POURQUOI TOUT CE SAVOIR SUR LES LANGUES ?

 

On ne ferait pas de dictionnaires ou on en ferait beaucoup moins si le lexique était régulier. Si toutes les dérivations et les compositions obéissaient à des règles Si à un mot correspondait toujours un sens et un seul. Si l'usage ne s'ingéniait pas à donner à beaucoup de mots des significations et des fonctions que la raison explique souvent à posteriori mais qu'elle ne prévoit pratiquement jamais.

De même il n'y aurait peut-être pas de grammaires et de toute facon pas de grammaires pour les natifs d'une langue s'il y avait vraiment des règles de grammaire. C'est-à-dire si toutes les règles se situaient au même niveau, étaient formulées dans des termes cohérents et comparables et ne connaissaient pas ou connaissaient peu d'exceptions.

Il n'y aurait vraisemblablement pas non plus de grammaires ou de dictionnaires pour les natifs, tout au moins sous les formes qu'on leur connaît, si les généralisations que tout un chacun peut faire à partir d'échantillons réputés significatifs d'une langue n'étaient pas, le plus souvent, génératrices d'erreurs. Et ceci malgré leur bon sens ou leur rigueur logique.

C'est bien l'incohérence, le désordre, apparents ou réels, de la langue qui ont rendu nécessaires ou souhaitables les grammaires et les dictionnaires même pour ceux qui, nés dans une langue, s'identifient à elle et la pratiquent couramment. Qu'il s'agisse de réglementer des usages propres à des situations réputées « peu spontanées », de maintenir la communauté linguistique dans une norme ou de « prendre conscience » de régularités difficiles à observer directement l'élaboration de grammaires et de dictionnaires pour les natifs procède d'une volonté de « mise en ordre », d'un besoin de rationalisation.

A ce jour et malgré l'existence dans différentes langues et aires culturelles de traditions d'organisation et de conceptualisation grammaticale et lexicale remontant à plusieurs siècles, il n'existe nulle part ni une classification qui couvrirait la totalité des éléments d'une langue ni à fortiori un quelconque système de régularités qui coinciderait avec l'usage effectif d'une langue naturelle. Le patrimoine de l'humanité est, dans ce domaine, une longue recension d'irrégularités, de « bizarreries », voir d'« anomalies » au sein desquelles existent, juxtaposés ou le plus souvent, reliés de facon plus ou moins arbitraire, des micro-systèmes de tailles variables qui sont, eux, réguliers et « rationnels ».

Mais meme si les langues s'avéraient un jour régulières et qu'en toutes circonstances, les natifs n'avaient qu'à appliquer des règles ou des codes parfaitement intériorisés, il y aurait encore des grammaires et des dictionnaires pour les étrangers. Ils seraient plus simples. Les dictionnaires ne donneraient que le sens des racines. La syntaxe tiendrait en peu de pages. Une douzaine de règles, une centaine d'exemples et on aurait fait le tour de la combinatoire d'une langue. En fait, I'étranger apprendrait plus un code ou une « règle de jeu » qu'une grammaire proprement dite.

Quant aux enfants qui apprennent leur langue première ou maternelle ils n'apprendraient la grammaire que dans la mesure où l'on jugerait utile qu'ils prennent conscience des mécanismes sousjacents à leur enonciationLa démarche serait analogue à celle qui nous pousse à comprendre le fonctionnement de nos muscles ou les mystères de notre équilibre sur une bicyclette. On aurait donc admis une fois pour toutes qu'il n'existe aucun rapport de cause à effet. aucune corrélation entre la pratique d'une langue et l'information qu'on peut avoir sur son fonctionnement.

Cette hypothèse est d'autant plus plausible que si beaucoup de profanes et de spécialistes admettent volontiers que le désordre et l'incohérence des langueS, tout au moins pour ce qu'ils peuvent en observer, justifient à eux seuls l'existence de dictionnaires et de grammaires, il n'a jamais été démontré qu une connaissance explicite des définitions des mots et de l'énoncé des « règles de grammaire », quelque complexes et profondes qu'elles soient, suffise à la pratlque d'une langue ou même à simplement améliorer cette pratique. Sans qu'lls permettent de rien démontrer de décisif, il y a même des arguments qui vont dans le sens opposé. En effet, les exemples abondent de personnes qw parlent ou, quoique plus rarement, écrivent sans avoir jamais rien appris à l'école. Parallèlement nombreux sont les « éminents spécialistes » qui parlent ou écrivent de fa,con aberrante ou grotesque les langues de leur domaine.

La « boutade » qui veut qu'une conscience trop aiguë des mécanismes de fonctionnement de la chose nuise à sa pratique se prête mal à une procédure d'investigation dont on puisse déduire une généralisation conséquente. Et pourtant il n'est pas de discours sur la grammaire comme d'ailleurs de pratique enseignante en général qui puisse, à terme, faire l'économie de se situer par rapport à cette « boutade ».

