SUR QUELQUES ASPECTS
DES RELATIONS RÉCENTES
ENTRE GRAMMAIRE ET DIDACTIQUE
DU FRANÇAIS LANGUE ÉTRANGERE
 
D. Coste,
 
Langue française, décembre 1985, nº68, p.5
 
 
Grammaire et enseignement des langues ont des histoires étroitement mêlées. De l'Antiquité jusqu'à nos jours, une bonne partie du travail des grammairiens a eu à voir avec une visée didactique. Et chaque fois que I' enseignement des langues est sorti de la simple pratique des guides de conversation, il a eu à se situer par rapport à la grammaire. Si la période récente en gros ces trente dernières années présente une relative spécificité, c'est qu'elle est marquée par l'essai de mise en place de domaines de réflexion et d'action particuliers qui ne se confondent ni avec la théorie de la langue ni avec son enseignement ni avec l'union ou l'intersection de ces deux lieux. Selon les dynamiques différentes en effet, la linguistique appliquée et la didactique des langues étrangères (ou de telle ou telle langue étrangère particulière) se sont successivement posées comme lieux tiers, articulés bien sûr aux autres mais dotés des attributs d'une certaines souveraineté: revues et collections spécialisées, titres ou filières universitaires plus ou moins distincts et reconnus, organismes et institutions assez solidement établis, associations nationales ou internationales organisant congrès et rencontres.
Toute tentative pour affirmer et délimiter un territoire « nouveau passe par des conflits, des alliances et des interrogations sur les frontières. Afin d'examiner aujourd'hui les relations que la didactique du français langue étrangère entretient avec la grammaire, il est utile, entre autres points de vue, de considérer aussi ce qui tient à cette constitution d'un espace en voie de légitimation. Les brefs commentaires qui suivent s'organisent autour de trois propositions majeures: . Dans la phase d'expansion de la linguistique (soit environ de 1955 a 1970), la linguistique appliquée peut se constituer un sous-domaine en rompant des lances avec la grammaire traditionnelle. A coût d'autant moindre que la linguistique dominante retravaille les mêmes secteurs que ladite grammaire. . Quand la linguistique ne se trouve plus en période faste (soit depuis une quinzaine d'années), la didactique des langues étrangères tend a se substituer à une linguistique appliquée ébranlée et compromise et à prendre ses distances par rapport au noyau dur (le toujours grammatical) de la linguistique, flirtant ainsi plutôt, d'un côté ou de l'autre de frontières mouvantes, avec les marges des sciences du langage.
Mais, si nécessaires que soient de tels déplacements pour mieux cerner tout ce qui devrait trouver place dans le champ d'une didactique des langues étrangères, le relâchement relatif des liens avec la grammaire n'est évidemment pas une stratégie tenable, à terme, comme en témoignent bien des mouvements en cours.
 
Linguistique et Linguistique appliquée: même combat
 
A la fin des années 50, en Europe comme aux États-Unis, la linguistique appliquée fait son apparition en partie contre la grammaire dite traditionnelle... au nom de la linguistique. Les tenants de méthodes nouvelles vont s'en prendre à tout ce qui, dans l'enseignement classique d'une langue étrangère, manifeste l'incohérence d'une grammaire scolaire, normative mais manquant de rigueur, plus pointilleuse que précise, plus encombrée d'archaïsmes et d'exceptions que pertinente sur les fonctionnements fondamentaux. Tout ne s'affirmera pas d'un coup et par exemple, I'équipe qui, autour de Georges Gougenheim, travaille à l'élaboration du français fondamental, ne part pas en guerre contre les grammaires, s'efforçant plutôt de montrer en quoi les emplois conversationnels font apparaître des régularités dont les classifications habituelles ne rendent pas raison.
