Oeuvre Poétique

de Clément Marot

 

Extraits de Yves Guiraud, Introduction, pp15-16, in Oeuvres Poétiques de Clément Marot, Garnier-Flammarion, 1973.

 

«La Mort n'y mord.» Devise de Clément Marot.

 

Il est difficile de connaître Marot sans connaître les conditions de l'époque. Sa vie est exemplaire de la condition des gens de lettres sous la renaissance, toujours aléatoire pour tous ces servants de Dame Rhétorique. Il a fallu d'abord rechercher des protecteurs, car on ne peut faire carrière que dans la dépendance ni trouver quelque liberté d'esprit que dans l'appui moral et l'assurance matérielle accordés par un grand de ce monde. Certes, cela implique les compliments obligés, les vers de circonstances, le temps perdu à s'acquitter en vers d'une dette de gratitude. Par chance, Marot a trouvé des mécènes qu'il peut célébrer sans flagornerie et sans hypocrisie: Villeroy, Marguerite et François, Renée de France «qui me reçoit quand on me chasse».

Yves Guiraud, Introduction, pp15-16, in Oeuvres Poétiques de Clément Marot, Garnier-Flammarion, 1973.

 

Marot a cultivé l'amitié en dehors du milieu courtisan, préférant fréquenter tel médecin poète, tel juriste, et surtout les confrères, disciples ou non. Y a-t-il un seul nom de quelque importance dans le monde des lettres entre 1520 et 1540, qui ne figure pas dans ses oeuvres? De Cretin à Calvin, d'Erasme à Scève, tous ont droit aux paroles d'estime et aux saluts cordiaux; plus d'une fois, on devine autre chose que la convention: la sympathie vraie, l'offre tout ensemble de «petite épître et amitié bien grande».

id p 16.

 

Tout au long de sa vie, Marot a promené sur son temps le regard curieux et étonné, indigné ou malicieux, du passionné sans fanatisme. Sans doute, il est de meilleurs hérauts de la Renaissance, de plus purs apôtres d'un renouveau chrétien; Marot n'est pas une figure de proue de l'humanisme ou de l' évangélisme, ni Erasme ni Budé, ni Lefèvre ni Calvin. Mais du grand remue-ménage des idées, de la culture et de la croyance, il témoigne à sa manière.[...] Il sait que sa génération vit l'un des grands moments de l'histoire des idées, et il ne manque pas une occasion de célébrer ce nouveau siècle d'or: «O jours heureux à ceulx qui les congnaissent, et plus heureux ceulx qui aujourd'huy naissent!» Il sait aussi que la révolution se fait par le savoir, luttant contre «Ignorance et sa troupe insensée». Et, chrétien convaincu, quoique sans rigidité, il se nourrit d'évangélisme fabriste, érasmien ou luthériste, moins sensible aux étiquettes qu'aux exigences et aux vertus généreuses. Même s'il a changé d'opinion, voire hésité entre hérésie et orthodoxie, Marot a toujours protesté de sa sincérité; qu'on se méprenne sur ses véritables sentiments, voilà l'une de ses grandes hantises, et plus d'une fois, sachant bien que les mots trahissent la pensée et que le communicable a ses limites, il a souhaité «que plût à Dieu qu'en ce coeur puissiez lire!».

id. pp 17-18

 

Marot est un rare exemple d'écrivain dont les goûts, la sensibilité et les dons s'accordent parfaitement avec son temps. Les conflits qu'il a vécus l'ont opposé à des institutions réactionnaires, Sorbonne, Parlement; mais autant que l'appétit de la nouveauté en matière religieuse, la cause en est son humeur satirique et chatouilleuse, un peu d'inconséquence imprudente aussi. D'où les prisons, les exils, les tribulations et les professions de foi. Il n'avait, pas plus que Rabelais ou Montaigne, l'étoffe d'un martyr: «Il vault mieulx s'excuser d'absence qu'estre bruslé en sa présence», et ce condamné à mort aimait trop la vie pour ne pas se soumettre lorsque le rappel d'exil et la grâce en dépendaient. Homme de mesure, il n'a jamais versé dans le fanatisme.

id p 18

 

Dans cette oeuvre, «il est bien vray qu'il y a des orties», il l'avoue lui-même. Faisons cependant la part de la tradition: celle qui brocarde allégrement les gras curés et les nonnettes malignes, les rustiques ribauds et les maris abusés; ces vers truculents, pleins de l'exubérance vitale et de la joyeuse -et saine- gaillardise qui animait aussi le Beau Tétin, ne sont pas les moins plaisants, il y passe quelque chose de la «haulte gresse» rabelaisienne.

id p 21.

 

 

 

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Last modified: 21-Mar-00