La réponse à l'interrogation philosophique « A quoi cela sert-il de savoir ce que l'on fait si on peut le faire sans le savoir ? » se trouve avoir, dans toutes les démarches enseignantes et singulièrement dans l×enseignement de la grammaire, une urgence pratique. Elle ne commande pas seulement une attitude générale mais une multitude de choix à différents niveaux: quelle description générale de la langue, qu'elle présentation pédagogique, qu'est-ce qui est prioritaire, qu'est-ce qu'un « détail » et qu'est-ce qui est « central », a-t-on à faire à un système global ou à plusieurs micro-systèmes ?

Si l'étranger échappe partiellement à cette interrogation dans la mesure où il doit toujours apprendre explicitement quelque chose pour pratiquer une langue et qu'à tort ou à raison il croit volontiers qu'un minimum de connaissances sur la langue améliorera sa pratique, il n×échappe pas à une seconde interrogation corrélée à la première et découlant de notre observation lirninaire: « qu'est-ce qui est plus excitant, plus mobilisateur ? Découvrir puis apprivoiser des régularités ou se familiariser avec des irrégularités parsemées d'oasis de régularités ? ».

Selon les tempéraments le gai savoir est celui qui va à la rencontre des régularités ou au contraire celui qui voit dans les irrégularités l'espace naturel de sa liberté et la seule garantie contre l'ennui voire contre la dictature...

Si maintenant nous nous situons dans une perspective historique et sociale nous constatons que ce ne sont pas les deux questions que nous avons soulevées qui ont été déterminantes dans l'orientation de l'enseignement et de ses instruments privilégiés que sont grarnmaires et dictionnaires. Une seule préoccupation a pour ainsi dire court-circuité le débat: imposer une représentation de la langue qui corresponde à des pratiques voire à des désirs de pratiques linguistiques survalorisées. Transmettre de façon sélective et partiale un état supposé de la langue, a été pendant longtemps et reste encore souvent la principale raison d'être des traditions grammaticales et lexicographiques.

L'enseignement d'une quelconque grammaire se trouve donc confronté à deux types de contradictions: une première série est intrinsèque à la langue et à sa nature, une seconde qui découle probablement de ce que les hommes n'acceptent pas plus la nature de la langue qu'ils n'acceptent la nature tout court est le produit d'institutions destinées à adapter la langue à une représentation volontariste elle-même produit d'un rapport de forces social dans lequel la langue se trouve « instrumentalisée » au maximum.

Soumise à des discours et à des institutions fortement normatifs et modélisants: I'école, les médias, les représentants du pouvoir, de la richesse de la réussite, etc... et de codes issus de pratiques collectives souveraines: le commerce, le sport, les relations sexuelles et affectives, les discours publics sur le corps, etc... Ia langue est constamment en butte à la fois à une stéréotypisation et à un figement rampants et à des formes d'actualisation plus ou moins Surprenantes qui visent en premier lieu à sauver l'information, I'événement et, par delà, I'histoire même d'une surcodification qui, on le sait, délimite et départage admirablement les territoires mais égalise, banalise et à terme neutralise les effets de sens, rendant progressivement impossible la création et la hiérarchisation de valeurs distinctives.

On peut même aller jusqu'à penser qu'au sein de la langue s'affrontent d'un côté une expression fortement différenciée des déséquilibres constitutifs de la nature (merveilles, scandales, oasis d'harmonie, monstruosités, violences inimaginables) de l'autre un réseau de codes sui-référentiels qui proliferent au point de se superposer au réel, de construire des univers protégés de la référentialité incontrôlable du monde, des univers enfin « propres et cohérents »

Les codes auraient fini par triompher si ce n'était cette loi paradoxale qui veut certes que l'information ne circule qu'entre deux pôles qui partagent un minimum de savoir mais qui veut aussi qu'elle ne circule plus ou devienne expression rituelle et demande un niveau supplémentaire et « résené » de décodage si tout le savoir est partagé, autrement dit si la transmission au regard du code est devenue « idéale ». La codification dégénère alors en lieu commun et le discours se solidifie. Ce qui produisait un effet de complicité ne produit plus qu'un stéréotype et la langue perd son emprise sur l'événement, devient non plus le signe d'une présence pleine et différenciée mais la trace d'une quantité, Ia manifestation dbn bruit. Elle devient « langue de bois ».

C'est d'ailleurs ainsi qubn étranger peut percevoir une langue et une culture dont il ne sait rien et sur lesquelles il ne peut ou ne veut rien projeter.

Tout n'est pas signe comme on l'a trop vite et trop souvent répété dans le sillage et sur le modèle de ces autres bêtises historiques du genre « tout est politique » ou « tout est sexuel », etc. Il y a, malheureusement pour la prétention des hommes, des existences qui sont à peine des traces sinon des vides. Tout c'est rien parce que tout ne fait pas sens, que les sens se hiérarchisent et que l'espace de la langue est un espace de parfaite violence où ne sont reconnus que des contrastes, des déséquilibres et l'absolu de l'arbitraire.