Mais, peu à peu, surtout sous l'influence de la linguistique appliquée américaine, l'opposition entre grammaire (non scientifique et prescriptive) et linguistique (scientifique et descriptive) va devenir un lieu commun de tout discours sur les voies et moyens de faire progresser rationnellement l'enseignement des langues. Au milieu de cet affrontement un peu forcé et déséquilibré entre les anciens et les modernes, ceux qui tiennent à une entreprise de rénovation ont tôt fait de choisir leur camp. C'est sous la bannière de la linguistique que la linguistique appliquée à l'enseignement des langues et ceux qui s'en recommandent vont d'abord se placer. Et ce d'autant plus volontiers que, d'une part, on croit à un renouvellement effectif du regard sur des phénomènes bien connus et réputés fondamentaux et que, d'autre part, les cadres et concepts de la linguistique générale vont aider à théoriser certaines options d'enseignement. Le renouvellement du regard porte sur le noyau dur de la grammaire. Le structuralisme distributionnel parle des marques du genre et du nombre et de leur distribution à l'oral, il propose des reclassements des prédéterminants, montre clairement des possibilités de substitution et d'expansion pour un groupe nominal à l'intérieur d'un patron de phrase.
Ce sont bien les données dont traitait la grammaire des livres scolaires qui se trouvent désormais reprises dans un modèle descriptif aux catégories et aux procédures plus systématiques et homogénéisées qu'auparavant. De même, par une autre voie, les décomptes du français fondamental soulignent la fréquence des verbes irréguliers dans l'échange verbal ou la rareté de certains schémas canoniques d'interrogation directe. On se trouve en pays de connaissance: la linguistique en donne plus ou mieux, mais du même; marques du genre et du nombre, morphologie du verbe, fonctionnement des prédéterminants sont autant d'incontournables pour quiconque organise de façon explicite un enseignement du français langue étrangère à des débutants. La linguistique et la linguistique appliquée se substituent d'autant mieux à la grammaire ancien style qu'elles chassent à l'évidence sur les mêmes terres et que ce territoire a toujours été un passage obligé pour l'enseignement d'une langue étrangère. Valdman et Belasco avec leur Applied Linguistics: French (1960) annoncent Csecsy et les premiers volumes de la Grammaire structurale de Jean Dubois. Les descriptions de la linguistique appliquée à l'enseignement d'une langue étrangère précèdent pour le coup l'ouvrage d'un grammairien séduit à l'époque, comme beaucoup d'autres, par les manipulations réglées du distributionnalisme linguistique.
L'intérêt majeur de cet apport nouveau est qu'il n'impose pas une remise en cause totale des pratiques antérieures. On ne « casse pas la baraque ». Bien au contraire, les modifications introduites dans la représentation de fonctionnements explicitement enseignés depuis longtemps par la grammaire traditionnelle contribuent à une stabilisation et à une réassurance. Certes, la « découverte » de l'oral permet de mettre au jour des stabilités réglées qu'on négligeait auparavant. Certes aussi, le recours au dialogue, aux exercices structuraux et aux moyens audiovisuels va faire bouger les pratiques pédagogiques. Reste que l'emportent les facteurs de continuité tenant au fait que, pour l'essentiel, la présentation et la progression des éléments enseignés s'appuient sur les catégories grammaticales qu'on a toujours travaillées.
