dites dans votre Épître à monseigneur le dauphin, elle ne sera pas confiée aux esprits gâtés, aux auteurs de la Prière du déiste, ni aux têtes chaudes qui ont l'esprit froid; n'insultez point les gens de lettres, car ils vous diront des vérités.
Si vous présidez à la cour des aides de Cahors, ou à l'élection, ou au grenier à sel, n'imitez point ce juge de village dont parle Horace, qui portait le laticlave, et faisait parade de sa chaise curule: car on en rit.
Ne dites plus au roi, dans un libelle de supplique, qu'il traite ses sujets comme des esclaves, car alors ce n'est plus une supplique, et il ne reste que le libelle; et lorsqu'on est coupable d'un libelle si insensé, on a beau faire sa cour au P. Desmarets, jésuite , le P. Desmarets jésuite ne vous fera jamais entrer dans le conseil: car il n'y entrera pas lui-même.
 

 
LES AH! AH!
A MOÏSE LEFRANC DE POMPIGNAN.
(1761)
Ah! ah! Moïse Lefranc de Pompignan, vous êtes donc un plagiaire, et vous nous faisiez accroire que vous étiez un génie!
Ah! ah! vous avez donc pillé le P. Villermet dans votre Histoire de monseigneur le duc de Bourgogne, et vous vous portiez pour historiographe des Enfants de France, écrivant de votre chef. Vous avez cru que les biens des jésuites étaient déjà confisqués, vous vous êtes pressé de vous emparer de leur style. Vous êtes traducteur de Villermet après avoir été traducteur de Métastase, et vous n'en disiez mot!
Ah! ah! vous vous donniez pour un favori que la famille royale a prié de vouloir bien écrire l'histoire des Enfants de France. Vous nous induisiez en erreur, en disant dans votre Épître dédicatoire à monseigneur le dauphin et à madame la dauphine: « J'obéis à vos ordres »; et il se trouve que vous avez seulement usé de la permission qu'ils ont daigné vous donner de leur dédier votre petite translation, permission qu'on accorde à qui la demande.
Il semble, par votre Épître dédicatoire, que le roi et mon-seigneur le dauphin vous aient dit: « Monsieur Lefranc de Pompignan, ayez la bonté d'apprendre à l'univers que nous ne confierons jamais nos enfants à des mains suspectes, à des coeurs corrompus, à des esprits gâtés. »
Mais, Moïse Lefranc, qui jamais a voulu faire élever ses enfants par des esprits gâtés, et des coeurs corrompus, qui ont des mains suspectes? Vos mains ont sans doute un bon coeur; mais ce n'est pas assez pour élever nos princes.
Ah! ah! Moïse Lefranc de Pompignan, vous vouliez donc faire trembler toute la littérature? Il y avait un jour un fanfaron qui donnait des coups de pied dans le cul à un pauvre diable, et celui-ci les recevait par respect; vint un brave qui donna des coups de pied au cul du fanfaron; le pauvre diable se retourne, et dit à son batteur: « Ah! ah! monsieur, vous ne m'aviez pas dit que vous étiez un poltron; et il rossa le fanfaron à son tour, de quoi le prochain fut merveilleusement content. Ah! ah!
 
 

 
LETTRE DE PARIS DU 20 FEVRIER 1763.
Voici ce qui vient d'arriver au sujet du marquisat de Pompignan. On a porté à M. le garde des sceaux les lettres patentes à sceller; il les a lues, et il a trouvé:
Que le roi désirant reconnaître les services importants que la maison de Lefranc avait rendus à l'État, depuis la fondation de la monarchie, soit dans la robe, soit dans l'épée; désirant récompenser personnellement les services que M. Lefranc avait rendus à sa patrie et à la religion, soit en qualité de magistrat, et à la tête d'une cour souveraine, soit en qualité d'homme de lettres, et nommément le soin qu'il a pris d'immortaliser la mémoire de M. le duc de Bourgogne par le bel éloge qu'il en a fait (*); Sa Majesté, en attendant mieux, avait jugé à propos d'ériger en marquisat sa terre de Pompignan, n'entendant néanmoins Sa Majesté que ce fût là une récompense, mais une faible marque de satisfaction, etc.
M. le garde des sceaux (**) a cru que la tête avait tourné au secrétaire du roi qui avait rédigé ces patentes; il l'a envoyé chercher (ce secrétaire du roi est M. Carpot). M. de Brou lui a demandé s'il avait perdu l'esprit, disant que quand ce seraient les Montmorency, les Châtillon, les La Trimouille, il n'en eût pas mis davantage. "Il est vrai, monseigneur, lui a dit M. Carpot, que c'est moi qui ai dressé les lettres; mais la formule m'en a été envoyée...
- Et par qui?... - Par M. Lefranc; il y en avait bien davantage, mais j'en ai retranché les trois quarts... - Eh bien! lui a dit M. de Brou, retranchez l'autre quart, et nous verrons"
Et vive le roi et Simon Lefranc, Son favori,
Son favori! (***)
 