Le locuteur, étranger ou même natif, ne fait pas toujours le partage entre ce qui relève de la nature de la langue et ce qui relève d'un code institutionnel ou social surimposé à la langue. Cette distinction n'est d'ailleurs fondée, pour le spécialiste lui-même, que pour des périodes relativement courtes.

Souvent les contraintes institutionnelles et sociales, perçues un moment comme contraintes extérieures. artificielles ou limitées à un milieu ou à un groupe donné de locuteurs, finissent par se fondre dans la langue générale et intégrer sa « nature ».

Mais il arrive aussi que le rapport des forces entre les locuteurs d'une communauté linguistique ne leur soit pas favorable et qu'elles continuent longtemps à être percues comme « extérieures ».

De toutes façons, ici et maintenant, il y a toujours dans une langue donnée des « règles », des contraintes grammatica1es et lexicales dont on sait (dont les natifs savent) qu'elles sont « artificielles ». Percevoir leur nécessité dans certains contextes ou pour certaines « mises en scènes » du discours et jouer de leur distance par rapport à des réalisations plus « naturelles » fait partie des compétences linguistiques d'un locuteur natif. C'est aussi l'un des aspects les plus difficiles à transmettre aussi bien à un étranger qu'à certains natifs particulièrement

défavorisés sur le plan de la communication sociale.

Si nous nous reposons maintenant la question: à quoi sert le savoir grammatical sur la langue ? Nous pouvons avancer les hypothèses suivantes:

• On transmet un savoir sur la langue parce qu'on souhaite que la langue se fixe, qu'elle n'évolue plus ou qu'elle évolue dans un sens différent de celui pour lequel elle semble avoir une propension naturelle. On établit une norme plus ou moins durable.

• On transmet un savoir sur la langue pour faciliter une stratégie d'apprentissage,

parce qu'on a affaire à des apprenants du type « réflexif »,

parce que l'apprenant a hérité d'une tradition d'apprentissage réflexif,

parce que l'on estime qu'on n'apprend rien à moins de le conceptualiser.

Dans ces trois derniers cas on doit, que ce soit pour des raisons psychologi ques (I'apprenant ne se sent en sécurité que s'il a la conviction que l'apprentissage l'introduit dans un système cohérent pourvu de lois immuables qu'il suffit de connaître pour « savoir » la langue) ou objectives (l'enseignant croit qu'il est en train de transmettre effectivement la meilleure description d'un système qui existe) avoir une représentation globale-de la langue. Une représentation telle que chaque élément trouve une place relative à propos de laquelle un discours descriptif, transmissible et reproductible soit possible. Une topographie de la langue et un angle particulier pour la mettre en perspective sont alors des préalables nécessaires à un enseignement de la grammaire. Surtout si l'on s'écarte d'une tradition qui puise sa légitimité à la fois dans la normne établie et dans sa prétention plus ou moins fondée mais pour beaucoup ~convaincante. à l'exhaustivité (« Tout ou presque tout est dans Le Bon Usage de Grévisse/ Goose »).

Avant d'aborder la topographie linguistique qui détermine notre représentation de la langue et partant la nature de nos propositions, nous nous permettons de faire encore deux observations sur la nature éminemment paradoxale de la relation que la langue entretient avec le savoir qui la décrit. Il s'agit cette fois du contraste entre la fonction théorique, potentielle de ce savoir et les modalités effectives de son usage.

Utiles ou très utiles à celui qui déjà parle et écrit avec une certaine facilité, dictionnaires et grammaires sont le plus souvent peu utiles voire inutiles pour ceux qui maîtrisent mal la langue et à fortiori pour ceux qui ont tout à apprendre. Et ceci quelle que soit lew exhaustivité présumée ou leur volonté affichee de tout expliquer et de tout reprendre à zéro. De ce point de vue grammaires et dictionnaires sont tout à fait comparables à ces livres de mathématiques qui ont beau définir la totalité de leurs concepts, être rigoureusement cohérents et absolument précis de la 1º à la dernière ligne, ils restent illisibles ou tout au moins inutilisables pour ceux qui ne sont pas déjà et depuis longtemps, des familiers des mathématiques.

Autrement dit, ces ouvrages servent plus ceux qui sont presque en mesure de les faire que ceux pour qui ils sont supposés avoir été faits.

La deuxième observation porte sur le type d'entrée ou le type de problème que l'usager ordinaire est amené à consulter dans un dictionnaire ou une grammaire.

On sait que dans un dictionnaire de langue maternelle les articles les plus redoutables, ceux à partir desquels les spécialistes jugent le maître d'œuvre et sa rédaction correspondent le plus souvent à des mots que le grand public considère comme « simples », « faciles », « évidents ». Par exemple: « faire », « avoir », « à », « cercle ». Ces mots le non-spécialiste ne les consulte pratiquement jamais bien que ce soient les piliers du lexique et parfois aussi de la grammaire ou de la sémantique. Les étrangers ne s'y attardent d'ailleurs pas non plus à moins d'être à un stade relativement avancé de leur apprentissage.

Un francophone consultera plus volontiers un dictionnaire pour « arachnéen », « arapède », « désoxyribonucléique », « irénarque » ou « récursif »; un étranger pour « désinvolte », « invétéré », « nuance » ou « sismique ».