Mais la linguistique est aussi la discipline à laquelle, en période de structuralisme triomphant, la réflexion sur l'enseignement des langues emprunte nombre des notions qui vont circuler dans les stages pédagogiques et les discours didactiques: structure bien sûr, signe, signifiant, signifié, paradigme, syntagme, avant connotation ou métalangage mais en même temps que code, message, émetteur, récepteur, venus de la théorie de l'information. Il serait facile d'allonger cette liste mais, pour notre propos, il suffit de marquer comment, à la fin des années 60, s'amorce une dérive et se manifeste un blocage partiel. La dérive est celle que connaît le schéma de l'échange linguistique ou de l'interlocution en situation de communication. Il faut ici rappeler que, dans la plupart des programmes de formation intéressant le français langue étrangère (stages du B.E.L.C., du CREDIF, de Besançon), la linguistique tient le haut du pavé comme science d'appui ou d'inspiration et que le schéma élémentaire de la transmission de l'information y occupe une place privilégiée dès le début des années 60. Dans un premier temps, il se réduit à la polarisation émetteur-récepteur et au jeu code/message/ canal/bruit Avec le succès que connaît le schéma aux six termes et six fonctions proposé par Jakobson, un premier déplacement s'opère, renforcé par l'intérêt porté à l'énonciation et, bientôt, au discours. Destinateur et destinataire ne sont plus des pôles symétriques et équivalents, le message se charge de traces et d'indices renvoyant à autre chose aussi qu'à l'information référentielle. Embrayeurs, modalisateurs, marques énonciatives diverses focalisent l'attention sur des éléments et des fonctionnements linguistiques ne relevant plus nécessairement du « noyau dur » grammatical. Le blocage relatif est celui que connaît la grammaire générative et transformationnelle dans sa relation à la didactique du français langue étrangère. Quand elle commence, bien tardivement, à pénétrer en France, la vague générativiste touche sans doute plus la pédagogie de la langue maternelle qu'elle n'affecte le français langue étrangère. Du même coup, ce qui apparaît comme un retour en force d'une grammaire se nommant comme telle et établissant le lien entre une certaine tradition redécouverte (celle de Port-Royal et de la grammaire générale) et l'exigence de rigueur scientifique et descriptive de la linguistique n'a pas vraiment prise sur la didactique des langues étrangères au tournant des années 60 à 70 et n'empêchera donc pas cette dernière de se tenir de plus en plus à distance de l'évolution de la théorie syntaxique et phonétique, la dérive énonciative, discursive et bientôt pragmatique se révélant peu à peu plus déterminante.
 
Accueil mitigé de la grammaire générative
 
Entendons-nous bien: I'impact de la grammaire générative n'est ni inexistant ni indifférent mais il paraît limité et sélectif 2. Plusieurs facteurs jouent sans doute contre l'extension de cette influence de la G.G.T. et expliqueraient que seuls certains aspects s'en trouvent au bout du compte retenus.
1. A la fin des années 60, on enregistre une retombée sensible de l'enthousiasme qui avait accompagné le lancement des méthodes nouvelles; en particulier le côté mécaniste des courants audio-oralistes donne lieu à diverses mises en cause et, par une sorte de contrecoup, la linguistique appliquée (plus liée dès l'origine aux variantes audio-oralisteS d'inspiration nord-américaine qu'aux tendances audio-visualistes, plutôt affirmées en Europe et notamment en France -) perd quelque peu de son prestige (Coste, 1970).
2. C'est le moment aussi où, le gros du travail d'élaboration d'outils pédagogiques et de formation d'enseignants ayant porté sur l'enseignement aux débutants (ce qu'on a appelé le niveau 1), une réflexion nouvelle s'engage à propos de la suite de l'apprentissage (baptisé niveau 2); il s'agit désormais d'exposer l'élève à des textes oraux ou écrits « authentiques » et de prendre en compte la diversité des « registres » et d'autres formes d'échange que la conversation anodine; parallèlement, pour certains publics spécialisés apprenant le français à des fins universitaires ou professionnelles, il y a lieu de décrire les langues de spécialité, le français scientifique et technique; pour ces différentes demandes, I'articulation s'effectue avec telle ou telle zone de travail de la G.G.T. Qu'il s'agisse de niveau 2 ou de langues de spécialité, la nominalisation, I'adjectivation, le travail des transformations passives, les modes d'enchâssement, les constructions régies par différentes sous-classes de verbes, d'adjectifs ou de substantifs, sont autant de phénomènes grammaticaux dont l'enseignement aux débutants de niveau 1 n'avait quasiment pas à se soucier et pour lesquels les apports de la G.G.T. sont souvent éclairants.