* Lefranc de Pompignan est auteur d'un Éloge historique de Monseigneur le duc de Bourgogne (mort le 22 mars 1761). Paris, Imprimerie royale, 1761, in-8°.
** Paul-Esprit Feydeau de Brou, nommé garde des sceaux en octobre 1762, se démit en octobre 1763, et mourut en 1767.
*** Ces derniers mots sont le refrain de l'Hymne chanté au village de Pompignan;
 
 

 
 
LETTRE DE M. DE L'ÉCLUSE, (*) CHIRURGIEN-DENTISTE
SEIGNEUR DU TILLOY, PRÈS MONTARGIS
A M. SON CURÉ.
Vous savez que j'ai recrépi à mes dépens l'église du Tilloy, et que j'ai raccommodé les deux tiers de la tribune, qui était pour-rie: à peine m'en avez-vous remercié; je ne m'en suis pas seulement remercié moi-même; cela n'a fait aucun bruit, tandis que M. Lefranc de Pompignan de Montauban jouit d'une gloire immortelle.
Vous me direz que cette gloire, il se l'est donnée à lui-même; qu'il a tout arrangé, tout fait, jusqu'au sermon qu'on a prononcé à son honneur dans l'église de son village; qu'il a fait imprimer ce sermon et la relation de cette belle fête, à Paris, chez Barbon, rue Saint-Jacques, aux Grues (**); que quand on veut passer à la postérité, il faut se donner beaucoup de peine, et que je ne m'en suis donné aucune. Vous avez craint, dites-vous, le sort des prédicateurs modernes que M. Lefranc de Pompignan traite dans sa Préface d'écrivains impertinents, comme il a traité les académiciens de Paris de libertins, dans son Discours à l'Académie (***).Mais, mon cher pasteur, on n'exige pas d'un curé de campagne l'éloquence d'un évêque du Puy.
* Note de : L'Écluse, d'abord acteur de la Foire, puis chirurgien-dentiste, était venu exercer, pendant quelque temps, cette dernière profession à Genève, en 1760. Il fut mandé à Ferney pour faire des dents à Mme Denis.
Fréron annonça que c'était pour présider à l'éducation de Mlle Corneille. L'Écluse se mit, en 1777, entrepreneur de spectacles, et fut bientôt réduit à être acteur; il mourut fort âgé, et dans le besoin. La Lettre que Voltaire publia sous son nom doit être de la fin de février 1763; c'est probablement cette pièce que Voltaire désigne sous le titre de la Jolie Préface imprimée à Genéve aux dépens des chirurgiens-dentistes, dans sa lettre à Damilaville, du 15 mars 1763; dans un cahier dn 12 pages in-8° elle précède l'Hymne chantée au village de Pompignan et la Relation du voyage qui suit.
** Discours prononcé (le 24 octobre 1762) dans l'église de Pompignan, le jour de sa bénédiction, par M. de Bevrac; A Villefranche de Rouergue, chez Pierre
*** Celui qui fit naitre les Quand.
Ne pouviez-vous pas vaincre ma modestie, et me forcer dou-cement à recevoir l'immortalité? Qui vous empêchait de comparer l'église du Tilloy (page 3) à la sainte cité de Jérusalem descendant du ciel? Ne vous était-il pas aisé de me louer, moi présent? C'est ainsi qu'on en a usé à Pompignan: on adressa la parole à M. de Pompignan, immédiatement avant d'implorer les lumières du Saint-Esprit et de la vierge Marie. On a eu soin de mettre en marge: "M. le marquis de Pompignan présent."
Quand je vous ai fait de doux reproches sur votre négligence dans une affaire si grave, vous m'avez répondu que c'est ma faute de n'avoir point pris le titre de marquis; que mon grand-père n'était que docteur en médecine de la Faculté de Bourges; que celui de M. de Pompignan était professeur en droit canon à Cahors. Vous ajoutez que votre paroisse est trop près de Paris, et que ce qui est grand et admirable à deux cents lieues de la capi-tale n'a peut-être pas tant d'éclat dans son voisinage.