Dans un cas comme dans l'autre ces mots sont définis et exemplifiés en peu de lignes et il ne semble pas qu'ils aient jamais été un enjeu de querelles méthodologiques entre lexicographes. Leur sens comme leur statut au sein du lexique fait facilement l'unanimité.

Il en va de même pour la grammaire même si l'accord ou le désaccord entre les spécialistes ne se situent pas au même niveau. Les fondements de la grammaire, peu de natifs les consultent et les étrangers en ont vite fait le tour alors que les grammairiens dépensent des trésors d'énergie et de santé à en décrire et à en justifier l'architecture.

Ce sont les marges du « système » si tant est qu'il y en ait un qui intéressent le natif soucieux de donner à son discours la valeur ajoutée d'une correction ou d'un registre qui ne lui sont pas familiers et l'étranger qui n'a aucun moyen intuitif de prévoir ces « subtilités ».

Certes les deux ne cherchent pas la même chose. L'étranger sera plus directement et durablement obsédé par la position des pronoms clitiques, le choix du bon auxiliaire ou de la bonne préposition alors que le natif ouvrira plus volontiers sa grammaire pour des questions d'accord, de subjonctif ou même, c'est paraît-il de plus en plus fréquent, de concordance de temps. Problèmes qui certes intéressent aussi l'étranger mais ne risquent pas d'être prioritaires avant qu'il ait accédé à un certain confort dans l'usage de la langue.

Dans les deux cas la grammaire fournit ou devrait fournir des réponses brèves, précises et fonctionnelles. La métalangue qu'elle utilise, le système qu'elle présuppose, la philosophie dont elle procède font rarement écran à ce stade. Le succès du BON USAGE de Grévisse le montre bien.

C'est seulement si l'auteur dbne grammaire s'obstine à donner une explication voire une justification de chaque phénomène, à le rapporter coûte que coûte à d'autres phénomènes et à corréler ainsi des faisceaux de régularités et d'irrégularités que sa réponse rejoindra le registre qui n'intéresse plus que deux publics: les spécialistes et ceux qui, pour diverses raisons, ne peuvent retenir ou simplement apprendre que ce qui s'inscrit dans une représentation rationnelle, cohérente et systémique du monde.

Les contradictions que nous venons de souligner ont toutes leurs racines dans l'économie spécifique et les contradictions intrinsèques à chaque langue. Il reste néanmoins difficile malgré la somme fantastique d'informations accumulées sur les langues d'établir des relations bi-univoques entre l'ensemble de ces contradictions pragmatiques et l'ensemble des contradictions proprement linguistiques. Il n'est même pas sûr que cette bi-univocité espérée secrètement par de nombreux chercheurs soit accessible. La plupart des descriptions sérieuses d'une langue montrent en effet qu'il ne peut pas y avoir une véritable continuité, une authentique isomorphie entre les problèmes que pose l'usage et l'apprentissage d'une langue d'une part et sa description d'autre part; un peu comme il ne peut pas y avoir de continuité entre la problématique de la conception et du fonctionement d'un téléviseur et celle de la programmation ou du statut social du contenu des émissions télévisées. Il n'en reste pas moins qu'il existe des relations nombreuses et fort contraignantes entre la nature et la conception purement techniques d'un instrument et l'usage qui en est fait même si ces relations ne peuvent en aucun cas être bi-univoques, c'est-à-dire qu'il ne sera jamais possible d'associer de façon permanente et toujours reproductible une caracténstique technique de l'instrument à un usage précis et à lui seul.

A ce problème s'en ajoute, s'agissant de la langue, un autre. Contrairement au téléviseur ou à un turbocompresseur l'instrument linguistique ne se donne pas comme une boîte noire dont le fonctionnement n'est accessible qu'aux initiés mais comme un instrument transparent dont les mécanismes sont supposés accessibles et effectivement mis en œuvre par tous les usagers. La nature même de l'instrument linguistique est trompeuse. Peu de gens se hasardent à émettre une opinion sur le fonctionnement d'un turbocompresseur à moins de l'avoir étudié alors que beaucoup croient qu'il suffit de savoir parler pour savoir ce qu'on dit, comment et pourquoi on l'a dit alors que dans le fond ils n'ont pas plus de qualité à le faire que s'il s'agissait d'un turbocompresseur. Le double malentendu entretenu depuis l'après-guerre par une mauvaise compréhension et de la linguistique moderne (sur la signification et l'étendue notamment de la notion de compétence du locuteur natif) et de la démocratie (confusion entre le droit théorique conféré par l'égalité potentielle des citoyens de dire leur mot sur tout et l'inégalité objective de ces citoyens au regard des compétences qui les autorisent à s'exprimer ou à se taire), a, on s'en doute, accru la confusion.