3. Mais c'est justement l'ensemble de ces possibilités de rapprochement qui, contrastivement, souligne les limites des influences effectives. Il est facile en effet de remarquer:
-Que les relations de bon voisinage ne vont pas jusqu'à une prise en considération réelle des principes fondamentaux de la G.G.T.; même la distinction entre structure profonde et structure de surface n'a sans doute pas eu le succès qu'avaient connu auparavant dans les mêmes lieux, d autres duettistes notoires tels que paradigme et syntagme ou langue/parole.
-Que la didactique ne retient quasiment rien des procédures et représentations formalisées si caractéristiques de la linguistique chomskyenne.
-Que, parallèlement ou incidemment à la grammaire générative, d'autres influences se font sentir pour la conceptualisation ou le travail de certaines régularités de la langue. Si nombre de travaux d'analyse liés a la réflexion sur le niveau 2 purent rencontrer en chemin les tables de M. Gross, ces parcours communs ne doivent pas grand-chose, en dernier ressort, au modèle génératif. Il s'agit moins alors de travailler sur des schémas arborescents ou des formules parenthèsées (dont la spécification lexicale intervient tard) que de procéder à des sélections d'entrées lexicales et de dégager ainsi, en testant les latitudes combinatoires de chaque terme, des modes de construction.
4. Mais si cette place prise par le lexique dans le travail linguistique directement articulé à la didactique restreint de fait, dans les années 70, I'espace où pourrait se développer l'influence de la grammaire générative, il reste au moins deux raisons majeures pour rendre compte de ce que nous avons appelé plus haut un blocage relatif.
-La première fera l'objet de la prochaine section de cet article: c'est le fait que la didactique des langues étrangères déplace ailleurs ses intérêts.
- La seconde, complémentaire, tient à l'attitude des linguistes du courant générativiste quant à la relation entre leur activité scientifique et les problèmes de l'enseignement des langues. Chomsky, à la différence sur ce point encore des distributionnalistes, ne croit guère à des applications de la linguistique et le fait savoir clairement dès 1966 dans son adresse à la Northeast Conférence. Pour des raisons à la fois méthodologiques et déontologiques, il ne s'estime pas en position de recommander te le démarche plutôt que telle autre ni même de dégager des conséquences de ses conceptions linguistiques quant à la détermination de contenus d'apprentissage. Mais à l'évidence, plus fondamentalement, cette réserve tient aux options mêmes d'un modèle qui postule un dispositif inné d'acquisition du langage et ne peut dès lors que relativiser l'entreprise didactique. Le langage apparaît moins comme un objet extérieur à décrire adéquatement pour en faciliter la manipulation puis la maîtrise que comme un attribut et une capacité du sujet dont il convient tout au plus de catalyser et de ne pas entraver le développement naturel.
 
Une didactique des langues étrangères à distance du « centre » de la linguistique?
 
Que la linguistique d'inspiration chomskyenne, au tournant des années 60 et 70, tout à la fois étende son champ épistémologique et se « rétracte » par rapport aux applications à l'enseignement importe moins, pour l'espèce de creusement de fossé entre grammaire et didactique, que les déplacements propres de cette dernière. Mai 68 aidant, les « linguistes appliqués » et les « didacticiens » prennent conscience du décalage qui existe entre les pratiques pédagogiques qu'ils encouragent et entretiennent (fortement centrées sur la matière à enseigner et sur la méthode ou le manuel, ne laissant guère d'initiative à ceux qui apprennent... et tendant à restreindre celle de ceux qui enseignent) et l'évolution décidément plus libertaire des courants pédagogiques (et pas seulement pédagogiques) ambiants. Donner la parole plus tôt et plus librement aux enseignés (qu'on appellera bientôt les apprenants) et ne plus seulement les contraindre par l'imitation de phrases-exemples ou la variation sur des dialogues-modèles (lourds les uns et les autres de grammaire « implicitée ») devient un leitmotiv. Mais, du même mouvement, on en vient à réhabiliter l'erreur, désormais moins faute à sanctionner que marque possible d'une structuration active (et provisoire) de ses connaissances par celui ou celle qui apprend; on s'interroge aussi sur la validité des progressions préfabriquées et la grammaire, formellement enseignée ou travaillée de façon implicite à partir des programmes d'enseignement ou des gradations des manuels, commence à apparaître alors comme déjà difficile à bien intégrer dans cette nouvelle dynamique.