Cependant, monsieur, il m'est bien dur de n'avoir travaillé que pour Dieu, tandis que M. de Pompignan reçoit sa récom-pense dans ce monde.
M. le marquis de Pompignan fait la description de sa proces-sion: il y avait, dit-il, à la tête un jeune jésuite (page 32), derrière lequel marchait immédiatement M. de Pompignan avec son procureur fiscal.
Mais, monsieur, n'avons-nous pas eu aussi une procession, un procureur fiscal, et un greffier? Et s'il m'a manqué le derrière d'un jeune jésuite, cela ne peut-il pas se réparer?
M. Lefranc rapporte que M. l'abbé Lacoste officia d'une ma-nière imposante: n'avez-vous pas officié d'une manière édifiante?
Nous avons entendu parler d'un abbé Lacoste qui en imposait en effet: c'était un associé du sieur Fréron, et on fit même un passe-droit, ce dernier pour avancer l'abbé Lacoste dans la marine; je ne crois pas que ce soit le même dont M. de Pompignan nous parle
L'abbé Lacoste, qui bénit l'église de Pompignan, était grand chantre du chapitre de l'église cathédrale de Cahors. Voltaire fait semblant de le confondre avec un autre abbé Lacoste, condamné aux galères en 1760, et mort ayant d'y etre arrivé.
Au reste, monsieur, l'église du Tilloy avait un très grand avantage sur celle de Pompignan: vous avez une sacristie, et M.de Pompignan avoue lui-même qu'il n'en a point, et que le prêtre, le diacre, et le sous-diacre, furent obligés de s'habiller dans sa bibliothèque. Cela est un peu irrégulier; mais aussi il a parlé de bibliothèque au roi il est dit en marge (page 31) qu'un ministre d'État a trouvé sa bibliothèque fort belle; on y trouve une collection immense de tous les exemplaires qu'on a jamais tirés des cantiques hébraïques de M. de Pompignan, et de son Discours à l'Académie française; tandis que les petits écrits badins où l'on se moque un peu de M. de Pompignan sont condamnés à être dispersés en feuilles volantes abandon-nées à leur mauvais sort sur toutes les cheminées de Paris, où il peut avoir la satisfaction de les voir pour les immoler à sa gloire.
Il est dit même dans le sermon prononcé à Pompignan que Dieu donne à ce marquis la jeunesse et les ailes de l'aigle, qu'il est assis près des astres (page 14), que l'impie rampe à ses pieds dans la boue, qu'il est admiré de l'univers, et que son génie brille d'un éclat immortel
Voilà, monsieur, la justice que se rend à lui-même le mar-quis, tandis que je reste inconnu au Tilloy.
On ajoute que M. le marquis eut ce jour-là une table de vingt-six couverts (page 38); je vois que la Renommée est aussi injuste que la Fortune: nous étions trente-deux le jour de la dédicace de votre église, et cela n'a pas seulement eté remarqué dans Montargis.
Enfin il est parlé de Mme la marquise de Pompignan, et on n'a pas dit un mot de Mme de L'Écluse; on se prévaut même du jugement du sieur Fréron, qui appelle cette partie du sermon une
églogue en prose (page 36), éloge qu'il donne aussi aux vers de M. de Pompignan.
Enfin M. de Pompignan jouit de tous les honneurs possibles, depuis son beau Discours à l'Académie française; la France ne parle que de lui, et je suis oublié je demande à messieurs de l'Académie si cela est juste.
J'ai l'honneur d'être, etc.
 

 
 
RELATION DU VOYAGE
DE M. LE MARQUIS LEFRANC DE POMPIGNAN
DEPUIS POMPIGNAN JUSQU'A FONTAINEBLEAU
ADRESSÉE AU PROCUREUR FISCAL DU VILLAGE DE POMPIGNAN.

 
Note de : Il est question de cette Relation dans les Mémoires secrets, à la date du 28 février 1763. il en existe une édition in-16 de quatre pages. Une réimpression in-8° est précédée de la Lettre de L'Écluse, qui lui sert de préface, et d'une Hymne.
 