Pour toutes ces raisons il est peu problable que l'enseignement de la grammaire devienne un jour « populaire » ou démagogiquement « séduisant ». Il est d'ailleurs tout aussi peu probable qu'il devienne un jour authentiquement ludique. Pas plus d'ailleurs que celui des mathématiques ou de la musique qui s'inscrivent dans des contradictions parfois analogues entre l'accessibilité spontanée et une distanciation douloureuse et longue qui n'a absolument rien de naturel et dont seuls les démagogues futurs dictateurs qui peuplent notre modernité égalitaire diront qu'elle n'est pas indispensable.

D'emblée ce sont donc à travers des considérations sur l'architecture, la topographie d'une langue d'un côté, ses conditions d'actualisation d'autre part, qu'il conviendra de faire ressortir deux objectifs de l'enseignement de la grammaire:

premièrement que la langue n'est en aucun cas, quelle que soit la perspective adoptée et l'école à laquelle on appartient, directement observable.

deuxièmement que la meilleure des descriptions et la plus géniale des interprétations/explications du fonctionnement de la langue ne rendront pas forcément compte de la logique de son usage. Que l'on peut tout au plus espérer car sur cette voie tout ou presque tout reste à faire, d×arriver un jour à articuler cette logique dont on sait à vrai dire peu de choses, aux descriptions/ explications, elles fort nombreuses et fort savantes, quoique généralement très incomplètes, du fonctionnement interne des langues.

Source de souffrance et de perplexité cette situation va, on le devine, à l'encontre de la représentation que le grand public comme les enseignants se font de la fonction de ×l'apprentissage de la grammaire, à moins qu'on la con,coive comme un processus de formation lente et surtout aléatoire Aucune ×garantie d'efficacité et encore moins de rentabilité à court ou à long terme Seulemcnt la conviction intime que le passage par cette discipline comme le passage par les mathématiques ou la musique confère un type d'aptitude difficile à quantifier mais dont la réalité est indiscutable et que ces aptitudes, radicalement différenteS de celles que développent d-autres disciplines directement axées sur la reproduction et la mise en application directe ou peu différée d'un savoir quantifiable, sont à divers niveaux de l'activité intellectuelle et des compétences globales de l'individu, indispensables.

On remarquera enfin que la créativité au sens restrictif de l'innovation radicale, que les découvertes surprenantes ou simplement les déplacements importants de point de vue sont à propos de la langue, des mathématiques ou de la musique, beaucoup plus rares qu'ailleurs. Leurs conséquences pour l'ensemble du corps social et le rapport des hommes non seulement au savoir mais au goût et à leur reconnaissance de ce qui a un sens ou une valeur sont capitales. Elles ont une portée anthropologique autrement plus grande que les événements immédiatement observés qui sont supposés avoir bouleversé le cours de l'histoire.

Autrement dit, il conviendrait de ramener l'enseignement de la grammaire à ses origines qui étaient celles de 1'enseignement d'une science fondamentale et non d'un savoir pratique.

 

Le point de vue que nous venons d'exposer se fonde sur une topographie linguistique à deux entrées.

 

Si la grammaire telle que nous la concevons n'est pas directement observable elle doit partir de données cohérentes directement observables. D'où l'appellation de topographie et notre refus obstiné de valider une argumentation quant à la fa,con de décrire ou d'interpréter par référence à un système formel ou à une langue artificielle indépendante de la langue naturelle. A notre sens aucune discipline n'est habilitée à proposer un modèle d'analyse de la langue même si des données de la biologie ou de la physique et notamment de la physique quantique peuvent suggérer des schémas relationnels, des configurations modélisantes, des concepts qui peuvent aider la langue à parler d'ellemême et à élaborer la méthodologie la plus propre à l'analyser. Notre préférence pour la biologie, notamment pour celle qui étudie la transmission de l'information au niveau subcellulaire et pour la physique qui rompt avec certaines traditions positivistes tient à l'interaction au sein de la langue de trois principes fort hétérogènes peu susceptibles d'être pris en charge un jour par un système forcément homogène de type logique ou mathématique: (1) un donné bio-génétique dont on ne peut à l'heure actuelle qu'imaginer, sans aucune certitude, le fonctionnement, (2) un principe de sédimentationltransmission historique et (3) une tension de transformation/élaboration. D'où la surimposition sur un mode généralement conflictuel d'éléments plus ou moins systématisés ou systematisables en réponse à des besoins qui peuvent être totalement étrangers à la nature à l'histoire ou à la logique propre de la langue.

Cette situation très proche des conditions d'adaptation biologique à un environnement hostile ou tout simplement non isomorphe à la créature, sera peutêtre formalisée dans ses grandes lignes; il est peu probable du fait qu'elle coïncide pratiquement avec la problématique globale de survie d'un organisme vivant qu'elle soit un jour réduite à l'un des micro-systèmes plus ou moins clos qui gèrent des pratiques ou des savoir-faires particuliers La langue ne sera jamais, nous semble-t-il, un secteur parmi d'autres dans la division que certains voudraient universelle des activités et du travail. Elle n'a pas vocation à être un ensemble pertinent et encore moins à fortiori un sous-ensemble de cette nébuleuse gorgée de concepts infalsifiables et d'expériences invérifiables que nos démagogues futurs dictateurs ont baptisé communication. Elle ne saurait non plus, on s'en doute, être gérée par une sous-section de la logique, de l'informatique ou même de l'intelligence artificielle. Peut-être d'ailleurs pour cette simple bonne raison que comme l'ont montré quelques psycholinguistes elle est le support qui permet à l'homme de gérer ces disciplines. Le support et non seulement l'instrument. C'est-à-dire l'ensemble des conditions qui rend la gestion possible.