S'est amorcé ainsi un glissement dont nous connaissons aujourd'hui encore les conséquences et qui peut être sommairement caractérisé par trois constats:
(a) la didactique des langues a peu à peu perdu contact avec les recherches linguistiques touchant au noyau dur;
(b) elle a en revanche accompagné les évolutions se situant plus aux bords du domaine linguistique (analyse de discours, pragmatique);
( c) mais, pédagogiquement, il a bien fallu couvrir le terrain et « faire de la grammaire » avec les moyens divers dont on disposait ou qu' on établit ad hoc, quoi qu'en disent ou n'en disent pas les didacticiens autorisés.
Ces trois affirmations demandent à être rapidement commentées, les deux premières se présentant comme les plus patentes, la troisième justifiant un examen plus attentif puisqu'elle concerne justement des aspects que la didactique officielle a quelque peu passés sous silence.
Que la didactique ait perdu le contact avec la linguistique du noyau dur paraît clair. Ainsi, sauf erreur, les développements récents de la grammaire générative ou d'autres courants n'ont guère donné lieu à mention particulière dans la littérature F.L.E.. Il est question de J.-Cl. Milner et de G. Fauconnier dans l'entretien que J.-Ci. Chevalier donne au Français dans le monde en 1977 (numéro spécial dirigé par P. Le Goffic et consacré à la syntaxe), mais il s'agit de suggestions et mentions fugitives et le moins qu'on puisse dire est qu'elles ne rencontreront pas d'échos nombreux ultérieurement, dans d'autres numéros. Et à considérer ce que N. Ruwet écrit en 1983 de la linguistique et des linguistes d'aujourd'hui et d'avenir en France, on ne voit guère des noms qui éveilleraient quelque écho pour les enseignants de français langue étrangère, même fréquentant avec assiduité les revues et ouvrages spécialisés intéressant leur activité. On est loin, dirait-on, du temps où Le français dans le monde accueillait, dans ses premiers numéros des années 60, une bonne part de ceux qu'on appelait pas les nouveaux linguistes. Il serait facile d'affirmer que les didacticiens et enseignants de F.L.E. sont pris à rebrousse-poil par les positions d'un J.-CI. Milner chassant du temple de la science les marchands de pédagogie ou par des propos comme ceux justement de N. Ruwet pour qui les bords marécageux cernent de bien près le noyau dur et insulaire de ce qui compte en linguistique. Le moins qu'on puisse dire en effet est que ceux parmi les linguistes qui n'ont ni fleureté ni flirté avec le discursif et le communicationnel mais s'en tiennent résolument à la syntaxe ou à la phonologie, de préférence formalisables, soit préfèrent ne rien avoir à faire avec 'enseignement des langues soit se trouvent de facto moins impliqués u'ils n'ont pu l'être dans ces questions. L'évolution des activités de 'Association française de Linguistique appliquée et l'interruption des vastes et fécondes rencontres qu'elle organisait à la fin des années 60 et u début des années 70 marquèrent à cet égard une étape.