Vous fûtes témoin de ma gloire, mon cher ami; vous étiez à côté de moi dans cette superbe procession, lorsque j'étais derrière un jeune jésuite. Tous les bourdons du pays se faisaient entendre, tous les paysans étaient mes gardes. Vous entendîtes ce sermon, dans lequel il est dit que j'ai la jeunesse de l'aigle, et que je suis assis près des astres, tandis que l'envie gémit sous mes pieds. Vous savez combien ce sermon me coûta de soins; je le refis jusqu'à trois fois, à l'aide de celui qui le prononça: car on ne parvient à la postérité qu'en corrigeant ses ouvrages dans le temps présent.
Vous assistâtes à ce splendide repas de vingt-six couverts, dont il sera parlé à jamais. Vous savez que je me dérobai quelques jours après aux acclamations de la province; je pris la poste pour la cour; ma réputation me précédait partout. Je trouvai à Cahors mon portrait en taille douce dans le cabaret: il y avait au bas cinq petits vers qui faisaient une belle allusion aux astres, auprès desquels je suis assis:
Lefranc plane sur l'horizon:
Le ciel en rit, l'enfer en pleure.
L'Empyrée était le beau nom
Que lui donna l'ami Piron;
Et c'est à présent sa demeure.
Dès que j'arrivai à Limoges, je rencontrai le petit-fils de M. de Pourceaugnac: il était instruit de ma fête; il me dit qu'elle ressemblait parfaitement au repas bien troussé que M. son grand-père avait donné. Nous nous séparâmes à regret l'un de l'autre.
Quand j'arrivai à Orléans, je trouvai que la plupart des chanoines savaient déjà par coeur les endroits les plus remarquables de mon discours. Je me hâtai d'arriver à Fontainebleau, et j'allai le lendemain au lever du roi, accompagné de M. Fréron, que j'avais mandé exprès. Dès que le roi nous vit, il nous adressa gracieusement la parole à l'un et à l'autre. "Monsieur le marquis, me dit Sa Majesté, je sais que vous avez à Pompignan autant de réputation qu'en avait à Cahors votre grand-père le professeur. N'auriez-vous point sur vous ce beau sermon de votre façon qui a fait tant de bruit?" J'en présentai alors des exemplaires au roi, à la reine, à M. le dauphin. Le roi se fit lire à haute voix, par son lecteur ordinaire, les endroits les plus remarquables. On voyait la joie répandue sur tous les visages; tout le monde me regardait en rétrécissant les yeux, en retirant doucement vers les joues les deux coins de la bouche, et en mettant les mains sur les côtés, ce qui est le signe pathologique de la joie. "En vérité, dit M. le dauphin, nous n'avons en France que M. le marquis de Pompignan qui écrive de ce style.
"Allez-vous souvent à l'Académie? me dit le roi. -- Non, sire, lui répondis-je. -- L'Académie va donc chez vous?" reprit le roi (c'était précisément le même discours que Louis XIV avait tenu à Despréaux). Je répondis que l'Académie n'est composée que de libertins et de gens de mauvais goût, qui rendent rarement justice au mérite. "Et vous, dit le roi à M. Fréron, n'êtes-vous pas de l'Académie ? -- Pas encore", répondit M. Fréron. Il eut alors l'honneur de présenter ses feuilles à la famille royale, et je restai à causer avec le roi. "Sire, lui dis-je, vous connaissez ma bibliothèque? -- Oh tant! dit le roi, vous m'en avez tant parlé dans un de vos beaux mémoires...
Comme nous en étions là, le roi et moi, la reine s'approcha, et me demanda si je n'avais pas fait quelque nouveau psaume judaïque. J'eus l'honneur de lui réciter sur-le-champ le dernier que j'ai composé, dont voici la plus belle strophe
Quand les fiers Israélites,
Des rochers de Beth-Phégor,
Dans les plaines moabites,
S'avancèrent vers Achor;
Galgals, saisi de crainte,
Abandonna son enceinte,
Fuyant vers Samaraïm
Et dans leurs rocs se cachèrent
Les peuples qui trébuchèrent
De Béthel à Sébaïm.
Ce ne fut qu'un cri autour de moi, et je fus reconduit avec des acclamations universelles, qui ressemblaient à celles de Nicole dans le Bourgeois gentilhomme.
Le temps et la gloire me pressent; vous aurez le reste par la première poste.
 

Last modified: 21-Mar-00