 

La première entrée de notre topographie linguistique repose sur une opposition differentielle binaire forte qui traverse tous les aspects d'une langue et que differentes ecoles de grammairiens, philologues ou linguistes ont signalée en lui donnant toutes sortes d'appellations et de définitions et en delimitant différemment son territoire de telle sorte qu'il n'est pas toujours aisé de la retrouver. Mais il en va de même dans l'histoire des sciences et dans l'histoire tout court de toutes les oppositions différentielles durables. Ce sont des décalages. des contrastes de quantite, de mouvement, de type de transformation, de distance par rapport à un étalon où l'on retrouve des constantes indépendantes des valeurs affichées à propos desquelles il y a une opposition directement observable, qui permettent de conclure à l'existence d'une opposition différentielle constante sur une période donnée ou dans un domaine donné.

C'est l'opposition différentielle entre la tendance de la langue au figement, son aptitude à secréter en relation avec ces figements des modèles plus ou moins prototypiques, c'est-à-dire qui servent de paradigme productif (verbes du premier groupe, construction N V N) ou de support clé improductif (verbe avoir, construction du verbe menacer) avec une continuité de graduation entre les deux qui attend impatiemment des explications rationnelles... et sa tendance à l'élaboration de formes nouvelles, son aptitude à secréter en relation avec les possibilites combinatoires de la langue des actualisations plus ou moins durables, c'est-à-dire qui saturent totalement un événement (néologismes, précision temporelle exacte, relation bi-univoque entre une information ou une émotion et une combinatoire linguistique) ou proposent une configuration originale acceptable tout en etant fortement polysémique (définition possible de la créativité linguistique individuelle assimilée d un titre ou à un autre d un produit artistique ou tout au moins unique).

Les actualisations peuvent se figer et certaines formes de figement se réactualiser mais le figement des produits d'une combinatoire libre est beaucoup plus fréquent que la réactualisation des configurations figées.

Cette opposition traverse des domaines tres différents qu'il conviendrait d'intégrcr dans les dcscnptions. Elle intéresse bien sûr la formation des stéréotypes linguistiques qui vont des expressions figées à la langue de bois en passant par les différents degrés de lieux communs. Longtemps considéré comme un domaine de l'analyse littéraire ou de la perception esthétique voire de la recherche sociale ou politique, I'analyse du rapport entre le stéréotype de la combinatoire libre est une affaire éminemment grammaticale et essentiellement linguistique. Elle entraîne en effet le réexamen de phénomènes constatés sans analyse ou expliqués isolément et jamais reliés comme par exemple:

• La très haute fréquence dans la langue d'éléments absolument ou relativement irréguliers (les verbes être, avoir, faire; certains types de constructions impersonnelles) qui ont de ce fait mais aussi du fait d'autres fonctions structurelles une position nodale dans l'architecture d'une langue comme le français et dont on trouve beaucoup d'équivalents différentiels dans la quasi totalité des langues étudiées par les linguistes. Un phénomène qu'il convient d'opposer à la basse fréquence d'éléments issus de processus réputés réguliers et au fait que les néologismes qu'ils soient savants ou spontanés se forment généralement sur les modèles réguliers (par exemple le schéma des verbes du 1º groupe). Plus généralement on retrouve dans ce cas une opposition entre, d'une part, des structures support indépendantes de l'événement, d'autre part des transformations réactualisantes de la langue et des structures d'accueil aux formes imposées par des besoins ou des événements extérieurs à la 1angue.

• L'existence d'éléments neutres, termes, ensembles de termes ou structures ayant un éventail combinatoire très large tout en étant très fortement contraints et très peu saturés sémantiquement qui constituent le support central de l'architecture de la langue et qui sont des substituts généralisés (chose. machin, truc, faire, type, niveau, etc.) proches des pronoms mais très différents d'eux à plusieurs titres) et de composants à valeur sémantique incertaine quoique non nulle plus ou moins transparents (prendre dans prendre note, donner dans donner à penser, mettre dans mettre au courant ou mettre au point, etc.) face à des éléments à signification très spécifique, très saturée (plinthe, désosser, moiré).

• L'aptitude constante d'une langue à produire parallèlement des énoncés purs c'est-à-dire parfaitement sui-référentiels ou circulaires à l'intérieur de structures destinées à des combinatoires à vocation référentielle ou informative (un chanteur chante une chanson par opposition à Yves Montand a chanté Syracuse) et des combinaisons bien formées phonologiquement et grammaticalement mais non signifiantes ou non instanciées lexicalement qui suggèrent néanmoins une référentialité plus ou moins précise: (« Zonderlin a chochpiché à Zorglub qu'il n'en avait rient à zymareller » ou encore la technique de Peyo dans Les Schtrumpfs).