Tendance à la séparation à l'amiable avons-nous déjà noté, car il est clair que la didactique des langues, issue de la linguistique appliquée, e se réduit pas à un changement d'appellation et tend à s'autonomiser, n se situant par rapport à plusieurs disciplines constituées et en minoant du même coup sa relation à la linguistique. Une didactique, qui près les remises en cause de 1968, se trouve affectée, en France notamment, par le développement des actions de formation continue (avec la oi de 1971) et par la scolarisation et la formation de migrants, mais ussi par la recherche d'une optimalisation fonctionnelle d'un apprentissage pensé moins en termes de contenus et de méthodes qu'en termes le besoins et d'objectifs d'utilisation. Sans reprendre ici par le menu une
évolution dont les moments et les enjeux sont bien connus, il suffit de noter que la didactique, curieuse, dans ces différentes orientations, de réflexion institutionnelle, d'analyse systémique, de sociologie de la formation et de la communication, d'identification des besoins et de construction d'objectifs, laisse aller provisoirement la description de la langue, au moins pour ce qui est des niveaux classiques d'analyse. Et l'idée qu'une constitution effective de la didactique des langues étrangères demande, à bien des égards et au moins provisoirement, une sorte de demi-rupture avec la linguistique fait peut-être plus qu'effleurer quelques bons esprits. Si la linguistique appliquée avait fait mine de se poser contre la grammaire au nom de la linguistique, la didactique des langues, elle, prenant le relais d une linguistique appliquée désormais mal assurée de ses bases et de son appellation, « décroche » aussitôt et voit s'élargir le cercle de ses relations non linguistiques mais se restreindre sa fréquentation des travaux de linguistes « purs ».
Le deuxième constat vient nuancer et compléter le premier. Même si la linguistique connaît (lorsqu'elle n'est plus en phase expansionniste) des mouvements de repli sur sa spécificité centrale et comme une stratégie de mise à distance des marges, il reste généralement que relèvent à tout le moins des sciences du langage des travaux portant sur l'analyse du discours, I'analyse conversationnelle, I'étude de I argumentation, la grammaire de texte, les actes de parole, tout ce qui concerne l'au-delà de la phrase et/ou les valeurs pragmatiques des énoncés. On se trouve bien dans des zones bordurières et, méthodologiquement entre autres, les enjeux sont aussi de frontières, comme on l'a maintes fois constaté à propos du statut épistémologique de l'analyse de discours ou de la socio-inguistique.
Que la didactique des langues s'intéresse à ces zones depuis près d'une quinzaine d'années ne surprendra guère. Non seulement un tel mouvement s'inscrit dans un courant beaucoup plus large qui a marqué l'évolution des sciences du langage en France comme dans d'autres pays (il n'est que de songer à l'état des lieux dressé en 1982 par B. N. Grunig pour le rapport sur les sciences de l'homme et la société), mais il prolonge le déplacement, rappelé plus haut, qui accompagne, pédagogiquement, le passage au « niveau 2 » et l'accès souhaité aux textes authentiques : translation vers les phénomènes d'énonciation, les marques de cohésion et de cohérence textuelles, de différenciation des types de discours, les valeurs communicationnelles des énoncés. On ne retiendra ici, à titre d'exemple particulièrement significatif, que le traitement du discours indirect: d'abord lieu d'exercices de variation morphologique (pronoms personnels, possessifs, temps des verbes) et donc de travail sur le noyau grammatical, le discours indirect devient peu à peu pour la didactique (Jakobson, Benveniste puis un jour Austin étant passés par là) un point d'articulation entre discours et récit, une intégration de la déixis situationnelle (ici et maintenant) à l'espace-temps du texte (en un lieu donné, à un moment donné), un mode de reprise interprétative du dire et du dit d'un autre (x a affirmé qu'il n'en était rien), un positionnement du rapporteur à l'égard du rapporté (y a prétendu qu'il ignorait tout de l'affaire), une des zones au bout du compte où le glissement vers une réflexion sur les actes de parole se fera tout nature lement. L'ensemble de cette évolution du formellement grammatical au fonctionnellement pragmatique se cristallise, à l'occasion, en un ouvrage particulier comme le Qu'en dira-t-on de H. Gauvenet et al. (1977).
