FONDEMENTS ET DEVELOPPEMENT

DE L'ARNACOLOGIE (1)

(avec des travaux pratiques d'arnacologie)


(1) L'auteur de cette note est un technicien qui, à l'occasion de stages de recyclage, s'est instruit auprès de psychosociologues. Il livre ici la quintessence de son nouveau savoir.


     Précisons d'emblée que notre langage, malgré son ambiguïté fondamentale et son hermétisme existentiel, ne prétend pas à la captation d'un pouvoir quelconque, fût-il autocratique, et se situe délibérément hors de l'univers décisionnel. Notre approche vise à apporter un message d'autosatisfaction purement ludique, et à favoriser un transfert lénitif à l'angoisse conflictuelle de notre temporalité, s'insérant en cela dans la longue tradition d'oblativité et de libéralité des milieux de la pensée sociologique. Bref, la pertinence de notre propos n'a d'égale que son impertinence, et ne trouve d'excuse absolutoire, que dans la poussée saisonnière qui veut que les arbres de pertinence se couvrent de fleurs de rhétorique, plutôt que d'épines irritatives et conflictuelles.

      L'arnacologie revêt une importance grandissante sur le plan politique, économique, social et culturel. Cette science, encore embryonnaire dans sa formation, est cependant très ancienne, et trouve sans doute son origine dans l'acculturation méditerranéenne, et plus particulièrement dans la sphéromanie ludique de certaines peuplades, sphéromanie connotée d'agoraphilie et que l'on appelle vulgairement « pétanque ». L'acteur principal se plaçant au centre d'un cercle sur le plan de la temporalité terrestre, projette dans l'avenir le but -ou objectif- improprement appelé cochonnet. Parallèlement, l'action se développe au plan des organes locuteurs de l'environnement et dans le confusionnisme général entre locuteurs et locutés, l'arnacologue averti trouve de riches moissons d'observations. En particulier, la mesure de l'écart du résultat par rapport au but relève d'une métrologie très particulière qui est un modèle d'arnacologie logistique.

      Mais depuis une décennie environ, l'arnacologie logistique s'hexagonalise, par une généralisation des processus adaptatifs à la frustration, généralisation auto-accélérée par la diffusion et la privatisation des mass-media. Nous assistons à l'apparition de l'arnacologie générale et approfondie, dite arnacologie hexagonale, qui se subdivise en de nombreuses branches: arnacologie directoriale, syndicale, électorale, publicitaire, opérationnelle, etc. Nous nous intéresserons à une branche notoirement inopérante: l'arnacologie logomachique ou logologique, qui constitue un rameau particulièrement verdoyant de la sémantique.

 

      Cette science se caractérise par la substantivation du langage par suffixation ou préfixation cumulative. Exemple: programme, programmer, programmation, programmationnement, programmationnemental, programmationnementalisme, etc. De même: structuralisme, incommunicabilité, acculturation, etc... Le concept a d'autant plus de poids que le vocable est plus lourd. Les termes monosyllabiques rebelles à ce traitement donnent lieu à la conglomération substantive: l'en-soi, le non-dit, le sur-moi, le sous-cul, le quant-à-soi, etc. Le verbe, expression par excellence de l'action, est très peu employé aux modes personnels, mais les modes participiaux -eux aussi substantivés- sont l'object d'une prédilection marquée: le signifiant et le signifié, le dominant et le dominé, etc. L'analyse met alors en évidence que le dominant n'est qu'un pseudo-dominant, c'est-à-dire un dominé réel, et inversement. L'université, notamment, terre bénite de l'arnacologie logomachique, donne un vivant exemple de la puissance d'action de cette analyse, créatrice de la situation actuelle où il est très délicat de distinguer entre enseignant et enseigné, pseudo-enseignant et pseudo-enseigné, etc.

      Un exercice permettra au lecteur de mettre en oeuvre personnellement la conceptualisation verbalisante inhérante à l'activité arnacale, afin de lui permettre l'acquisition d'un "pouvoir d'arnaque".

 

      Présentation de l'exercice.

      L'exercice proposé consiste en une fixation de virtualités reposant sur le postulat d'une démarche compositionnelle et débouche sur la séparation d'un espace et d'un temps multidimensionnels, organisés selon les principes d'une polyphonie complexe de portée signifiante. Dans une perspective linguistique mass-médiatique, écho scénographique d'un temporel linéaire faussement dialectique, mais laissant sa liberté totale au langage pour lui permettre de signifier infiniment plus qu'on ne lui permet de signifier dans la quotidienneté, les confabulations commutatives des stagiaires créent un véritable parangon logotypique.

      Au niveau du sujet ainsi exposé et traité dans son contexte situationnel, par l'effort d'un penser fondamental influencé par une dialectique en continuelle invention, nous mesurons le degré de sa perméabilité à des valeurs extérieures et, de la sorte, nous pesons toute la force de sa cohésion interne reposant sur des implications et des efforts transformatifs dont les éléments moteurs conceptuels sont liés par des signes dynamiques de corrélation et d'intégration. Un contexte phraséologique réitératif inclus dans un système de commutation générateur de propédeutique, grâce à la convergence des référents, illumine alors le contrepoint cosmique et thématique, libérateur d'une maïeutique où le principe d'individuation transcende l'en-soi par un effet cathartique qui ne tient pas à l'agencement syntagmatique, mais au choix paradigmatique inspiré du « culturalisme » dont certains disent qu'il est très « dans le vent », mais dont d'autres, moins bien intentionnés, disent qu'il fait « beaucoup de vent ».

 

      Modalités d'exécution.

      Le tableau ci-dessous, par la combinatoire syntaxique, permet d'élaborer 100 000 propositions-clés de la pensée arnacologique.

La sémantique

réintroduit

la thématique

interne

de notre temps

Le syncrétisme

refuse

la démarche

univoque

d'une dimension mythique

La privatisation

remet en question

le cérémonial

contradictoire

de notre condition

Le structuralisme

réinvente

l'ambiguité

ontologique

d'un monde clos

L'acculturation

démystifie

la conceptualisation

métaphysique

du langage

L'ésotérisme

assume

le discours

stéréotypique

de la société bourgeoise

L'approche système

dénonce

la prise de conscience

dialectique

de l'intégration sociale.

L'autisme

affirme

le symbolisme

problématique

d'un sujet objectalisé

La phénoménologie

transcende

la signification

symbolique

de la rationalité

L'hermétisme

réifie

l'inconfort

cosmologique

de l'être

      Dans un premier temps, le locuteur constituera le discours au moyen de ces propositions, les locutions de conjonction étant laissées à leur libre-arbitre (par contre, en effet...) Dans un second temps, le lecteur essayera le discours ainsi constitué dans une situation semi-réelle: inauguration, vernissage, cocktail, visite d'usine, etc. Si le discours rencontre une adhésion unanime et polie, il conviendra de le rendre plus percutant par l'adjonction de quelques « non » ou « sur » (le non-être, la sur-sémantique, etc), jusqu'à ce que les réactions de l'auditoire soient authentiquement cathartiques. Le discours est alors prêt à l'emploi dans une situation réelle impliquant le pouvoir d'arnaque.

J. F.

"Esprit", p.461, nº 433, mars 1974.

Faites les travaux pratiques d'arnacologie


 

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Last modified: 21-Mar-00