L'existence parmi les outils grammaticaux d'instruments caractérisant fortement une langue par opposition aux autres (systèmes d'opposition aspectuelle, temporelle, déterminative) sans que cela ait une incidence ou avec une très faible marge d'incidence sur l'équivalence référentielle des langues ou leur égalité quant à leur pouvoir d'actualisation.

Cette Opposition différentielle entre la tendance au figement, à la modélisation prototypique et la tendance à l'actualisation d'une exclusivité, d'une combinaison originale qui semble exclure toutes les autres, est enfin corrélative de l'existence dans toute langue d'évidences réputées difficiles à décrire dont on Considère qu'elles se transmettent de façon mémorielle, intuitive voire « génétique » et qui s'opposent à des phénomènes à propos desquels on prétend fournir des « informations » qu'on dit « décomposables », « analysables » et descriptibles et qui sont semble-t-il, la raison d'être revendiquée par la plupart des activités didactiques.

C'est un euphémisme et un signe de politesse que de dire que ce partage, un succédané de plus de la division du travail, de la prétendue distinction des genres et dc l'effort dc certains groupes humains pour se protégcr au sein d'une corporation ou d'un territoire, ne reflète en rien l'économie de la langue dont on a fini par admettre qu'elle ne pouvait ni se décrire ni s'apprendre « par morceaux » ou « par petits bouts ». Il ne s'agit pas en effet d'apprendre comme on peut ce qui se peut s'apprendre en laissant le reste à la bonté divine ou à l'alchimie de la surmotivation.

Si c'était le cas on pourrait alors légitimement penser que Dieu ou l'alchimie sont assez grands pour faire tout 1e travail et qu'il n'y a rien à enseigner. La deuxième entre de notre topographie construit une architecture de la langue à partir d'un point de vue systématequement contrastif. Ne sont retenues que les caractéristiques spécifiques d'une langue.

Les spécificités fortement récursives constituent des nœuds. C'est le cas notamment des verbes et mots supports qui ne sont jamais identiques dans deux langues même lorsqu'elles appartiennent à une même famille et sont réputées très proches. Mais c'est aussi le cas de la plupart des formes d'auxiliarisation verbale et des micro-systèmes pronominaux.

Les nœuds cou'vrent, à partir d'un terme (prendre, coup, idée, fait, donner, fois, naturellement, etc.) un espace grammaticalement hétérogène mais merveilleusement bien articulé. La grammaire balise la combinatoire au moyen de laquelle le terme support s'actualise et parfois, abandonne sa transparence pour se charger de sens. Avec les nœuds la naissance d'un événement lexical est quasi contemporaine de la naissance de la grammaire. L'un n'explique pas I autre mais les itinéraires plus ou moins dépendants de la genèse lexicale et de la genèse syntactico-sémantique révèlent, déplient l'infrastructure véritable de la 1angue.

On peut également ranger parmi ces nœuds les systèmes d'auxiliation, de substitution (la pronominalisation au sens le plus large) et de détermination.

De même que les mots supports peuvent rarement être traduits tels quels d'une 1angue à l'autre (essayez de retrouver les équivalents lexicaux en anglais, allemand, italien, espagnol, persan ou arabe des termes supports qui apparaissent dans des expressions francaises comme coup de téléphone, avoir lieu, proférer une menace, tendre un piège, pousser un cri, prendre la fuite, donner lecture, etc.) les systèmes d'auxiliation et de substitution présentent des spécificités essentielles à l'identification des procédés qui font qu'une langue est ce qu'elle est. Ces procédés, est-il nécessaire de le rappeler, ne peuvent jamais s'expliquer ni en termes de référentialité ni dans ceux d'une cohérence formelle qui déborderait les frontières d'une langue ou d'un petit groupe de langues tout en continuant à rendre compte d'aut es phénomènes indépendants.

Ainsi, par exemple, pour le fran,cais « Qu'est-ce que tu fais ? » I'anglais dit « What are you doing ? » et non « What do you do ? » alors que cette phrase est grammaticalement possible et bien formée, parallèlement l'anglais pour « Comment vas-tu ? » ne dit pas « How do you go ? » ou « How are you going ? » mais « How do you do ? ». Pour « A LOUER » I'italien n'a pas une construction préposition plus infinitif mais une construction pronominale « AFITASSI ».

Or l'anglais comme l'italien sont des langues très proches du francais à tous points de vue.

Le point de vue contrastif dégage après ce que nous avons appelé des nœuds, des principes directeurs.

Ainsi, toujours par opposition au francais mais aussi à beaucoup d'autres langues, 1a possibilité, souvent exploitée, en allemand, d'assembler et d'agglutiner deux, trois et parfois quatre mots en un seu1 ou le fait qu'on y dispose d'une tripartition du genre et non comme en français et dans d'autres langues d'une bipartition.