D'autres articles abordant ici même des analyses de types discursif et pragmatique, point n'est besoin de souligner la place des travaux de cet ordre ces dernières années chez les didacticiens plutôt tournés vers le linguistique (une des caractéristiques de la didactique des langues étrangères aujourd'hui étant que d'autres didacticiens ont retenu d'autres orientations). On se bornera à rappeler deux repères. D'abord le texte que E. Roulet intitule en 1976 «L'apport des sciences du langage », et qui, sous des formes antérieures avait déjà abondamment circulé dans des opérations de formation (stages d'été et autres), à raison de sa valeur récapitulative et programmatique; les « apports n y sont clairement indiqués et on voit bien en quoi l'accent est mis, cette fois sur une linguistique s'intéressant aux emplois et aux usages effectifs de ia langue. Ensuite la publication, toujours en 1976, de Un niveau-seuil qui aura une influence importante dans la réflexion didactique, aussi bien par les utilisations qui en seront faites que par les critiques qu'il suscitera. Cet instrument pour la construction d'objectifs fonctionnels d'apprentissage du français langue étrangère s'inscrit dans le cadre général du Projet «Langues vivantes» du Conseil de l'Europe (1971-1981).
A propos de Un niveau-seuil, deux commentaires rapides:
-1) à la différence d'ouvrages parallèles élaborés pour d'autres langues, Un niveau seuil comporte une section « grammaire », due à J. Courtillon, où des fonctionnements « centraux » du système sont répertoriés sous des entrées sémantico-notionnelles, non sans quelque rapport avec des cadres d'analyse inspirés de B. Pottier, voire de la psychomécanique de G. Guillaume; il y a lieu de remarquer que, de façon significative pour notre propos, cette section sera moins souvent utilisée/mentionnée / critiquée que celle consacrée aux « Actes de parole » et préparée par M. Martins-Baltar
- 2) mais la différence est aussi marquée entre le contenu programmatique de l'article de Roulet et des instruments de travail comme Un niveauseuil: les listes de réalisations phrastiques proposées comme exemplifications de catégories notionnelles et fonctionnelles gomment les enchaînementS syntagmatiques et discursifs et donnent une représentation plus taxinomique que dynamique des emplois qu'elles illustrent (Coste, 1976) A terme, il est probable que, pour la didactique et dans les pratiques d'enseignement (dans la mesure où elles furent renouvelées pour l'apprentissage par des débutants), la paradigmatique des actes de parole a joué un role plus important que la syntagmatique de l'analyse de discours (Coste, 1980), ne serait-ce que parce que la plupart des manuels nouveaux touchent les marchés les plus importants: ceux de l'enseignement aux débutants. On verrait une marque complémentaire de cette tendance dans le fait que, si nombre de didacticiens ont mené à bien des travaux universitaireS ayant à voir avec le discours (Beacco, 1982, Lehmann, 1979, Pelfrène, 1980, entre autres), et ont formulé parallèlement des propositionS pédagogiques, ces dernières ont parfois eu un impact limité parce que relatives à des publics et à des discours spécialisés.
 
Le retour de la vieille dame
 
Il est à nos yeux hors de doute que les déplacements aux marges (et bien au-delà des marges) de la linguistique de stricte obédience sont nécessaires à la constitution progressive d'une didactique des langues étrangères qui prendrait en compte les différentes dimensions d'un apprentissage/enseignement de langue et serait autre chose qu'une juxtaposition de sciences appliquées.
Il est tout aussi clair pour nous que les travaux et réalisations engagés depuis une dizaine d'années sont de ceux qui, même s'ils n'ont pas toujours eu la dissémination et l'influence qu'on pouvait attendre, intéressent directement l'enseignement par ce qu'ils disent du fonctionnement des discours, textes, interactions verbales.
Mais, sur le même mode des affirmations de principe, il faut aussi poser que le reste ne « prendra » que si la didactique repense ses relations au noyau grammatical dur de la linguistique, ce qui ne signifie aucunement qu'elle doive se recentrer sur ce pôle particulier mais bien qu'elle a à lui faire une place dans l'organisation de son propre champ.
C'est bien ce que, de divers lieux, manifestent symptomatiquement des phénomènes récents dont ce numéro n'est qu'un parmi d'autres.
On peut ainsi, sans conclure, aligner quelques autres marques de cette actualité nouvelle de la grammaire.
Dans toutes les discussions suscitées par les approches dites « fonctionnelles-notionnelles » ou « communicatives » d'un enseignement/ apprentissage des langues vivantes, revient avec insistance la question: « Et la grammaire? »
Pratiquement tous les cours de langue récemment publiés dans la mouvance de la vague communicationnelle ont à définir une option quant à la place à faire à la grammaire, aux modèles éventuellement utilisés, aux types de présentation adoptés; ceci parce que la didactique ne propose actuellement que des pistes un peu courtes sur ces questions.
Dans les options ainsi prises, les essais d'articulation entre grammaire et pragmatique restent l'exception, la tendance générale allant plutôt vers une juxtaposition où les actes de parole occupent le devant de la scène et où la grammaire apparaît plus en coulisse et en annexe.
Avec nombre de ces cours on observe un retour à des indications grammaticales de type classique, pour ne pas dire traditionnel. Fleurissent ou refleurissent par ailleurs des aide-mémoire ou petits manuels de grammaire, concus comme des outils ou ouvrages de référence mis à la disposition des enseignants et, surtout, des apprenants, afin de faciliter un travail plus autonome. L'accent est souvent mis sur une taxinomie des formes.
Voient même le jour des matériaux pédagogiques dits complémentaires qui se présentent ouvertement comme des exercices de grammaire, publications qui auraient pu passer pour rétrogrades il y a encore quelques années.
L'information sur la langue retrouve droit de cité dans des revues destinées aux enseignants de francais langue étrangère. Aussi bien le jeune Reflets que le toujours jeune Françis dans le monde ont ouvert des rubriques ou chroniques grammaticales qui ne sont pas des comptes-rendus d'ouvrages de linguistique mais des descriptions de fonctionneents du francais contemporain, qu'il s'agisse de marques spécifiques de oral ou de l'organisation de microsystèmes et il n'est plus rare que des ;pects habituellement dits centraux de la grammaire soient ainsi abordés.
-Alors que les collections destinées principalement aux enseignants intéressant la didactique des langues étrangères avaient surtout publié, depuiS plus de cinq ans, des titres touchant à la communication, H. Besse R. Porquier font paraître en 1984 un Grammaires et didactique des langues qui vient bien à son heure.
La relance des débats sur le rôle des activités métalinguistiques dans l'apprentissage explique en partie que des courants qui ont longmps Occupé une position relativement marginale, comme celui qui, olongeant une certaine lecture de la linguistique appliquée, a surtout availlé à l'enseignement de l'anglais à partir des analyses de A. Culioli, ouvent aujourd' hui une audience plus large et un accès à des publi,tions et à des mentions plus diversifiées que naguère (Bailly, 1984 et Luthier, 198 1).
Les rechercheS relatives à l'acquisition en milieu naturel ou instutionnel, qu'elles tournent autour de la notion d'interlangue ou tendent mieux mettre en relation réflexion sur la langue maternelle et travail sur la langue étrangère (Dabène-Bourguignon 1979, Berthoud, 1982 et s publications des équipes du G.R.A.L.) sont sans doute de celles qui opèrent au plus près de l'articulation entre grammaire fondamentale et dimensions interactionnelleS de l'acquisition. Explicite, implicite ou « implicitée », intermédiaire ou transitoire. Ia ammaire (même par morceaux) refait surface un peu partout. Après avoir été quelque peu mise en pièces, elle pointe de nouveau en des lieux ultiples, archipélagique dans le champ de la didactique: on ne se ssera pas d'elle, même si on ne voit pas clairement si et comment il conviendrait de procéder à son remembrement.
 

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Last modified: 21-Mar-00