Du côté des principes directeurs et des tendances générales on retiendra également, toupurs par opposition au francais et à d'autres langues le rejet en persan et dans d'autres langues du verbe à la fin de la proposition et le fait qu'en arabe certaines classes d'adverbes français ne peuvent se rendre que par des verbes ou un des équivalents de ce que nous appelons en français adjectif (ainsi pour « Il s'est mal conduit » et « Il se conduit mal » respectivement ('sâ'a-ltassarrof) « Il a malé la conduite » et ('énnaho sayyé'-l-tassarrof) « (particule) lui mauvais la conduite » ou (tassarrofoho sayyé') « Sa conduite mauvaise ».

Nœuds, principes directeurs et tendances déterminent lorsqu'ils sont perçus contrastivement l'architecture spécif que d'une langue. Cette architecture peut à la fois commander les priorités scientifiques d'une description et celles, plus ou moins pragmatiques, d'un enseignement. Dans un cas comme dans l'autre elles permettent d'identifier des procédés récursifs ou des éléments inanalysables ayant soit une fréquence élevée d'occurrence dans l'usage soit une fonction incontournable dans la construction des énoncés et partant du discours.

Mais la perspective contrastive dégage également et, à notre avis avec une certaine efficacité deux catégories de micro-systèmes qui constituent des sortes d'isola au sein de cette architectwe: des micro-systèmes spécifiques à une langue (ayant comme par exemple le premier groupe ou cenaines formes de suffixation une très grande régularité mais dont il n'y a pas lieu d'envisager la transposition dans une autre langue) et des micro-systèmes qui correspondent à des configurations translinguistiques pour lesquelles il existe ou n'existe pas d'explications sémantiques satisfaisantes (c'est le cas notament de la corrélation tout à fait étonnante dans de très nombreuses langues entre les propriétés syntaxiques et les propriétés sémantiques et lexicales d'ensembles qu'on peut baptiser « verbes de perception », « verbes de mouvement », « verbes de communication », etc. et le fait que ces corrélations présentent un caractère quasi universel et constituent de ce fait l'une des grandes propriétés différentielles des langues.

Enfin, last but not least, le point de vue contrastif fait proliférer l'observation des configurations interdites dans une langue donnée. Or, il semble bien qu'une langue se définisse au moins autant par la manière avec 1aqueLle on ne peut pas l'utiliser que par celles avec laquelle on l'utilise. Ces interdits se situent à deux niveaux bien distincts et doivent être l'objet aussi bien d'une description que d'un enseignement. Le niveau de ce qui est possible dans l'absolu mais contextuellement interdit lorsque l'on se situe dans telle ou telle norme (cf. Ies ravages que produisent les enseignants copains/copains qui ignorent ou font semblant d'ignorer que les gradations subtiles de la familiarité et de la distance sont constitutives de la langue et commandent parfois la survie du locuteur) et enfin ce qui est interdit dans l'absolu et délimite inexorablement le territoire de la communauté linguistique d'une part, celui de l'intelligibilité et de la legitimité d'autre part.

 

En conclusion s'il est vrai qu'une discipline et une pratique construisent leur objet, il semble que l'objet langue ne se laisse pas construire facilement. Il se refuse aux grandes descriptions/interprétations régularisantes et systématisantes. Le désordre constitutif de la langue impose des formes de description/ interprétation et un type d'enseignement qui renoncent d'emblée à la légende des règles comme d'ailleurs à la problématique de l'exception.

D'autre part, nous pensons que l'effort de mise en ordre, d'explicitation, de rationalisation, d'instauration d'une cohérence, effort propre à beaucoup d'options enseignantes et à la plupart des démarches didactiques, est souvent, par l'attitude même qu'il présuppose, incompatible avec ce que nous apprennent la plupart des descriptions sur la nature de la langue.

Donc, en dehors des cas précis où une relation contractuelle amène l'enseignant à transmettre, en connaissance de cause. un savoir à finalité institutionnelle sur la langue, cas où d'ailleurs l'explication n'a pas sa place (il est pervers de vouloir donner une explication cohérente de l'état, par exemple. de I'orthographe), I'enseignement des langues et du savoir sur les langues ne peut s'inscrire que dans deux perspectives: celle de l'enseignement d'une discipline fondamentale, c'est-à-dire d'un moyen de formation générale à la fois essentiel et d'une fonctionalité incertaine; celle de la familiarisation pratique, indissoluble de l'accumulation d'un patrimoine culturel et notament littéraire ou technique -, avec des constantes différentielles et des principes directeurs perçus contrastivement et contextuellement lors de la manifestation ou de l'induction de besoins de lecture, d'écriturc ou d'expression.

Cela exige, on s'en doute, de la part de l'enseignant, une connaissance parfaite d'au moins deux langues, une représentation globale de la langue enseignée, une connaissance exacte et diversifiée des savoirs possibles sur les mécanismes linguistiques et un niveau élevé de culture générale.

Amr Helmv IBRAHIM

Etudes de Linguistique Appliquée, nº74, p.6

 

 

 

 

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Last modified: 21-Mar-00